Le défi afghan

Il faut revoir le travail sur le terrain, car déployer 10 000 soldats de plus ne donnera rien si nous perdons l'appui du peuple

Le Canada en Afghanistan


Il y a un peu plus d'un an, la plupart des observateurs dressaient un bilan assez positif de la situation en Afghanistan, quatre ans après le renversement des Talibans. Des élections présidentielles avaient maintenu au pouvoir l'homme des Occidentaux, la violence semblait décroître, et les indicateurs économiques laissaient croire à un avenir meilleur. Aujourd'hui, les plus optimistes déchantent et les membres de l'OTAN, réunis depuis hier à Riga, cherchent une nouvelle stratégie pour éviter de voir l'Afghanistan retomber dans le chaos.
À tout point de vue, l'Afghanistan est un État inexistant. La notion même d'État est ici un concept étranger qui n'existe que dans la tête des Occidentaux. L'emprise du président se limite à la capitale, les chefs de guerre contrôlent de vastes milices et dirigent de petites économies capables de soutenir leur pouvoir, la culture de l'opium prospère, et les pays voisins s'ingèrent dans le jeu politique. Cette situation n'est pas nouvelle dans l'histoire de l'Afghanistan, et l'intervention occidentale après les attentats du 11 septembre n'a pas fondamentalement changé les choses.
Après cinq ans de présence étrangère sur le terrain, tous les spécialistes reconnaissent que l'Afghanistan n'a pas obtenu l'attention nécessaire. Même si des milliards de dollars ont été déversés sur le pays, l'aide par personne n'atteint pas les montants décaissés en faveur de la Bosnie, d'Haïti ou du Timor-Oriental. Le nombre de soldats étrangers déployés sur le terrain est de 30000 pour une population de 33 millions, alors que plus de 16000 soldats de l'OTAN patrouillent le minuscule Kosovo, peuple de deux millions d'habitants. Les divergences entre pays occidentaux sur l'approche à utiliser afin de combattre le terrorisme et les Talibans ont affaibli l'intervention de la communauté internationale.
Il résulte de tout cela une dégradation spectaculaire de la situation sécuritaire dans l'ensemble du pays. Le sud-ouest, où se trouve la région de Kandhahar, quadrillé par les forces canadiennes, est virtuellement en état d'insurrection. Dans le reste du pays, ce n'est pas encore le chaos, mais les attentats se multiplient et la capitale est maintenant durement frappée.
Les Afghans sont donc plongés dans une situation dramatique. Ils ne peuvent compter sur l'administration centrale, craignent le retour au pouvoir des extrémistes et doutent du soutien financier et militaire à long terme de la communauté internationale. Vers qui alors se tourner?
Un effort de plus
L'OTAN devait être la réponse. Du moins le pensait-on jusqu'à tout récemment. Au lendemain de la chute des Talibans, les puissances occidentales ont demandé à l'ONU de prendre en charge le processus politique et à l'OTAN la pacification et la reconstruction du pays. Le choix n'était pas mauvais. L'ONU avait connu des ratés spectaculaires en Somalie, au Rwanda et en Bosnie. La lutte antiterroriste et l'occupation d'un pays aussi turbulent que l'Afghanistan demandaient l'intervention d'une organisation aux reins solides. Après quelques succès, il faut bien se rendre à l'évidence: la stratégie adoptée par les États-Unis et l'OTAN bat de l'aile. Depuis quelques mois, les commandants militaires sur le terrain ne cessent d'alerter leur capitale sur plusieurs signaux négatifs qui ne trompent pas. La population de certaines régions a cessé de coopérer avec les forces occidentales et n'hésite plus à cacher ou à aider les Talibans. Les milices de l'ancien pouvoir ont acquis armes et ressources financières au point où elles sont en mesure de lancer des offensives militaires de plus en plus nombreuses, sophistiquées et mortelles. L'Iran fait lentement main basse sur la région ouest, et le Pakistan tire les ficelles dans tout l'est.
Ce sombre tableau n'a rien pour ressouder les membres de l'OTAN réunis à Riga depuis hier et qui cherchent à relancer leur action en Afghanistan. En fait, ils ne cachent plus leurs divisions. Au cours du week-end, le ministre belge de la Défense a été le premier à ébranler le consensus otanien. "La situation se dégrade et, avec le temps, les forces de l'OTAN risquent d'apparaître comme une armée d'occupation", a-t-il dit en soulignant la nécessité de réfléchir à une stratégie de sortie. Pour sa part, le président français Jacques Chirac a plaidé hier, dans une tribune publiée dans trente-six journaux, pour la création d'un groupe de contact spécial, composé de plusieurs pays de l'OTAN et de la région, "pour donner à nos forces les moyens de réussir leur mission de soutien des autorités afghanes et recentrer l'Alliance sur la conduite des opérations militaires", tout cela afin de gérer la situation et de revoir les options.
Ces états d'âme ne plairont certainement pas aux membres anglo-saxons de l'OTAN. Les États-Unis et le Canada ont demandé aux Européens de faire plus et d'envoyer de nouvelles troupes, et le premier ministre britannique les a invités à faire de même en déclarant que "l'avenir à l'aube du vingt-et-unième siècle du monde" se joue en Afghanistan.
Le défi afghan ne trouvera pas sa solution dans les pronostics ridicules de Tony Blair. Il faut plutôt revoir le travail sur le terrain, avec la population, car, comme le rappelait le commandant de la force de l'OTAN il y a peu, déployer dix mille soldats de plus ne donnera rien si nous perdons l'appui du peuple. C'est bien sur ce plan que les choses se joueront.
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CÉRIUM de l'Université de Montréal


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