Tous les Wallons ne ronronnent pas

Chronique de José Fontaine

Le système particratique en Wallonie (avec ses prolongements à Bruxelles), y étouffe la démocratie. Je l'ai décrit dans les précédentes chroniques. Ce qui va me permettre de le résumer en détachant bien les choses. Les nuances ont été déjà faites, de sorte que je vais pouvoir dire les choses avec la dureté qui convient à l'analyse.
Les partis : des équipes de foot jouant plusieurs matchs en même temps
Il y a en Belgique de langue française, une «scène» fédérale, une «scène» wallonne, une «scène» bruxelloise (et même une « scène» francophone pour compliquer tout, heureusement moins importante de fait), au-delà une« scène» européenne à laquelle la Belgique participe avec son profil singulier qui, là aussi, est désespérément conformiste. Les partis se distinguent d'après les critères classiques : gauche, centre, droite et les extrêmes à gauche et à droite (peu représentés). Ce n'est pas mauvais en soi. Mais c'est aussi une façon de mettre tout à fait au second plan les «scènes» (cadres wallon, belge, européen), dans lesquels on évolue, qui devraient se distinguer clairement, mais qui sont confondues pour le plus grand malheur de la démocratie qui suppose clarté et responsabilité. Les partis dispatchent leurs ministres (les présidents disent maintenant qu'ils les «désignent» ou les «nomment» ce qui est contraire aux textes et à leur esprit), à tous les niveaux de pouvoirs. C'est surtout vrai du côté wallon où la démocratie est étouffée. Elio Di Rupo règne sur le plus important parti wallon, le PS. Depuis une bonne dizaine d'années il le dirige et dirige aussi (ce qui n'est pas la tradition chez nous), tantôt la Wallonie (en 1999-2000 puis en 2005-2007 mais c'est la présidence du PS qui demeure sa priorité), tantôt même la Belgique (depuis décembre 2011 mais après avoir gardé le premier rôle dans les négociations pré-gouvernementales, depuis juin 2010 tout en étant, depuis 1999, comme président du PS, l'acteur le plus important de la politique fédérale avec quelques collègues). Et il reste bourgmestre de Mons! on n'a jamais vu ça! «En titre» ou «empêché», c'est-à-dire «de fait» comme il est «de fait» le Président wallon et reste « de fait» aussi le Président du PS ou «en titre» (du jamais vu aussi chez nous). Il ne faut pas se braquer sur cette personne. Elle est simplement l'élément le plus visible d'un système qui étrangle la démocratie.
La Wallonie sans vrais responsables à sa tête
Paul Dirkx, professeur à l'université de Nancy, dans un ouvrage que je suis en train de lire, La concurrence ethnique (éditions du croquant, Bellecombe, avril 2012), manifestement opposé aux différentes réformes de l'Etat qui ont transformé la Belgique en pays fédéral, parle sans cesse (avec les guillemets) de «Wallonie» et de «Flandre». Pour lui, ces deux entités n'existent pas et sont la création artificielle de ce qu'il appelle l'«ethnolibéralisme» en train de décomposer l'Europe à partir du centre principal d'infection que serait la Belgique. Je ne partage évidemment pas l'avis de Paul Dirkx sur la Wallonie (sans guillemets). Francophone de Flandre et nostalgique de la Belgique unie, Paul Dirkx a sans doute trouvé un éditeur français ravi de lire chez lui que tout ce qui se passe en Belgique relève du surréalisme, manière d'encourager les Français à ne jamais rien comprendre à rien à la Belgique, l'un des défauts pour nous du journal Le Monde Diplomatique (pourtant si nécessaire à d'autres égards). Mais les analyses unitaristes qui mettent en cause chez lui la légitimité de la Wallonie finiront par se justifier du fait que tant au niveau du parlement que du gouvernement, les équipes et les personnes responsables sont des délégués des machines partisanes dont le champ d'action n'est précisément ni wallon, ni francophone, ni belge, ni européen, mais tout cela à la fois. Quoi d'étonnant dès lors que l'opinion publique, depuis le fédéralisme, pense que l'on a simplement multiplié les gouvernements dans le cadre belge, ceux-ci s'additionnant au seul gouvernement existant auparavant. L'opinion se trompe, mais les partis fonctionnent de telle façon que la démocratie en Wallonie soit perçue comme opaque ou absurde. Ce sont tout de même de graves responsabilités que prennent là les responsables. A force de jouer au jeu des «chaises musicales», ils ridiculisent leur fonction. Imaginons un seul instant la manière dont on devrait appeler dans une circonstance solennelle Di Rupo à l'Hôtel de Ville de Mons. Ce beau bâtiment médiéval retentirait des adresses gorgées de titres de jadis : «Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président, Monsieur le Bourgmestre, Monsieur le Ministre d'Etat etc.».

La fondation d'un nouveau parti, le «Mouvement de gauche»
Samedi passé, je suis allé sans vraie conviction à la fondation d'un nouveau parti lancé par le député wallon (1) Bernard Wesphael, un Ecolo depuis trente ans et fondateur de ce parti, opposant au Traité constitutionnel européen en 2005, se situant à la gauche des Verts et attiré par le parcours de Mélenchon. Les quelques analyses que j'ai lues tentant de scruter ce que pourrait être l'avenir de ce parti, le font également, comme celle pas mauvaise de Philippe Walkoviak, à partir des critères «gauche», «centre» et «droite». Elles enregistrent les échecs de tentatives semblables (à gauche) dans les années 90, au début des années 2000 qui, à mon sens, pouvaient avoir le défaut de se positionner comme la présidentocratie en se voulant partis comme les partis existants. C'est-à-dire risquant en somme, en cas de succès, de mélanger également tous les espaces où se déroulent des élections, sans égard pour le principal d'entre eux pour des partis à vocation électorale francophone, soit la Wallonie. Or, lors de la fondation du Mouvement de gauche, de nombreux militants de base (réellement de base!), sans véritable passé politique connu se situaient, eux, sans même le faire par tactique, comme Wallons ou comme Bruxellois. Ils mettaient en cause aussi l'insensée politique européenne, comme l'affirmait une participante, «où les élus n'ont pas de pouvoirs et où ceux qui ont des pouvoirs ne sont pas élus». Un militant plus connu, le professeur Bismans, qui enseigne à l'université de Nancy mais qui est bien présent en Wallonie, mit encore plus clairement en avant les objectifs wallons. Sur la question de la Wallonie, sur celle de l'austérité au plan fédéral, sur la question de l'Europe néolibérale, partis politiques et même centres d'études, personnalités qui font autorité ou intellectuels au sens large, vont, dans les années à venir, peu trancher sur le conformisme ambiant.
En Wallonie et en Europe où le ronron ronfle encore plus
Il y a donc, dans ces circonstances effrayantes de conformisme - donc de mort - pour l'action politique et la réflexion politique, un avenir pour ceux qui veulent agir autrement et réfléchir autrement. Il est même vital que se créent en Wallonie une telle action et une telle réflexion car sinon la Wallonie n'existera jamais comme réalité vivante et populaire ou démocratique. Il est vital que se mettent en place chez nous et partout en Europe des gauches radicales qui préservent aussi le Vieux continent de la catastrophe que mettent en place ses dirigeants en y détruisant les patries (je reprends le mot à Mélenchon, le plus français des candidats français à l'élection présidentielle et en même temps le plus internationaliste), et en y asservissant les démocraties aux caprices des marchés.
Commentant vendredi matin le succès du sommet européen de la veille, le député européen Verhosftadt, tout heureux du succès du sommet décidant plus d'intégration, se réjouissait de l'accueil favorable des marchés, mais regrettait que la chancelière allemande, avec le «handicap» d'une élection prochaine n'avait pas les mains libres pour accompagner ses collègues. Que mes lecteurs québécois ne s'étonnent pas : en Europe, les mots «élections», «référendums», «débats publics» et même «démocratie» sont devenus les bêtes noires de ceux qui ont décidé d'unir les banques d'Europe plutôt que les peuples d'Europe, trop compliqués à «gérer».
(1) «Député wallon» parce que membre du Parlement wallon, un Wallon qui est membre du parlement fédéral redevient «belge» et les députés wallons, qui siègent aussi au Parlement francophone, n'y sont plus wallons mais «francophones». Parfois certains se présentent aussi sur les listes européennes, on s'y perd évidemment.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 août 2012

    Très bon poste. C’est avec joie que je vous rédige ce commentaire. Je vous pousse à maintenir ce blog. Sincerement.

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  • Raymond Poulin Répondre

    3 juillet 2012

    Ce que vous nous dites des partis wallons ressemble en gros, sur le plan nationalitaire, aux partis politiques du Québec : même ceux censés souverainistes sont pusillanimes, hésitants, bon-ententistes. Québécois et Wallons, même (absence réelle de) combat. Embrassons-nous, mes frères! Et, surtout, «pas de chicane dans la cabane»!.. Tabarnak!