Québec : un bordel vide pour humains privés d’individualité
Le conflit sur la hausse des droits de scolarité masque un débat de société plus large; un changement de perspective de gouvernance nécessaire et ce, non seulement pour le Parti libéral du Québec mais aussi pour l’ensemble des acteurs politiques québécois. Il y a un manque désolant d’imagination de la part de nos gouvernements depuis au moins 25 ans.
Chez nous, on traite les citoyens non pas en individus mais en clone du voisin; en copie numérique et standardisée. Depuis la célèbre Révolution Tranquille, seuls les programmes mur à mur ont la cote. En grands ingénieurs sociaux, les décideurs posent un problème et croient naïvement ou paresseusement qu’il existe à la complexité du social des solutions faciles; des concoctions magiques; des lois encadrantes qui, selon eux, peuvent prendre en compte l’infinie richesse de la nature humaine. Erreur majeure, pour ne pas dire monumentale. Les québécois en ont marre de se sentir comme des numéros; comme des créatures de l’État; comme des pantins salariés d’une machine qui, plus souvent qu’à son tour, sort carrément du domaine de la raison.
Résultat : tintamarre dans les rues … tintamarre qui, soit dit en passant, ne saurait être ici associé au régime Pinochet du Chili mais plutôt, à la Nouvelle-France alors que les concerts de casseroles (à l’époque nommées chaudrons) servaient au peuple pour signifier au Seigneur, propriétaire des terres et chef des opérations économiques, que la populace avait faim et que ne cesserait le bruit que lorsque les estomacs seraient assouvis. Au passage je dois écorcher le quatrième pouvoir qui dit n’importe quoi n’importe comment et, surtout, choc au quotidien l’intellectuel de ceux qui s’intéressent à davantage que ce qui figure sur la liste des ingrédients d’une boîte de céréales bon marché. Autre blessure au vif dans le présent débat : le profond mépris de toute une société pour ses intellectuels.
Chez nous, vaut mieux être plombier que scientifique. En effet, rien n’incommode plus qu’une toilette bouchée alors que l’esprit bouché lui, ne laisse derrière que des avantages pour une injustice flagrante ainsi plus facilement justifiable aux esprits creux et donne une main d’avance à tous les profiteurs de ce monde; aux injustes de tout acabit. Trêve de défoulement, prenons l’exemple du système de prêts et bourses québécois puisque le vieil adage en faisant foi, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud.
Chez nous, seul le revenu compte afin de déterminer l’aide qui doit être apportée ou non à un étudiant. Absurde lorsque l’on sait que le revenu n’est qu’un indicateur social parmi d’autres des besoins des multiples groupes sociaux qui constituent une société moderne. Une aide financière qui se respecte devrait considérer l’ensemble de la réalité de chacun des étudiants et non une simple ligne de déclaration de revenus parentaux. Pour ce faire, pas besoin de nouvelles agences, nous disposons déjà dans chacun des établissements d’enseignement d’un bureau d’aide financière aux études.
Pour une fois, pourrions-nous faire de nos fonctionnaires autre chose que des administrateurs de formules et des justificateurs de décisions administratives sans fondement et sorties de nulle part ? Pour une fois, est-ce qu’un être humain pourrait travailler avec des individus et non avec des cases à remplir ?
Est-il normal par exemple qu’un étudiant des régions qui doit se déplacer pour étudier dans une grande ville ne reçoive pas davantage qu’un étudiant dont les parents sont propriétaires urbains ? Est-il normal qu’un diplômé au chômage rembourse ses dettes d’études au même rythme qu’un financier ou qu’un docteur en médecine qui gagne plusieurs centaines de milliers de dollars par année ? Est-il normal qu’il n’y ait aucun mécanisme automatique qui permette aux étudiants de toucher la rente parentale que le gouvernement considère que la famille doit verser ? Le chantage parental scolaire au Québec ne cesse pas à 18 ans mais bien à 22-24 ans. L’âge de la majorité ne veut donc rien dire ici, du moins, pour tous ceux qui ont décidé d’injecter du savoir dans leur cerveau au lieu d’aller s’embaucher dans les quelques rares usines qui survivent tant bien que mal sur notre territoire.
En effet, combien d’étudiants de toutes les classes moyennes ne reçoivent pas, pour cause de conflits de valeurs, les montants parentaux que l’État prend pourtant en considération pour déterminer l’aide financière gouvernementale qui doit leur être versée ? Des milliers est la réponse et ce sont eux, entre autres, qui descendent depuis des jours dans la rue. Avec un droit vient une responsabilité clame le gouvernement et bien, dans ce dossier, il est facile de lui relancer la balle. Vous considérez que la famille doit subvenir aux besoins de ses étudiants jusqu’à l’âge de 24 ans alors vous avez aussi la responsabilité de veiller à ce que les étudiants reçoivent leur dû. Au fait, rien ne justifie ce double standard en matière de majorité économique : l’un pour ceux qui ne poursuivent pas d’études et l’autre pour ceux qui poursuivent des études.
Revenons à la faune étudiante qui est plus que bigarrée afin de mieux comprendre les enjeux de l’accessibilité aux études. Quelques rares et sans aucun doute doués fils et filles d’assistés sociaux, de travailleurs au salaire minimum et d’autochtones font des études supérieures. Pour ces derniers : gratuité scolaire ou presque, ils n’auront pratiquement pas de dette lors de leur diplomation. Bien, personne n’est contre la vertu. Néanmoins, ils devront fréquenter les banques alimentaires, user les vieux souliers, vivre sans télévision, minimiser l’utilisation du cellulaire, utiliser l’ordinateur de l’école et travailler de nombreuses heures par semaine. Même sans dette au sortir des études, ils ne reçoivent pas assez de bourses. 100$ mensuellement d’ajout semble raisonnable et ici, l’indexation aux coûts de la vie devrait s’appliquer afin que leurs bourses suivent la valeur du panier de consommation. Autre solution, pourquoi ne pas leur offrir l’énergie électrique gratuitement durant leurs études ? Cela pourrait être un coup de pouce pour ceux qui doivent quitter le domicile familial sans grandes ressources. Il y a donc l’accès aux études qui est d’un côté garanti mais, de l’autre côté, il y a une condition de vie dégradée qui ne favorise pas la persévérance scolaire, notamment pour les cycles supérieurs.
Viens ensuite quelques rares mais moins rares fils et filles de famille ouvrière, de petits employés de bureau et de famille de profession (ex. enseignant, infirmière, …) mais monoparentale : entre 25 000 et 45 000$ brut par année avec un étudiant à charge. Pour eux, la situation est très difficile, surtout s’ils se consacrent à l’étude de l’être humain qui malheureusement au sein de notre société n’est pas une filière payante. Paradoxalement, ce sont souvent eux qui ont davantage le besoin de comprendre l’humain, les injustices, la société, les valeurs, la spiritualité. Pourquoi ? Simplement parce qu’ils veulent comprendre ce qui a maintenu durant des générations leur famille au plancher. Doués ils le sont ou, du moins, ils ont évolués dans un milieu qui, bien qu’économiquement pauvre, valorise le savoir, l’effort et le mérite qui devrait venir récompenser un jour le travail acharné. Pour eux, la route québécoise sera jalonnée de déceptions. Au sortir des études, ils auront des dettes pouvant aller jusqu’à 50 000$. Donc, ici, encore une fois, l’assistanat social semble préférable au petit salariat. La condition de vie de ce groupe est elle aussi dégradée, la persévérance difficile et, en plus, sans réseau social au sortir des études, ils peineront durant des années pour rembourser un lourd fardeau économique.
Quel est le message qui doit être entendu ? Quelle est la valeur qui justifie ceci au sein de notre société ? Serait-ce que l’on se donne bonne conscience en aidant le boiteux alors qu’à deux pas de là, on estropie le fragile ? Que quelqu’un m’explique, je ne comprends pas. À moins que ce ne soit une volonté de maintenir le fils du manœuvre au rang de manœuvre parce que, avouons-le, sans manœuvre il n’y aurait rien ? Mieux, il faut une grande masse de manœuvres afin de s’assurer de mieux pouvoir exploiter sur un marché du travail de l’offre et de la demande. Cessons les questions car il n’y a au bout, pour la classe moyenne inférieure, qu’un goût amer et persistant d’injustice et d’affront. Pour eux aussi le ‘Kraft Dinner’ est sur la table et leur aide financière aux études devrait être équivalente à celle apportée aux assistés en tous genres. Ceci serait un véritable pas vers un objectif à moyen terme de gratuité scolaire et un pas de géant pour l’accessibilité aux études et la persistance vers les cycles supérieurs.
Viens ensuite la classe moyenne moyenne. Le cœur; le temple du rêve québécois, entre 45 000 et 65 000 dollars brut par année pour un étudiant à charge. Pour plusieurs d’entre eux, l’aspect moyen se poursuit dans l’activité académique. Dans un système éducatif qui investirait sur le talent, nombre d’entre eux ne seraient jamais bachelier. Si vous êtes un moyen, sans grande volonté ni talent, au Québec, vous pourrez tout de même étudier. Notre système mur à mur joue enfin ici son rôle. C’est pour eux, que nous nous égorgeons en impôts. Si vos parents sont des moyens, que vous soyez intelligent ou non, vous pourrez au Québec faire un B.a.c.c. Un B.a.c.c trop souvent sans grande valeur intellectuelle mais, un B.a.c.c quand même.
Conséquence : des enseignants qui ne passent plus leur examen de français, des petits administrateurs qui se croient supérieurs à des maîtres, des éducateurs qui joignent allègrement le si et le ‘rais’ à toutes les sauces béchamel, des orienteurs qui désorientent en poussant les jeunes non pas vers leur passion et leur talent mais vers ce dont le marché du travail à besoin : des exécutants sans esprit critique, des jeunes sans grande envergure qui demande des injonctions pour poursuivre des études afin de diplômer mais, sans aucune curiosité intellectuelle; ces derniers ne liront d’ailleurs que les lectures obligatoires, soyez en assurés. Ouf, la classe moyenne avec sa mentalité matérialiste et surendettée.
Pendant que se versent les prêts aux rejetons moyens, à même les impôts qui dit-on asphyxient la classe moyenne, papa et maman moyens, unis, payent leur chalet, leur chaloupe, leur troisième véhicule, leurs cartes de crédit car, pour la classe moyenne au Québec, il n’y en a jamais assez, leur véhicule de plaisance, leur gym pour ne pas vieillir trop vite, leur tapis roulant qui prendra la poussière dans leur immense sous-sol qui ne sert à rien, leur blanchiment de dents, leur lunettes dernier cris, etc. Rien de trop beau, pas pour la classe ouvrière, pour la classe moyenne : l’aspirante bourgeoisie québécoise pour employer exprès un vocabulaire dit-on démodé, occupe toutes les lèvres. Au sortir des études, les rejetons devront environ 15 000$ et auront vécus, si la contribution parentale a été versée, décemment. Papa et maman payant le logement, la nourriture, les frais de scolarité, les livres, les frais afférents, un ordinateur récent, un téléphone intelligent, etc. Ce sont d’ailleurs ces mêmes fils et filles gâtés de classe moyenne moyenne qui ont œuvré pour la propagande internet visant à discréditer le mouvement étudiant en prenant pour celle de tous, la situation privilégiée qui avait été la leur. À leur table, un bon café et un steak bien saisi ne sont pourtant pas rares. À les entendre dans le présent débat, tous devraient vivre l’austérité et une vie frugale durant leurs études sauf eux. Ce que Charest leur propose, encore davantage d’endettement mais, cette fois ci, pour leurs enfants. Yahoo, ils applaudissent pourtant au statuquo, ce sont des libéraux par excellence.
Puis la classe moyenne supérieure, la silencieuse, la sans visage; sans stéréotype : entre 65 000 et 95 000$ par année : les cadres, les équipes de gestion, les employés des grandes usines et leur femme qui travaille à temps partiel, les contremaîtres, les chefs en tous genres, les commerçants, les entrepreneurs moyens, les agriculteurs industriels, les propriétaires fonciers, les journalistes (avant la précarité d’emploi), les héritiers moyens, les enseignants des études supérieures, les techniciens qualifiés et en demande, les ingénieurs, les avocats, etc.
Après avoir profité allègrement des impôts payés par la classe moyenne moyenne et la classe moyenne inférieure, ces dernières finançant les études secondaires privées de leurs enfants, ils en rajoutent en se saisissant de l’argent des prêts pour études supérieures de leurs enfants afin de placer ces montants au sein de leur portefeuille diversifié et ainsi de leur assurer un avenir encore meilleur ou, encore, ils financent sans intérêt l’achat d’un véhicule neuf pour l’image précieuse de leur progéniture fortunée. L’idée du pouvoir titille déjà beaucoup ici. Champions pour plusieurs de l’évasion fiscale substantielle (d’importance), on se demande même pourquoi ils reçoivent quelque aide que ce soit. Ils n’en ont pas besoin si leurs parents respectent leur engagement parental jusqu’à ce que les jeunes aux études atteignent 24 ans. Charest, sans surprise, veut principalement aider ce groupe à toucher davantage de prêts à des taux d’intérêts ridicules, il en fait même son souci de justice dans son offre au mouvement étudiant. Quelle dérision ! Plus de prêts pour la classe moyenne supérieure : pourquoi ? Pour satisfaire les amis du Parti et les institutions financières, il n’y a pas d’autre explication.
Enfin, il reste ce que nous appelons communément les riches … oh oh !!! Au Québec (risible), ceux qui ont passé le cap des 100 000$ par année.
Attention, nous commençons à marcher sur des œufs. La question s’impose. Ne devaient-ils pas payer davantage de frais de scolarité et de frais afférents et tiens, pourquoi pas, davantage d’impôts ? Eux aussi financent les études secondaires privées de leurs enfants à même les deniers publics et, que dire de leur évasion fiscale sinon de dire qu’il y a carrément vol. Sans parler de la collusion, de la corruption et de toutes les autres tentations du pouvoir : délits d’initiés, fraude, etc. Tiens, je suggère que nous ne financions plus les écoles privées secondaires et que nous demandions 10 000 $ par année en frais de scolarité (comme aux États-Unis dans une Université Publique) aux nantis de notre société. Avec cet apport substantiel, nous devrions pouvoir éviter d’augmenter la facture de tous les autres, même de la classe moyenne supérieure et continuer ainsi de garantir la qualité de l’enseignement en mettant un terme une fois pour toutes au sous-financement des études supérieures au Québec.
Qui a dit que les frais de scolarité eux, devaient être les mêmes pour tous ? Qui ne veut-on pas froisser dans le présent débat ? Qui mène au Québec, le gouvernement, les riches, la rue ? À vous de voir, moi, en attendant, j’observe et me désole d’un système qui divise pour régner, qui s’abreuve de la rage des uns contre les autres, que je partage tristement moi-même, le texte parlant à ce sujet par lui-même. Je me sens lasse d’un débat qui n’en finit plus et qui ne semble mener à aucune piste de réflexion et de solution sérieuse. La gratuité scolaire existe et fonctionne ailleurs dans le monde, elle prend toutes sortes de formes, à nous de trouver la nôtre mais, je sais que le mur à mur n’est pas une solution, que le talent doit être récompensé, que la médiocrité ne doit pas être financée, que la justice doit exister dans la capacité de rembourser ses prêts aux études, que les jeunes des régions doivent obtenir davantage de support, que le gouvernement doit s’assurer que l’aide parentale est versée, que les écoles secondaires privées ne doivent plus être financées, que la classe moyenne inférieure et les plus démunis doivent vivre dignement une réelle gratuité scolaire, que la classe moyenne moyenne accepte une hausse minime et symbolique de ses frais de scolarité, 50$ par année par exemple. Que la classe moyenne supérieure se débrouille seule, elle fera un voyage de moins dans le sud par année et, finalement, que les riches contribuent bien davantage. Voilà, j’ai vidé mon sac. Trop long sans doute pour être un article publié mais je crois néanmoins qu’il mériterait de l’être.
Bien à vous,
Sacki Carignan Deschamps
Sociologue et maître en études internationales (diplomatie et négociations stratégiques)
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Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise
Sacki Carignan Deschamps3 articles
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