En octobre dernier, Sayed Perwiz Kambakhsh, 23 ans, a été arrêté par les autorités locales à Mazar-e Charif, dans le nord de l'Afghanistan. Sayed est, selon l'acte d'accusation, un dangereux criminel. Juste pour vous dire à quel point il est dangereux, ce Sayed: il a été condamné à mort.
Qu'a-t-il fait? Non, il n'a pas tué. Non, il n'a pas violé. Non, il n'a pas vendu au rabais de l'opium à des écolières par la suite devenues junkies. Non, il n'a pas comploté avec les talibans pour renverser le gouvernement Karzaï.
Sayed Perwiz Kambakhsh, journaliste, est accusé de propos diffamatoires et de blasphème contre l'islam.
Son crime? Eh bien, agrippez-vous solidement, c'est extrêmement choquant et scandaleux: le journaliste détenait chez lui des écrits sur la place des femmes musulmanes dans la société. Oui, monsieur!
Ça ne vous lève pas le coeur, ça?
Ça ne vous donne pas envie de vous faire exploser dans le métro, de savoir que vous vivez sur la même planète que des individus semblables?
Je déconne, bien sûr...
Sauf qu'il n'y a rien de drôle. Selon Reporters sans frontières, Sayed Perwiz Kambakhsh a été jugé dans un procès à huis clos, sans avoir droit à un avocat. Et ce procès a eu lieu après que le Conseil des mollahs local l'eut condamné à mort!
Ah, ce n'est pas tout. Le procureur général adjoint de la province de Balkh, Hafizullah Khaliqyar, a menacé les journalistes locaux qui seraient tentés de soutenir Sayed: Je vais vous foutre en prison, leur a-t-il dit, en substance...
RSF proteste et braque sur le cas les projecteurs de l'indignation internationale, appelant le régime du président Hamid Karzaï à intervenir en faveur du journaliste.
OK, une question, si vous me permettez. C'est ce régime-là que le Canada défend?
C'est pour ce régime-là qu'on se tape un psychodrame national afin de savoir si on va quitter l'Afghanistan tout de suite, en 2009, en 2011, après, jamais?
Bravo. Vraiment, bravo.
Le plus déprimant dans cette parodie de justice, c'est qu'il semble que les autorités locales n'en veulent pas vraiment à Sayed. Selon certaines sources, le véritable crime de Sayed, c'est surtout d'être le frère de Sayed Yaqub Ibrahimi, journaliste d'enquête, qui n'a de cesse d'exposer les exactions des chefs de guerre locaux.
Pourquoi embêter le frère, alors? Je ne sais pas trop. Mais une société tribale, c'est aussi un peu, beaucoup, ça.
Et c'est cette société-là, cet État-là que le Canada soutient et présente comme un rempart contre les islamistes, contre les méchants talibans.
Nous, Occidentaux, sommes débarqués en Afghanistan en 2001 pour bouter un régime obscurantiste qui écrasait le peuple sous le poids du Coran (mais surtout parce que ce régime avait donné refuge aux obscurantistes salafistes de ben Laden).
Par quoi ce régime a-t-il été remplacé? Par d'autres obscurantistes. Mais des obscurantistes light, qui n'abritent pas de méchants terroristes.
Avant, sous les talibans, les enfants ne pouvaient pas jouer au cerf-volant, c'est bien connu.
Aujourd'hui, sous le régime d'islamistes que nous appuyons, tu ne peux plus être le frère d'un journaliste qui écoeure les amis du pouvoir.
Suis-je le seul à trouver la chose complètement débile?
Suis-je le seul à trouver qu'on se moque de moi? Je veux dire, 2009 ou 2011, ça va changer quoi, quand on part de si loin?
C'est pour ça que je hurle quand j'entends nos élus nous bassiner avec la démocratie afghane. Une démocratie, ce n'est pas seulement le droit de vote. C'est une presse libre. Ce sont des tribunaux indépendants. Entre autres. Rien de cela n'existe vraiment en Afghanistan, les exemples en ce sens abondent.
Un célèbre général à la retraite, le tragique Roméo Dallaire, a déclaré, en avril, à propos des moumounes pacifistes qui bougonnaient contre la mission afghane, que le Canada était en Afghanistan pour défendre nos valeurs.
Nos valeurs? C'est drôle, pendant qu'on combat les fous d'Allah qui veulent renverser le régime en place à Kaboul, ce régime cautionne ou ferme les yeux sur des atteintes graves à la liberté de La Presse, des parodies de justice éhontées et des complicités plus ou moins avouées entre des trafiquants de drogue et des édiles locaux.
Sont où, nos valeurs, là-dedans?
Ah, j'oubliais. Les autorités afghanes torturent des prisonniers. Et là, ce sont les autorités canadiennes qui ferment les yeux sur cette pratique barbare. Nos valeurs, ouais.
La vérité, c'est que l'Occident se fout bien de «nos valeurs», dans cette région du monde. Le Canada ne fait pas exception. Tant que le régime en place ne nous est pas hostile, bof, on ferme les yeux en espérant des progrès sur les questions de liberté et de démocratie. L'Afghanistan n'est qu'un autre chapitre de cette tradition cynique.
En Iran, le chah était un salopard patenté, qui torturait et tuait ses adversaires politiques. Mais il était fin et accommodant avec nous, il était pro-Occident. Il avait droit aux plus grands égards, aux visites d'État.
Saddam Hussein, avant d'envahir le Koweït, était un dictateur sanguinaire, «mais il était notre bastion contre l'extrémisme islamiste» de l'Iran, écrit Robert Fisk, dans La grande guerre pour la civilisation. Alors, on lui vendait du matériel militaire, on le fréquentait. Même si on savait que Saddam tuait et torturait pour se maintenir au pouvoir.
Musharraf, au Pakistan? Voici un dictateur, un vrai. Voici un homme qui suspend les libertés civiles. Voici un homme qui enferme des journalistes et congédie des juges trop indépendants. Est-il désavoué par le Canada? Pas du tout. C'est notre ami.
D'ailleurs, quand il est notre ami, un dictateur, ce n'est pas un dictateur. C'est, comme dit Fisk, un «homme fort».
Mais je m'égare. Je voulais vous dire que 77 de nos soldats sont morts en Afghanistan pour défendre un régime qui condamne des journalistes à mort.
- source
Le Canada défend ce régime-là?
Suis-je le seul à trouver qu'on se moque de moi? Je veux dire, 2009 ou 2011, ça va changer quoi, quand on part de si loin?
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