L’auteure est députée fédérale, membre du Groupe parlementaire québécois.
Lorsque Jean Lesage lançait le slogan « Maîtres chez nous ! », il voulait que le Québec développe son autonomie en prenant le contrôle de plusieurs institutions sociales et en encourageant le développement économique de la province. Ce slogan a marqué l’histoire comme étant un idéal à atteindre : une existence politique québécoise pleine et entière.
Malheureusement, année après année, nous perdons des pans de contrôle sur notre territoire, nos lois ne sont plus respectées, nos règlements municipaux sont contestés, les mobilisations citoyennes ignorées. On se fait déposséder petit à petit.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un projet de loi à la Chambre des communes, qui aurait très bien pu s’intituler « Soyons maîtres chez nous ». Ce projet de loi sera débattu à la fin du mois d’avril et en mai.
En principe, le territoire québécois devrait appartenir aux Québécoises et aux Québécois. La protection de notre territoire et de notre environnement devrait relever des lois québécoises. Il devrait en être de même pour l’aménagement du territoire, où toute une série de lois et de règlements vient s’assurer que le développement est le plus harmonieux possible.
Plusieurs mécanismes de participation citoyenne sont aussi en place pour tenir compte de l’avis de la population afin de mesurer l’acceptabilité sociale des projets. Je pense ici aux audiences publiques du BAPE, aux référendums municipaux.
Mais, quand il est question d’un projet de compétence fédérale, ce projet peut passer au-dessus de nos lois et des règlements municipaux. Ceux-ci peuvent continuer de s’appliquer seulement dans la mesure où ils n’ont pas d’impact substantiel sur l’activité de compétence fédérale en question. Parfois même, le fédéral va faire appliquer ses propres lois moins contraignantes au détriment des nôtres.
Depuis mon élection, plusieurs projets fédéraux ont suscité beaucoup de mécontentement. C’est comme si on n’était plus chez nous. Ainsi, on se retrouve avec un aéroport construit en zone agricole à Saint-Cuthbert contre la volonté de la population et en contravention avec la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. La même chose est en voie de se réaliser à Mascouche avec un aéroport trop près des résidences. Il y a quelques années, c’était Neuville qui était aux prises avec un problème semblable : un promoteur y a construit un aéroport au milieu d’un champ de blé d’Inde en profitant de la protection de la Loi fédérale sur l’aéronautique.
Il y a aussi beaucoup de frustrations en lien avec les tours cellulaires érigées un peu n’importe où. En effet, la Loi sur la radiocommunication est fédérale. Malgré cela, certaines villes ont voulu adopter des règlements pour mettre de l’ordre, mais les tribunaux les invalident les uns après les autres, comme à Châteauguay, Terrebonne et Gatineau. C’est pourquoi il y a quatre ans, Montréal a renoncé à adopter le sien.
Un autre exemple est celui du port de Québec, où la Cour supérieure a déclaré que l’entreprise IMTT pouvait continuer à polluer le quartier Limoilou parce qu’elle n’a pas à tenir compte de la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec. D’ailleurs, un documentaire intitulé Bras de fer est actuellement projeté sur la lutte héroïque d’un couple du quartier Limoilou engagé dans un long processus judiciaire pour faire respecter des droits, ce qui pourtant devrait aller de soi.
Dans tous les cas, incertitudes juridiques, batailles judiciaires, règlements municipaux inopérants : les problèmes sont nombreux.
Mon projet de loi vise à régler tout cela. Il modifie huit lois fédérales afin d’imposer des contraintes aux ministres chargés de leur application. Ce sont des lois qui encadrent les pipelines, les ports, les quais, les aéroports, les infrastructures de télécommunication et l’ensemble des propriétés qui jouissent de l’immunité fédérale.
Les promoteurs ne pourraient plus contester l’application de nos lois en s’appuyant sur l’antique partage des pouvoirs de 1867.
Justin Trudeau dit qu’il veut s’assurer de l’acceptabilité sociale des projets avant de les autoriser. Fort bien ! C’est ce que mon projet de loi le forcerait à faire car, s’il était adopté, le gouvernement fédéral ne pourrait plus autoriser une activité ou une infrastructure qui enfreindrait les lois du Québec, les règlements municipaux qui protègent l’environnement et encadrent l’aménagement du territoire.
Nos lois, nos règlements, nos mécanismes de consultation reflètent un certain consensus social. Je veux redonner le contrôle du territoire à celles et ceux qui l’habitent. Si ce projet de loi était adopté, nous pourrions être un petit peu plus maîtres chez nous, tout en faisant un pas de plus vers la construction de notre pays, le Québec. Mais, bien entendu, la grande majorité des libéraux, des conservateurs et des néo-démocrates voteront contre.