Il n’est pas toujours simple d’expliquer à l’extérieur à quel point la division de la Belgique relève de facteurs objectifs qui dépassent la volonté des êtres. Jean Gandois, grand patron français invité au début des années 1980 à conseiller le gouvernement belge dans la grave crise sidérurgique opposant Wallonie et Flandre a tenu à en témoigner dans Mission acier, Duculot-Gembloux-Paris, 1986.
Un témoignage français
Jean Gandois note que « pour arriver à comprendre », il a été obligé de « plonger dans le droit constitutionnel belge (…) Je n'ai cessé, ensuite, pendant deux ans, d'essayer de mieux comprendre le fonctionnement des institutions. Je crois que j'ai été séduit dans mon esprit et dans mon coeur: d'abord sur le plan intellectuel; il faut bien dire que la construction institutionnelle de la Belgique est un exercice extraordinaire et particulièrement sophistiqué, qui me semble tout à fait caractéristique de l'ingéniosité et de l'imagination belges. Ensuite, au plan affectif, il y avait deux façons, je crois, de ressentir ce message. L'une, décevante, qui, dans toutes ces complications, ne voyait que le côté terre-à-terre, parfois un peu mesquin, qui avait pu les engendrer. L'autre, qui me toucha, traduisait, à travers ces textes compliqués, l'effort désespéré de quelques hommes pour arriver à faire vivre ensemble, au coeur de notre Europe, deux communautés humaines qui ont tant de raisons de conjuguer leurs efforts, mais que l'histoire, la culture, la langue, séparent en les entourant de mauvais démons qui les incitent à chaque instant à se dresser l'une contre l'autre.» (Jean Gandois, Mission acier, Duculot, Gembloux-Paris, 1986, p. 49). Or, en 1986, la majorité des compétences étatiques restaient à 80-90% fédérales. Aujourd’hui, c’est 50/50 et on va (il y a un accord tacite entre partis flamands et wallons à cet égard), augmenter encore l’autonomie de la Flandre, de la Wallonie et de Bruxelles. Je pourrais remonter à la bataille de la Lys en 1940 (les deux/tiers des troupes flamandes soit ne combattent pas l’envahisseur allemand, soit se rendent à lui sans combattre), à la division sur Léopold III en 1950… Mais un élément de l’actualité est venu confirmer la profondeur des divergences.
Agriculteurs wallons et flamands
Toute l’Europe des producteurs de lait souffre de la dérégulation des marchés agricoles. Chez nous, cette semaine, ce sont les producteurs wallons qui se sont battus autour des super-marchés, sur les routes (en bloquant les fournisseurs avec des tracteurs), pour contraindre la grande distribution à offrir un meilleur prix. On n’a pas vu (ou guère), les agriculteurs flamands. Des avantages dérisoires ont été atteints. Mais hier soir au Journal Télévisé (de la RTBF cette fois), un agriculteur de Dinant exprimait son amertume que les Wallons aient été les seuls à se battre alors que le prix de la demi-victoire sera empoché par tout le monde. Pourtant, dans les mêmes médias télévisés (où, je pense, on ne comprend pas toujours bien les problèmes agricoles), les journalistes lançaient des appels à l’unité, estimables en principe, mais dans les faits assez vains tellement l’agriculture en Wallonie diffère de l’agriculture en Flandre plus en phase avec un certain libéralisme qui a envahi l’agriculture. C’est même assez étonnant que, au début de cette semaine, Sabine Laruelle ait été présentée comme la ministre fédérale de l’agriculture alors qu’elle ne l’est en réalité que de manière honorifique (elle n’a plus que des compétences réduites à presque rien, mais garde ce titre pour des raisons peu claires: les vrais ministres de l'agriculture sont le ministre wallon et le ministre flamand avec, juridiquement, autant de pouvoirs qu'un ministre danois, italien ou français). Cette ministre – certes excellente et ancienne syndicaliste agricole – n’a d’ailleurs pas réussi à réunifier les agriculteurs wallons et flamands, même pas les syndicalistes wallons de la FWA (Fédération wallonne de l'agriculture), où elle a joué un rôle dirigeant. Les premiers auraient même peut-être avantage à trouver des alliés en France, par exemple, où l’hostilité à la politique européenne est bien plus profonde qu’en Flandre. Le Gouvernement français en est d’ailleurs conscient.
Séparer ce n’est pas haïr
Je jure bien que si deux des exemples que je viens de donner (la bataille de la Lys et la bataille – heureusement moins sanglante ! - pour le lait), sont des exemples favorables aux Wallons, mon intention n’est nullement manichéenne. Et d’ailleurs, je me souviens de gestes extraordinaires (dans les années 90), de solidarité des agriculteurs flamands partant en Wallonie (le climat y est un peu différent et il y a parfois des décalages dans les moissons), pour aider leurs collègues wallons dépassés par les intempéries qui avaient retardé leurs récoltes (mais épargné les récoltes flamandes). Je ne vise pas à diviser pour le plaisir ni à noircir les Flamands. Je plaide simplement, au nom de faits innombrables pour une séparation de la Flandre et de la Wallonie, car c’est la seule issue humaine. L’unité belge nuit à notre entente, voilà le fond du problème. Les unitaristes nous divisent et multiplient les conflits en retardant l’émancipation tant de la Flandre que de la Wallonie (et même de Bruxelles), à l’égard de la Belgique.
Tout divise Wallons et Flamands
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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