John Manley a présenté hier au premier ministre Stephen Harper es recommandations du groupe d'experts chargés d'étudier le rôle futur du Canada en Afghanistan. (Photo PC)
La raison d’être du groupe d’experts indépendants sur le rôle futur du Canada en Afghanistan se résumait à une question : devons-nous ou non renouveler le mandat de la présence militaire canadienne dans sa configuration actuelle qui arrive à terme en février 2009 ? À cette question relativement simple, voire simpliste, on obtient, à la lecture du rapport final, une réponse diffuse.
Après six ans, le gouvernement afghan demeure inepte, l’action de la communauté internationale est incohérente et la majorité des alliés du Canada ont manifestement d’autres priorités que l’Afghanistan ; mais, selon le groupe d’experts, le Canada doit essentiellement maintenir sa politique actuelle en la saupoudrant de mesures plus spectaculaires en termes de développement et de diplomatie.
En fait, derrière la question du renouvellement du mandat des troupes canadiennes présentes dans la région de Kandahar, il y a deux débats. Le premier est politique. Placé en situation minoritaire, le gouvernement Harper doit composer avec un parlement hostile. Le rapport Manley souligne avec raison l’absence d’explication convaincante de la part des gouvernements successifs de la mission afghane et de la place prépondérante qu’elle occupe dans la politique étrangère du Canada. Du temps du gouvernement Chrétien, alors que les libéraux disposaient d’une majorité docile en Chambre, les questions importantes relatives aux affaires étrangères se réglaient entre quelques individus au bureau du premier ministre. Cette réalité est celle de la plus grande part de l’histoire du Canada, les affaires étrangères sont traditionnellement un loisir pour l’élite politique.
Or, l’explosion de violence qui a coïncidé avec le déploiement des troupes canadiennes dans la région de Kandahar et l’avènement de deux gouvernements minoritaires consécutifs ont ouvert le jeu. Fait rarissime, une question de politique étrangère en est venue à dominer les débats en Chambre à un moment où ces débats peuvent avoir des conséquences significatives sur le gouvernement.
Cortège de cercueils
Les images dramatiques de combats diffusées en boucle et le cortège hebdomadaire de cercueils de soldats canadiens ont aussi interpellé directement la population canadienne. La réaction a été rapide, tant au Québec qu’ailleurs au Canada : entre le début et la fin de 2006, l’opinion publique s’est détournée de l’engagement canadien en Afghanistan, plus spécifiquement de sa dimension militaire. On le sait maintenant, et le rapport Manley le reconnaît poliment, la politique canadienne en Afghanistan depuis 2001 a été dominée par la Défense. La question du renouvellement du mandat des militaires après février 2009 est donc fondamentale.
Pour le public canadien, le rapport Manley offre enfin un bilan honnête des maigres avancées effectuées et des défis considérables auxquels est confronté le Canada en Afghanistan ; une lecture essentielle et accessible à n’en pas douter. De ce fait, il remplit de lui-même sa recommandation demandant au gouvernement de faire preuve de plus de franchise avec la population. Par contre, le rapport ne répond pas au paradoxe soulevé par la population canadienne qui s’est exprimée dans un nombre record de mémoires (219) : comment concilier tout ce sang versé, ces ressources englouties avec une réalité sur le terrain dont tout indique qu’elle se détériore ?
Si le rapport Manley identifie les problèmes, les ajustements qu’il propose demeurent, somme toute, mineurs. Attendre que la police et l’armée afghanes soient en mesure de prendre la relève avant de se retirer, n’est-ce pas là déjà le modus operandi des militaires canadiens envoyés à Kandahar depuis 2005 ? Le groupe d’experts valide la légitimité de la mission, fournit des raisons tangibles pour justifier l’engagement du Canada et honore le travail effectué par les militaires et les civils canadiens en Afghanistan. Est-ce que cela mérite pour autant que plus de 85 % des militaires canadiens envoyés à l’étranger soient dans ce pays où le Canada, jusqu’à tout récemment, n’avait même pas d’ambassade ?
L’explication à ces questions sans réponse tient au fait que le groupe d’experts avait en réalité comme mandat de servir de médiateur entre les partis politiques. Le gouvernement Harper, à force de marteler son engagement sans nuance en Afghanistan, a fini par être isolé en Chambre. Le Parti libéral avait permis, même divisé, de faire passer le vote sur le renouvellement du mandat des troupes canadiennes jusqu’en février 2009. Le rapport Manley ouvre maintenant à nouveau la porte à un compromis entre la position du Parti conservateur et celle du Parti libéral. Ainsi, le groupe d’experts consacre le divorce sur les questions d’affaires étrangères entre l’élite politique et la population canadienne. L’Afghanistan n’a malheureusement rien d’un loisir.
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Marc-André Boivin
L’auteur est directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix.
- source
Vers un compromis ?
Afghanistan - le Rapport Manley - retrait ou non?
Marc André Boivin6 articles
Directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix affilié au CERIUM, membre de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et chercheur associé au Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale
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