Tintin en joual, bout’viarge !

D’entrée de jeu, j’affirme que je ne veux pas qu’on touche à ma langue française.

Tribune libre 2009

Publié dans La Presse en octobre 2009
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D’entrée de jeu, j’affirme que je ne veux pas qu’on touche à ma langue française.
Et que tous les efforts des néo-linguistes pour rajeunir le français en le simplifiant, ou encore de ce citoyen qui veut réécrire les Tintin en joual afin, dit-il, de glorifier le français parlé au Québec, ça me fend l’âme !
À l’époque de mon enfance, il n’y avait pas de romans québécois pour la jeunesse. On devait lire Magali ou la comtesse de Ségur pour mettre en pratique les leçons de français de nos professeurs. Jeune, j’ai appris à parler, à écrire et à étoffer mon vocabulaire en lisant et en lisant surtout Tintin. J’ai appris vers l’âge de 16 ans que les jurons du capitaine Haddock étaient des mots dans le dictionnaire. J’ai relu toute la série au moins dix fois depuis. J’ai même tous les Tintin de mon enfance qui dorment au fond d’une boîte où je les ai enfermés après avoir comparé les dessins d’Hergé qui diffèrent selon la modernisation des vêtements, des enjeux politiques, et de la conscience relative au racisme.
Puis, cette semaine, j’apprends dans La Presse, qu’un sociologue québécois a reçu la bénédiction de Casterman, l’éditeur des Tintin, pour réécrire les phylactères (bulles) en québécois et je suis vraiment en maudit. Ainsi, nos enfants et petits-enfants n’auront pas la joie de s’étonner devant des mots recherchés et surtout, celle de bien parler cette langue si riche et si divertissante qu’a proposée Hergé. Vous me direz qu’on est pas obligés d’acheter ces nouveaux Tintin. Mais, quel sera le message offert aux enfants ?
Qu’arrive-t-il au Québec pour ainsi valoriser une langue tribale que personne ne comprend dans la francophonie internationale? Pour qui prend-on les petits Québécois en imaginant que la langue des Tintin est trop difficile pour eux ? C’est drôle, mais j’ai l’impression qu’il y a des gens spécialisés dans le pilage sur la tête, pour nous maintenir au niveau des pâquerettes. Au lieu, donc, de hausser la qualité des cours de français à l’école, on veut abaisser la langue française au niveau des paresseux. Selon moi, simplifier la grammaire et l’orthographe pour que nos enfants puissent l’apprendre, est le contraire de ce qu’il faut faire. De plus, imaginez tous ces aînés, dont je suis, qui devront tout réapprendre ! Serait-ce la vengeance tant attendue de la génération X sur les babyboomers ?
Je regardais l’autre jour le film Open Season dans lequel la traduction française est de haut calibre, sauf la voix d’une espèce de chasseur «colon», tenu par Gaston Lepage, qui est en joual. Ça frappe l’imagination ! Comme si, dans ce film, le fait que ce personnage fat, idiot, sanguinaire chasseur, misogyne attardé, parle en joual, le rende plus réel. C’est absolument révoltant. Puisque tous les autres personnages, même l’ours et son chevreuil parlent un français international, pourquoi donc ce chasseur timbré parle-t-il québécois ? Personne n’a rouspété. Ni l’UDA. Ni les médias. Moi, je m’insurge.
Qu’a-t-on au Québec pour croire que les enfants ne peuvent plus apprendre le français ?
Pourquoi avons-nous pu, les babyboomers, apprendre une langue telle que proposée par l’académie française, Larousse et Robert ? Pourquoi ce serait plus difficile pour nos enfants qui eux, ont des tonnes de livres dans les bibliothèques, et qu’enfin, ils ont des dizaines d’éditeurs québécois qui leur offrent des livres? C’est comme si le gouvernement, pour contrer le fait que les chauffeurs de voitures conduisent de plus en plus mal, installait des ramparts de styromousse le long des autoroutes pour leur éviter des blessures. Société providence, quand tu nous tiens !
Je suis donc contre toute réduction de la langue française. Je suis contre Tintin en joual. Je suis contre la langue Facebook qui se morpionne.
Mais je suis pour un enseignement du français basé sur la lecture. Et que l’on cesse de dire aux enfants que lire est un devoir. Lire un roman est un privilège. Et un EFFORT.
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Francine Allard
L’auteur est écrivain


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1 commentaire

  • Réjean Labrie Répondre

    28 décembre 2009

    Cher Madame Allard,
    J'adhère à votre amour de notre belle langue mais par contre je n'ai pas honte de la créativité langagière de notre peuple qui s'est exprimée à travers le temps et qu'on retrouve dans "Colocs en stock".
    Vous vous prononcez peut-être hâtivement avant même d'avoir lu l'album.
    Je vous réfère à mon texte sur le sujet.
    Mes hommages,
    Réjean Labrie de Québec.