La famille de Pierre Laporte, depuis 50 ans, a choisi la discrétion.
« Pourquoi rouvrir la plaie ? Ce n’est pas un spectacle. La famille ne veut pas aller sur la place publique. Qu’importe ce qu’on fait, il ne reviendra pas… »
Je venais de demander à Jean Laporte ce qui expliquait la discrétion de sa famille, depuis cinq décennies.
Lui, le fils de Pierre Laporte, aujourd’hui âgé de 61 ans, n’a par exemple donné que très peu d’entrevues au fil des années.
Celle à Anne-Marie Dussault, diffusée lundi, pour le 50e.
Et celle-ci, pour La Presse.
On a vu des gens marqués par l’Histoire plus loquaces, plus attirés par les projecteurs, pour donner leur version de ladite Histoire. La famille Laporte ne fait pas partie de ceux-là.
« En parler plus souvent ne va pas régler la situation, continue Jean Laporte. On a été discrets, et c’est sans doute la chose à faire. En 1970, ma mère avait demandé des funérailles privées, sans photos. Ça n’a pas été respecté. C’était la seule demande de la famille. Et ça n’a pas été respecté, il y a eu des funérailles nationales, et il y a eu des photos… »
Sa mère a 97 ans aujourd’hui. Pour les gens, dit Jean Laporte, « Octobre est une crise », mais pas pour Mme Françoise Brouillet, épouse de Pierre Laporte, femme pour qui chaque mois d’octobre est autre chose, une douleur beaucoup plus intime qu’un drame historique.
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L’entrevue a lieu sur Zoom, COVID-19 oblige. M. Laporte semble peser chacun de ses mots. Je ne dirais pas qu’il est sur ses gardes, mais il est prudent. Comme s’il voulait protéger la part d’intimité que l’Histoire n’a pas encore volée aux siens, comme s’il voulait à tout prix éviter la polémique, aussi.
Sur son père, homme de famille : « Mon père et son frère avaient marié des sœurs, explique Jean Laporte. Les deux familles étaient voisines, à Saint-Lambert. La mère des gars habitait l’autre coin de rue. Et en août, deux mois avant la crise d’Octobre, mon oncle est mort. Mon père est donc devenu responsable de deux familles… »
Ce fait-là éclaire de façon nouvelle un détail de l’Histoire, celui du rapt de Pierre Laporte. Le ministre du Travail jouait au football avec son neveu quand des hommes armés lui ont ordonné de monter dans une voiture. Cet enfant-là, Claude, venait de perdre son père, quelques semaines plus tôt. Et il est le dernier de la famille à avoir vu Pierre Laporte vivant.
Sur les témoignages des felquistes, au fil de ces 50 années qui nous séparent d’Octobre : « Je n’ai pas l’intention de voir le film Les Rose. Même si je lis tous les livres, même si je vois tous les films, ça ne ramènera pas mon père. Mon analyse, et c’est trop banal, sans doute, c’est celle-ci : quand vous enlevez quelqu’un, vous en êtes responsable. Tout le reste est secondaire. Accident ou pas… Tuer un homme, c’est inacceptable. »
Sur les circonstances de la mort de son père, encore teintées de mystère : « Comment il est mort, de quelle manière : ça ne m’aidera pas à cheminer. Et si quelqu’un dit quelque chose de faux, que vais-je faire ? Convoquer une conférence de presse pour dire qu’Untel a tort ? Non. »
Je dis à M. Laporte que j’ai vu le film Les Rose, réalisé par le fils de Paul Rose — documentaire sur l’époque qui a permis la crise d’Octobre autant que sur le clan de la famille Rose —, et qu’il y a un bout quand même troublant où Jacques Rose blâme les gouvernements de ne pas avoir négocié avec les kidnappeurs…
Réponse de Jean Laporte : « Ceux qui ont été impliqués dans cette crise n’ont pas fait de mea culpa, car selon eux, ils ont pris les bonnes décisions. »
Je pensais que Jean Laporte me parlait des kidnappeurs, mais il me parlait des autorités politiques à Québec et à Ottawa qui n’ont pas voulu négocier avec les felquistes.
« Il y a des gens en politique, dit Jean Laporte, qui ont pris des décisions pour éliminer le FLQ…
— Sans égard à la vie de votre père ?
— Je le dirais autrement. Ils ont pris des décisions pour tuer le FLQ. Les bombes, la violence : les gouvernements ont décidé de s’attaquer à ça, pour éteindre le nationalisme violent. Une des options, c’était de ne pas négocier la libération de mon père. Et quand mon père est mort, le FLQ n’avait plus de partisans. À ce moment-là, les gouvernements ont gagné et le FLQ a perdu… »
J’ai insisté : les gouvernements ont donc sacrifié votre père ? M. Laporte a réfléchi une seconde. Hésitation ou recherche des mots justes ? Je ne sais pas. Il a fini par répondre : « C’est mon analyse. »
La commémoration des 50 ans d’Octobre a permis de rappeler que René Lévesque, chef d’un Parti québécois naissant, ex-collègue de Pierre Laporte au Parti libéral du Québec (PLQ), s’était rapidement distancé du FLQ. Sans hésitation, sans jouer sur les mots : René Lévesque a dit son dégoût de la violence. Des analystes ont affirmé que M. Lévesque a ainsi contribué à tuer le FLQ, en marginalisant ces souverainistes qui privilégiaient les armes pour faire le pays plutôt que les urnes…
Je soumets cette analyse à Jean Laporte. Il la rejette : « M. Lévesque a joué un grand rôle au fil des années, mais je ne pense pas qu’il ait tué le FLQ. Le FLQ a tué le FLQ. »
Sur une enquête de police, révélée en 1973, qui montrait que deux proches collaborateurs de Pierre Laporte avaient entretenu des liens avec de hauts dirigeants de la mafia montréalaise : « Mon père a été exonéré par la Commission de police du Québec en décembre 1974. Et ça, ça ne sort pas. Quand ces histoires sont mentionnées, on ne mentionne pas la Commission de police », insiste Jean Laporte, vantant au passage le livre de Jean-Charles Panneton sur son père, paru en 2012.
Sur Pierre Laporte, sur ce qu’il fut avant 1970, avant la Crise, avant l’Histoire : « Comme journaliste au Devoir, dit Jean Laporte, il avait exposé des scandales sous Maurice Duplessis. Dans l’“Équipe du tonnerre” de Jean Lesage, il était de cette Équipe du tonnerre. C’était un amant de la langue française, un nationaliste québécois. »
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Cette entrevue avec Jean Laporte est née d’une bulle d’air au cerveau : à la radio, en août, commentant la sortie prochaine du documentaire Les Rose, j’ai dit que le Québec allait bientôt « célébrer » les 50 ans d’Octobre…
J’ai reçu un courriel me suggérant que le mot « célébrer » était peut-être mal choisi.
Signature, au bas du courriel : Jean Laporte.
Sous la signature se trouvait la photo qui accompagne cette chronique, celle de Pierre Laporte annonçant qu’il brigue la direction du PLQ en 1969 (Robert Bourassa l’emportera en janvier 1970), dans sa maison de Saint-Lambert, sous le regard de son fils de 10 ans, Jean…
« Cette photo, me dit Jean Laporte en entrevue, elle illustre bien le lien qui nous unissait, mon père et moi. C’est le fils qui admire totalement son père. »
Cette photo a été prise dans la maison de Saint-Lambert où Jean Laporte a grandi, maison qu’il a rachetée à sa mère et qu’il vient de vendre, il y a six mois à peine.
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La famille Laporte, depuis 50 ans, a choisi la discrétion.
C’est un choix d’une dignité inattaquable.
Le dommage collatéral de ce choix, c’est que les Laporte ont cédé une grande partie de la trame narrative d’Octobre aux nombreux felquistes qui, eux, ont pu dire leur « vérité », au fil des années. Je mets le mot vérité entre guillemets parce qu’il reste encore des parts d’ombre, notamment sur ce qui a mené à la mort de Pierre Laporte, dans ce bungalow de Saint-Hubert.
Depuis quelques semaines, 50e oblige, les détails les plus fins de ce qui s’est passé — ou non — dans les semaines frénétiques d’octobre 1970 ont été passés au peigne fin par les protagonistes encore vivants et par les analystes, détails qui font l’objet de vifs débats souvent très intéressants sur le plan historique.
Qui était à quel endroit, à quel moment ?
Paul Rose a-t-il dit à Jacques Cossette-Trudel, dont la cellule détenait James R. Cross, qu’il devrait tuer le diplomate britannique ?
Et si oui, avec quels mots ? Sur quel ton ?
Et Paul Rose se promenait-il avec un gun ? Oui, disent les uns. Impossible, disent les autres…
Mais qui parle pour Pierre Laporte ?
Car à plonger dans ces détails felco-felquistes, on peut perdre de vue quelque chose de capital dans la crise d’Octobre. Octobre, c’est aussi l’assassinat lâche d’un homme qui était un mari, un frère, un père, un oncle ; d’un homme, Pierre Laporte, qui avait une vie en marge d’une Histoire dont l’ombre pesante plane encore sur toute une famille, dont fait partie Jean Laporte.
Ça aussi, il faut le dire.
Et le répéter.
Cet assassinat a fait basculer l’histoire des Laporte. Et l’Histoire, aussi, avec un grand H, celle du Québec. Après l’assassinat de Pierre Laporte, la sympathie que pouvaient avoir les Québécois pour le FLQ est morte de sa belle mort.
Je laisse le mot de la fin à Jean Laporte : « Les Québécois préfèrent la démocratie à la violence. Et c’est la violence qui a changé la perception du FLQ. »
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