Lettre des 50

Taisez-vous, les enfants!

Pauline Marois - entre urgence et prudence



La dernière fois que j'ai entendu parler des jeunes du Québec, on m'a affirmé qu'ils étaient devenus complètement égocentriques, préoccupés seulement de leur avenir, friands d'électronique et convaincus qu'ils allaient payer pour les pots cassés par leurs aînés. Ils se considéraient comme des citoyens du monde, me disait-on, et n'avaient aucune attache quant à leurs racines propres. Ils étaient égoïstes, selon les observateurs, et ils avaient tendance à croire que tout leur était dû. Il n'y avait rien à attendre d'eux, disait-on, car rien ne trouvait grâce à leurs yeux. Ils étaient incultes, insensibles à la misère dans le monde et ils voulaient réussir en y mettant le moins d'efforts possible. Quel portrait!
[Et puis un beau matin, 50 se sont levés->32100]. Ils voulaient parler au monde. C'était un événement assez important pour que les télévisions se déplacent. Leurs porte-parole s'exprimaient clairement, dans un français remarquable et ils étaient tout à fait capables de faire des phrases complètes. Ce fut ma première surprise. Mais ce ne fut pas ma dernière.
Ils avaient réclamé un moment d'attention, car ils avaient un message important à livrer. Je me suis dit qu'ils allaient réclamer la construction d'un aréna quelque part, ou demander que les examens soient supprimés dans toutes les écoles et les universités afin de les libérer du stress que ça leur impose chaque année, ou peut-être même que les études soient vraiment gratuites à tous les niveaux. Ils y avaient mis les formes et nous allions assister à une vraie conférence de presse. Tous ceux et celles qui étaient en avant étaient beaux et propres. Ça devenait encore plus intéressant, car ça ne ressemblait à rien de ce à quoi ils nous convient d'habitude.
Ce qu'ils voulaient nous dire ce matin-là, c'est que 50 d'entre eux, autour de la vingtaine, avaient décidé, en se regroupant, de nous dire qu'ils voulaient un pays. Je suis restée bouche bée.
Ces jeunes, dont on répète ad nauseam qu'ils ne s'intéressent pas à la politique, avaient trouvé le courage de dire publiquement ce qu'ils souhaitent plus que tout au monde: un pays souverain. J'en ai eu les larmes aux yeux. Ils étaient la preuve que la relève existe véritablement et qu'elle est capable d'exprimer sa pensée en toute liberté. J'ai pensé à toute la joie qu'allait susciter leur intervention dans le fameux débat qui est toujours en cours faute d'avoir été réglé. J'ai pensé que ce serait comme un baume sur les blessures des vieux combattants comme sur les sacrifices de ceux qui sont aux fourneaux en ce moment.
Imaginez ma surprise quand j'ai vu comment l'intervention des jeunes était reçue. Je m'attendais à ce qu'on leur offre le champagne... ils ont plutôt reçu une douche froide.
Bien sûr, leur demande pouvait ressembler à celle de grands bébés gâtés, car il ne suffit pas de réclamer un «pays pour Noël» pour que ça arrive. Il y a longtemps que plus personne ne croit au père Noël, disons. Mais leur engagement en faveur d'un pays était une belle occasion d'ouvrir les portes aux jeunes qui n'ont peut-être pas tous des cartes de membres, mais qui ont tous des idées. Revisiter l'idée de souveraineté du Québec en fouillant la tête et le coeur des plus jeunes, quel beau projet d'avenir, surtout qu'ils risquent de nous offrir des voies nouvelles alors que les vieux ne font qu'arpenter des voies qui n'ont mené nulle part.
J'espère que Madame Marois va leur ouvrir la porte. Que ces jeunes ne soient pas totalement d'accord avec elle ne la déstabilisera pas du tout. Cette femme qui a quatre enfants âgés de 20 à 30 ans en a vu d'autres. Il n'y a rien qu'ils puissent lui dire qu'elle n'a déjà entendu. Il serait logique qu'elle ne veuille pas se priver d'un tel apport de vitalité. Surtout que les plus jeunes, par définition, ont davantage d'appétit pour les remises en question et que la vue qu'ils portent sur l'avenir a des chances d'être plus proche de la réalité que celle des plus vieux. Le sang neuf a des vertus thérapeutiques indéniables.
Le pays que ces jeunes désirent a des chances de ressembler davantage à celui que Barack Obama avait promis qu'à celui que Nicolas Sarkozy est en train de charcuter en ce moment. Pour ma part, si j'ai le choix, je choisis le pays des jeunes plutôt que l'autre, celui de la droite dont on ne cesse de me vanter la perspective.
Les jeunes qui ont voulu prendre la parole se sont fait dire: «Taisez-vous, les enfants!» C'est bien dommage. Peut-être n'est-il pas trop tard pour leur dire qu'on a eu tort et qu'on a bien besoin d'eux... et de leurs idées. Le pays, ça ne sera pas pour Noël prochain parce qu'on n'a pas les moyens... mais pour 2011, on pourrait au moins y penser.


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