Un coup de pratique

Un premier budget pour un gouvernement minoritaire, c'est comme une «vie» en réserve dans les jeux vidéo. C'est comme un coup de pratique.

Budget MJF - baisses d'impôts


Pour qui a suivi depuis trois ans les fébriles joutes politiques pré-budgétaires à Ottawa dans un contexte de gouvernement minoritaire, le calme relatif qui règne à Québec ces jours-ci a quelque chose d'étrange.



Serait-ce que l'opposition est encore trop sonnée par le résultat du 26 mars pour engager une vraie partie de poker contre le gouvernement? Serait-ce que la bande à Mario est trop inexpérimentée pour sauter dans l'arène (et Mario lui-même trop occupé à surveiller sa bande)?
Serait-ce que les députés péquistes ne peuvent sonner la charge parce qu'ils n'ont plus de chef pour donner les ordres? Ou serait-ce, plus simplement, que les deux partis de l'opposition, qui sont très occupés à se disputer les fauteuils dans les commissions parlementaires, n'ont pas encore bien compris les nouvelles règles du jeu sous régime minoritaire?
Chose certaine, ni l'ADQ ni le PQ n'ont tenté de façon convaincante de forcer le jeu et n'ont essayé d'influencer la rédaction du budget que dépose aujourd'hui Monique Jérôme-Forget.
C'est particulièrement frappant chez Mario Dumont. Que le chef de l'opposition officielle vote contre le budget, voilà qui est parfaitement normal. Mais devant un gouvernement minoritaire, donc dans un contexte de pré-campagne électorale, il faut profiter de l'occasion pour proposer ses propres solutions, il faut dire haut et fort ce que l'on ferait si on tenait le crayon et la calculatrice de madame la ministre des Finances.
Ce qu'a finalement fait, hier, Gilles Taillon, liant l'appui de l'ADQ à quatre demandes: un véritable équilibre budgétaire, un meilleur contrôle de la dette, la régularisation de la comptabilité gouvernementale et l'adoption d'une politique tarifaire modérée. Curieux, tout de même, pour le parti du «vrai monde et des vraies affaires», d'accoucher de conditions aussi vasouilleuses.
Contrairement à ce qui se passe à Ottawa dans les jours précédant le dépôt du budget, le premier ministre n'a pas rencontré les chefs des partis de l'opposition (un flou persiste là-dessus: le bureau de Jean Charest affirme qu'il y a eu rencontre, celui de Mario Dumont nie).
Il y a bel et bien eu des rencontres entre Monique Jérôme-Forget, François Legault du PQ et Gilles Taillon de l'ADQ, desquelles peu de détails ont filtré. Le critique adéquiste s'est plaint du peu d'écoute de la ministre, affirmant qu'elle l'a rencontré alors que le budget était déjà imprimé. Ce à quoi les libéraux répondent que M. Taillon est arrivé les mains vides. Il faut dire que l'ADQ est coincée: si le gouvernement Charest pond un budget trop proche des priorités adéquistes, il sera difficile de voter contre. On a vu déjà, il y a deux semaines, que Mario Dumont était à court d'arguments tant le discours d'ouverture de M. Charest ressemblait à une photocopie du programme de l'ADQ. C'est le métier qui rentre.
Ce que l'on sait, c'est que l'ADQ et le PQ sont contre les baisses d'impôts financées à même l'augmentation des paiements de péréquation consentie par Ottawa dans sa solution au déséquilibre fiscal. Du moins, contre en principe, contre la manière, parce qu'il est risqué de priver, même au nom des plus nobles principes, les honnêtes contribuables de modestes baisses d'impôts.
Ils sont contre, mais pas assez pour renverser le gouvernement. Le PQ, sans chef, endetté et poqué, ne peut pas et ne veut pas repartir en élections maintenant. Cela dit, le «deuxième parti d'opposition» comme on l'appelle à l'Assemblée nationale, vient de recevoir une mégadose d'adrénaline avec le retour de Pauline Marois. Soudainement, le rapport de force vient de changer. «Personne ne veut d'élections maintenant, mais il y a des limites à renier nos principes», résume François Legault, ragaillardi par l'arrivée de Pauline Marois dans le paysage.
Bravade ou menace réelle? Les libéraux se méfient en tout cas et certains redoutent même des élections estivales. Cela serait étonnant, toutefois.
Normalement, les gouvernements minoritaires survivent à leur premier budget, à moins d'une grave erreur d'ordre arithmétique, comme l'a constaté Joe Clark en 1979.
Un premier budget pour un gouvernement minoritaire, c'est comme une «vie» en réserve dans les jeux vidéo. C'est comme un coup de pratique.
Cela ne dispense toutefois pas l'opposition de pousser le gouvernement dans les câbles, question de bien lui rappeler que sa survie est entre les mains de ses amis d'en face.
La priorité, cette semaine, aurait dû être le budget, mais M. Dumont considère apparemment qu'il a déjà perdu cette partie de poker. Il a donc mis sa cape de tough pour réclamer une loi spéciale à la STM alors que la première journée de grève n'était même pas terminée. Cela plaira sans doute à une bonne frange de son électorat, mais le fait de sauter si vite sur les mesures extrêmes démontre un empressement plutôt inquiétant pour quelqu'un qui aspire à devenir premier ministre.
Parlant des électeurs de l'ADQ, c'est à eux qu'a pensé Monique Jérôme-Forget en écrivant son premier budget. Priorité classe moyenne, donc.
Un budget qui ne portera pas que la signature de la ministre, mais aussi son style, dit-on à Québec. Direct, ciblé, pas de longs discours ni de saupoudrage, mais plutôt quelques mesures concrètes qui auront un impact réel. Avec quelques compromis pour s'assurer de l'appui du PQ, minorité oblige.
Après la formation du cabinet et le dévoilement du discours d'ouverture, le budget représente le test ultime pour le gouvernement Charest, qui doit démontrer plus que jamais qu'il a bien compris le message du 26 mars tout en se donnant quelques munitions électorales. Au cas où…


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