Le roi disait le 24 décembre dernier : « En ces temps perturbés que nous vivons, soyons vigilants, et montrons-nous lucides face aux discours populistes. Ils s’efforcent toujours de trouver des boucs émissaires à la crise, qu’il s’agisse de l’étranger ou des habitants d’une autre partie de leur pays. Ces discours existent aujourd’hui dans de nombreux pays européens et aussi chez nous. » On savait que cela allait fâcher le parti dominant en Flandre (autour de 40% des suffrages), rejeté dans l'opposition au fédéral.
Un argumentaire sans réplique?
Pour Guy Verhofstadt, Flamand et ancien Premier ministre une page entière dans Le Soir du 31 décembre ,un quart à sa tribune et le restant à des commentaires sentis qui l'appuyaient pour défendre le roi! Au JT de la RTBF, on parle d'un argumentaire sans réplique!
Le 2 janvier la cheffe de cabinet du Premier ministre (Flamande d'Anvers), Yasmine Kherbache estime au contraire qu'il aurait fallu supprimer le passage faisant allusion aux années 30! Elle citait à l'appui de son analyse une réaction d'un autre ancien Premier ministre flamand (Wilfried Martens) regrettant la mauvaise foi de certains Flamands. Pourtant dès l'audition de ce discours, on savait que Bart De Wever allait répliquer. Je l'ai expliqué dans la chronique de la semaine passée.
A nouveau hier!
Hier Le Soir propose deux pages à deux professeurs de Louvain, Michel Quévit (dont je parle souvent ici pour ses analyses des rapports de force économiques et politiques entre Flandre et Wallonie) et Felice Dassetto pour casser du sucre sur le dos de De Wever.
Quévit cite Laurent Bouvet sur le populisme qui s'en prend « au fonctionnement des institutions politiques en vigueur dans les démocraties représentatives, en critiquant ses élites sur la base de propos simplificateurs ou de clichés qui ne reflètent pas correctement la réalité et la déforme ». Vague comme définition! A la veille des élections ou quand ils se simplifient à l'extrême dans les spots à la télé, tous les politiciens seraient populistes alors?
La démocratie parlementaire est menacée en Europe, mais bien plus par l'Union européenne qui entend faire aboutir un traité d'austérité qui retirera de fait aux Parlements nationaux leur prérogative essentielle, à savoir le contrôle des budgets.
Une bourde de Quévit. Un texte étrange de Felice Dassetto
Michel Quévit reconnaît que la démarche de Bart De Wever est démocratique, mais il regrette que sa réaction a pour effet de monter l'opinion flamande contre le roi, le Premier ministre belge et la Belgique fédérale. Mais en quoi ne serait-ce pas démocratique? Surtout de la part du plus important leader de l'opposition au fédéral? Michel Quévit dit ensuite que Bart De Wever a évoqué la rencontre entre le roi Léopold III et Hitler en novembre 1940, parce qu'elle était dans la ligne droite du populisme du père du roi actuel. Mais Quévit écrit de cette rencontre que Bart De Wever aurait oublié qu'elle fut «bénéfique pour la Flandre puisqu'elle a permis la libération des prisonniers de guerre flamands tandis que les prisonniers francophones demeuraient incarcérés dans leurs stalags».
Bourde. Ce n'est pas cette rencontre qui a libéré les prisonniers flamands mais des décisions allemandes prises en juin et juillet 1940, sur la base de l'idéologie raciste nazie imaginant une communauté de «race» entre Allemands et Flamands, de l'opinion plus hostile au nazisme des Wallons, rappelle l'Encyclopédie du mouvement wallon. Et certains ajoutent aussi à cause de la reddition sans combattre de certains régiments flamands. En fait le père du roi actuel rencontra Hitler (grand populiste, qu'il admirait), en vue de négocier avec lui un rôle politique en Belgique dans la future Europe allemande (voir Velaers et van Goethem, Leopold III. De koning. Het land. De oorlog, Lanoo, Tielt, 1994). Plus loin Quévit rappelle la manière dont la Flandre a profité de l'Etat unitaire. Mais pourquoi fallait-il qu'il défende la monarchie voire la dynastie belge?
Le texte de Felice Dassetto est suspect. Il analyse la manière dont le leader de la NVA se comporte en public et y trouve une similitude avec celle de Mussolini. Le Soir place même face à ces lignes une photo de De Wever où il ouvre une large bouche comme s'il criait, mais toute personne s'exprimant en public a fatalement à un moment donné cette expression du visage. C'est quand même très léger!
La professionalisation à outrance des hommes politiques, en Wallonie et à Bruxelles surtout, leur permanence au pouvoir (beaucoup occupent un ministère depuis dix, vingt, trente ans... ), en font des techniciens qui n'ont à plus proposer à la population que leurs compétences, réelles d'ailleurs, j'en suis convaincu. Mais à force de durer, on gère sans projet. Proposer un projet, c'est plus risqué et comme il faut s'engager très fort quand on le fait par rapport au profil bas de ses confrères, on apparaît si étrange qu'on sera traité de populiste. C'est vraiment un mot fourre-tout. De Gaulle, André Renard, ont été traités de populistes et Mélenchon l'est aussi : tous ceux qui restent des hommes politiques somme toute.
Une réflexion sur le populisme
Qu'est-ce que le populisme? En 2005, Français et Néerlandais ont rejeté le traité européen. On en a écrit un nouveau que l'on s'est gardé de proposer à l'approbation populaire cette fois, mais soumis aux Parlements, plus «sûrs».
Il y a certes un antiparlementarisme populiste qui prétend supprimer la médiation opérée, par les institutions démocratiques (parlements, gouvernements), entre la souveraineté populaire en son exercice originel et la décision politique concrète finale. Il débouche sur le fascisme. Mais il existe aussi à mon sens un antiparlementarisme parlementaire (et gouvernemental) qui est le mouvement inverse. L'antiparlementarisme populiste nie l'aval de la démocratie, les institutions démocratiques, et prétend supprimer leur médiation.
L'antiparlementarisme parlementaire , lui, nie l'amont de la démocratie, le peuple ou l'espace public. L'antiparlementarisme parlementaire ne supprime en tout cas pas l'ultime médiation, l'élection purement formelle des Parlements et leurs débats vides. Mais il se coupe de ce qui le relie à la source vive de la démocratie, c'est-à-dire, pour citer Kant, «l'usage public de sa raison» par la communauté des citoyens, l'espace public originel et originaire dont l'enceinte parlementaire est seulement dérivée.
Ce n'est pas la même chose de dire que les Parlements n'assurent en aucun cas la représentation populaire (fascisme et populisme) et de dire que les Parlements actuels en Europe assurent de plus en plus mal cette fonction. Ils sont peuplés de technocrates dont beaucoup sont désignés par les partis et dont d'autres sont des suppléants qui ne doivent leur siège qu'au fait de remplacer les ministres en place. S'ils votent contre ces ministres en place, ils perdent leur siège. Il y a là quelque chose de vicié. Ce sont d'ailleurs des anciens parlementaires wallons et des syndicalistes de gauche qui ont fait à mon sens la plus brève et la meilleure analyse du déclin tragique du parlementarisme en Wallonie.
La tentation antiflamande
Alors que les partis flamands présents dans l'actuelle coalition gouvernementale fédérale belge ne représentent qu'un peu plus de 40 % des députés flamands, on peut dire que les partis wallons et francophones présents dans la coalition représentent entre 80 et 90 % de la représentation parlementaire fédérale wallonne et francophone. Les Verts qui n'en sont pas, participent au gouvernement régional wallon et soutiennent le programme institutionnel du gouvernement. Il n'y a donc pratiquement plus d'opposition côté wallon (le FDF mis à part, mais c'est quelques députés bruxellois).
Du coup, que reste-t-il à faire sinon taper sur les autres, les Flamands? En rendant responsable le principal parti flamand du risque qu'il représente puisqu'il veut aller plus loin dans l'autonomie aux entités fédérées. Or, cette absurde tactique wallonne (rentable électoralement auprès des Wallons les moins conscients), a privé l'Etat fédéral de tout gouvernement quasi de 2007 à 2011.
Une différence entre le Québec et la Wallonie
Le NON aux Flamands n'a pas le même sens qu'il aurait au Canada. Quand les Québécois indépendantistes disent NON au Canada, c'est qu'ils veulent s'en rendre libres. Quand les Canadiens anglais disent NON au Québec c'est qu'ils veulent le garder. Mais quand les Wallons disent NON aux Flamands - du moins les Wallons au pouvoir et hélas! ils y sont tous pour l'instant - c'est par attachement stérile à l'unité belge et par peur de l'autonomie wallonne. Le discours antiflamand fait croire que l'on défend la Wallonie alors que c'est surtout à l'endormir qu'on s'active. S'acharner sur la NVA n'a d'ailleurs guère de sens puisque c'est plus que probablement ce parti avec lequel il faudra bien négocier après les élections de 2014. Et même si ce n'est pas le cas, la Flandre est toujours demanderesse de beaucoup plus d'autonomie. Le Parlement flamand le demande depuis 1999, mais les Wallons et les francophones, à la faveur d'un prétendu déclin du régionalisme dans l'opinion publique, refusèrent de négocier quoi que ce soit, disant non de plus en plus durement, ce qui a été tout bénéfice pour la NVA qui est devenue, par là-même, le premier parti de Flandre avec des résultats qui peuvent faire penser qu'il pourrait y atteindre la majorité absolue en 2014.
Ce que l'on dit de mal de la NVA en Wallonie et à Bruxelles risque peu de nuire à ce parti et risque surtout de le favoriser. Je suis réticent vis-à-vis des idées de droite de la NVA. Mais la politique actuelle du gouvernement belge est de toute façon une politique très à droite de soumission à l'Europe. Prendre le chef de la NVA comme bouc émissaire, c'est cela le populisme. Le danger pour la démocratie vient de l'Europe et le danger pour la Wallonie vient de ceux qui détournent les énergies wallonnes de se préparer, pour le moyen et le long terme, à la disparition de la Belgique et à la liberté. Ceux qui ont peur de la liberté tapent sur les autres. Triste monde politique et médiatique wallon! Triste Premier ministre qui a tout renié : la Wallonie et le socialisme. Et, comme le disait Saint-Ex, «qui s'en va plus vain qu'un mort».
L'important, au-delà de la fidélité, c'est la confiance en soi.
PS: Meilleurs voeux aux amies et amis du Québec, le pays que j'espère revoir cette année!
Une Absurde Wallonie antiflamande
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
Cliquer ici pour plus d'information
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé