Gouvernance souverainiste : fausse représentation ?

Pauline Marois - entre urgence et prudence




On trouve, dans Le Devoir du 3 novembre, un plaidoyer signé par [cent-trente-six personnes->32152] en faveur de la " gouvernance souverainiste " prônée par le PQ, au lendemain de la publication d'un autre texte, celui-là d'une [cinquantaine de jeunes militants->32100] s'inscrivant en faux devant cette démarche.

Alors que les jeunes, qu'on soit d'accord ou non avec eux, proposent un argumentaire bien étayé, la réplique, de son côté, se présente bien davantage sous la forme d'une info-pub, truffée qu'elle est d'affirmations difficilement vérifiables, sinon, aussi bien le dire franchement, de contradictions criantes.

On nous dit essentiellement que ce que nous avons sous les yeux est un animal à quatre pattes, avec du poil, et qui jappe, mais que ce n'est pas un chien.

Ainsi, on commence par nier vouloir réformer le fédéralisme, avant de décrire la gouvernance souverainiste de la façon suivante : Assumer les pouvoirs que nous avons déjà, les défendre, occuper tout l'espace dans les compétences partagées, acquérir de nouveaux pouvoirs sous la menace d'un référendum -- ça vous rappelle quelque chose ? --, " repousser le fédéralisme dans les câbles ", ce qui consiste, laisse-t-on entendre, à faire à la place des fédéralistes des demandes qu'eux-mêmes ont abandonnées. Un peu plus loin, on affirme que le PQ n'est pas étapiste.

Pauvre primate que je suis, il m'a pourtant bien semblé voir là les étapes d'une tentative de réforme du fédéralisme, devant elle-même être une étape -- herculéenne, pour dire le moins -- préalable à la souveraineté. Comment ai-je pu mal comprendre à ce point ?

Je me console en me disant que je ne suis pas le seul : le texte dit la chose suivante, sans fournir le moindre début d'explication : " Les récents propos tenus par Jacques Parizeau s'inscrivent très bien dans cette démarche ". Ah bon ? Monsieur Parizeau sera sans doute heureux d'apprendre qu'il ne sait pas ce qu'il dit, ou qu'il parle pour ne rien dire.

C'est fou comme les apparences peuvent être trompeuses. Moi qui avais cru que M.Parizeau tranchait nettement par rapport à la proposition péquiste, en disant notamment qu'il n'y avait rien à obtenir d'Ottawa. C'est bien pour dire.

Ce n'est pas tout. On nous apprend que les actions du gouvernement souverainiste auront pour effet " ... d'assurer une croissance permanente de l'appui à l'indépendance ". Encore là, on ne fournit aucune explication. C'est bien dommage parce que, non seulement ne se trouve-t-il aucun précédent permettant d'accréditer cette prétention, mais c'est même le contraire : un certain René Lévesque a déjà tenté le coup, gouvernant pendant plusieurs années et y allant de réformes et d'innovations majeures, insurpassées à ce jour, comme la loi 101, avant de faire un référendum en fin de mandat. Au cours de la campagne, le OUI passa de quarante-six à quarante pour cent...

Plus tard, c'est Lucien Bouchard qui voulut susciter des " conditions gagnantes " en gouvernant la province. Résultat : l'appui à la souveraineté fléchit graduellement, en même temps que la popularité du gouvernement, jusqu'à la perte du pouvoir en 2003. On me dira qu'il y avait alors des décisions impopulaires à prendre, mais qui pense vraiment qu'il en sera autrement dans les mandats qui s'en viennent ?

De toute façon, tout le monde connaît, en occident et ailleurs, ce phénomène qui s'accentue, en vertu duquel les gouvernements perdent rapidement leur capital de sympathie et toute marge de manoeuvre avec l'exercice du pouvoir. Plus souvent qu'autrement, ils ne mobilisent efficacement que contre eux-mêmes.

Devant cette seule évidence, il faut une bonne dose de déni pour s'imaginer que les péquistes créeraient une quelconque ferveur indépendantiste en gouvernant.

***
Autre incohérence, on nous dit que " Le Québec doit progresser ( ... ) non pas par des crises, des humiliations et des échecs. ", mais on évoque des refus d'Ottawa, et on écrit ceci :
" ... le gouvernement fédéral aura deux options: répondre positivement aux demandes du Québec ou risquer un ressac avec le PQ au pouvoir, prêt à tenir un référendum sur la souveraineté. Peut-être que le Canada n'accédera jamais aux demandes des Québécois, mais il y aura des conséquences immédiates à son refus. ( ... )
les souverainistes seront assis dans le siège du conducteur. "


D'abord, il y a contradiction puisque clairement, on évoque ici une crise, comme celle des échecs constitutionnels des années 1990, en se projetant aux commandes à la place des libéraux de l'époque.

Mais en plus, à cet égard, on fait fi de l'essentiel : les libéraux de 1990 n'étaient pas souverainistes, loin s'en faut, et l'histoire montre que les rebuffades canadiennes ne suscitent l'indignation que quand on ne peut soupçonner le gouvernement québécois de vouloir faire dérailler le régime, et non pas lorsque des souverainistes affirmant qu'ils pourraient faire bientôt un référendum sont au pouvoir.
Quand ces derniers participent à ce système qu'ils dénoncent, il va de soi qu'ils se placent dans une position délicate pour déplorer d'éventuels échecs, qu'on les accuse immanquablement de provoquer eux-mêmes par calcul ou intérêt, ou du seul fait de leur présence. On dit qu'ils ont un échéancier caché, et ainsi de suite. On prend ça avec un grain de sel.

Les souverainistes deviennent alors les responsables de l'échec canadien, et affublent l'indépendantisme d'une image d'impuissance et d'ergotage improductif qui devrait pourtant rester celle de ceux qu'on dit " fédéralistes ". Comme si on avait besoin de ça. Les eaux boueuses des arguties constitutionnelles devraient être laissées aux promoteurs de la tutelle canadienne.

Et encore, l'histoire ne se répétant pas toujours, il n'est pas absolument impossible qu'un Harper futé, par exemple, décide contre toute attente de faire juste assez semblant de céder quelque chose pour qu'on y croie, et les péquistes se retrouveraient alors avec une belle demie-victoire authentiquement canadienne, qu'ils devraient dénoncer partiellement tout en l'ayant suscitée. Beau programme. On a déjà vu cela à la Chambre Des Communes, dans le cas de la reconnaissance de la nation Québécoise.

***
Mais si les choses ne se rendaient pas là, Ottawa aurait néanmoins tout le loisir d'entamer un certain dialogue sans grande conviction, puis de laisser traîner les choses en longueur pendant que les péquistes s'empêtreraient dans l'intendance provinciale, de réforme en grève en controverse, de sorte que tout cela ne mènerait évidemment à rien qui vaille, ni succès, ni crise, ni indépendance.

Et ce, pendant que le régime canadian, on le pense bien, déploierait tous les moyens extravagants et plus ou moins éthiques qu'on lui connaît déjà en cette matière, avec l'aide des valets libéraux du Québec, pour discréditer inlassablement les souverainistes et leur démarche, quand bien même elle serait peu ou pas indépendantiste du tout.

Quoi qu'il en soit, les péquistes ont parfaitement le droit de croire qu'on ne puisse faire autrement que ce qu'ils proposent dans un avenir prévisible. Je suis en total désaccord avec eux, mais on ne sera pas plus mauvais amis pour cela. Par contre, qu'ils persistent à se dire souverainistes et à la poursuite de l'indépendance, alors qu'ils proposent autre chose, m'embête beaucoup. Si j'étais l'indépendantisme, j'aurais envie de les poursuivre pour fausse représentation, ou pour usurpation de mon identité.




Nic Payne
Montréal













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8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    8 novembre 2010

    « signé par cent-trente-six personnes en faveur de la " gouvernance souverainiste " prônée par le PQ »
    Je suis un des 136 signataires et je ne ai pas signé cette lettre pour cette raison, ni celles évoquées soit dans les commentaires ici, soit dans les journaux.
    Pourrait-on penser qu'il puisse y avoir d'autres raisons qu'un soutien à Pauline Marois et son plan ? Merci.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 novembre 2010


    RCdB,
    " À partir de rien " est ici une figure de style. Il va de soi que l'histoire de ce pays ne commence pas en 1960.
    Du reste, vous me prêtez des intentions " pluralistes " et anti-nationales qui ne sont nulle part dans mon propos.
    N.P.

  • Archives de Vigile Répondre

    6 novembre 2010

    Je ne sais M. Payne si vous comprenez à quel point votre discours peut être insultant pour un Canadien-Français? Selon vous, «Le pays du Québec est déjà construit, et même si tout le monde a son idée de ses défauts et qualités, les Québécois n’ont pas envie, je pense, de revenir aux années soixante et de recommencer à s’inventer un pays à partir de rien», selon vous, ce pays commence avec la québécitude. Et bien M. Payne, c’est là un mensonge grossier : ce pays que les Québécois comme vous s’arrogent d’un simple trait de plume, est celui des Canadiens-Français, il a été bâti par eux, pour eux, c’est leur patrie, leur foyer national, c’est mon pays M. Payne, c’est le pays de mes ancêtres. Que m’importe donc que vous vous disiez «Canadian» ou Québécois, le résultat est toujours le même, vous niez ainsi le caractère national de mon pays au profit d’une citoyenneté pluraliste. C’est-là une injustice flagrante qui, dans le cas de la québécitude, a la fâcheuse particularité d’être plus assumée, plus dégoulinante de bonne conscience et de conformisme bourgeois, particularité qui me la rend franchement abjecte.
    RCdB

  • Archives de Vigile Répondre

    5 novembre 2010

    M Barberis-Gervais,
    Je ne doute pas de votre sincérité.
    Je vous réponds, avec toute la fantaisie que cela commande -- et espère que vous me lirez dans le même état d'esprit -- puisque je ne fais pas de politique et ne connais pas les partis politiques de l'intérieur, ni tous les rouages et obligations de la réalité partisane.
    On dit souvent qu'en politique, le médium, c'est le message. Ainsi, j'accepte de jouer le jeu, de faire comme si on parlait de moi, et de ma vision, plutôt que de suggérer une marche-à-suivre générique ponctuée de " il faudrait " et " nous devrions ".
    Alors, allons-y.
    Je tâcherais de proposer un choix électoral indépendantiste franc, sérieux et serein. Cela commence bien sûr en amont, dès maintenant, par un discours indépendantiste cohérent et conséquent : Opposons aux problèmes provinciaux des solutions d'état souverain, dans tous les dossiers où cela est possible et pertinent, et il y en a des tonnes. Pensons à des débats récents : Déséquilibre fiscal, accomodements raisonnables, éthique et odeurs de corruption, situation du français, finances publiques, dossier énergétique, priorités environnementales, le Canada qui se différencie de plus en plus de nous, etc etc.
    Quant à la proposition indépendantiste elle-même, je la voudrais simple, relativement dépouillée. L'indépendance comme passage, comme prise de responsabilité, comme indispensable geste de cohésion nationale. Et d'efficacité, aussi. Exit, donc, les grands concepts halambiqués, les grands chantiers et autres grandes mises-en-scène en tout genre. Je pense que nous n'en sommes plus là; Le pays du Québec est déja construit, et même si tout le monde a son idée de ses défauts et qualités, les Québécois n'ont pas envie, je pense, de revenir aux années soixante et de recommencer à s'inventer un pays à partir de rien.
    Je fais ici une précision : Votre question dit " pour prendre le povoir ", cela me semble une terminologie un peu restrictive. Je dirai donc, plutôt, " avant le pouvoir ", pour qualifier ce que je viens de vous présenter. Serait-ce adéquat pour, justement, prendre le pouvoir ? Avec la souveraineté qui se maintient actuellement dans les quarante à quarante-quelque pourcent, ce qui est au dessus de ce qui permet à bien des partis de gouverner ces années-ci, ça me paraît tout-à-fait jouable, d'autant plus devant des libéraux en déroute totale et un échiquier gauche-droite qui se fragmente.
    Je solliciterais donc un mandat de réaliser l'indépendance, ce que je m'engagerais à entreprendre dès mon entrée en fonction.
    Je m'arrête à-peu-près ici, histoire d'éviter d'entrer complètement dans le fastidieux -- mais pertinent, j'en conviens -- débat sur le référendum, l'élection décisionnelle, etc., qu'implique la deuxième partie de votre question.
    Cependant, quel que soit le moyen choisi, il m'apparaît primordial qu'il soit mis en marche dès la prise du pouvoir.( Cela ne dispense pas d'avoir aussi un programme de gouvernance bien arrimé à la démarche. )
    Qu'un référendum indépendant d'une élection soit ou non la meilleure solution -- il est vrai qu'en proposant cette avenue, on offre à l'électorat de nous élire tout en gardant la possibilité de rejeter le fondement même de notre action, ce qui pose un évident problème de cohérence -- tout nous montre que d'attendre avant de le faire n'augmente pas les chances de le gagner.
    Alors voilà. Évidemment, tout ceci est bien sommaire, mais il me semble que ça constitue néanmoins une réponse intéressante à votre question.
    Cordialement,
    N.P.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 novembre 2010

    M. Bouchard, salut
    J'ai gardé un bon souvenir de vos écrits.
    Je vous ferai une réponse laconique mais claire et précise.
    En 1981, j'ai publié en collaboration avec Pierre Drouilly
    un livre d'essais politiques. J'attire votre attention sur
    le titre: LES ILLUSIONS DU POUVOIR. Croyez-vous
    sérieusement que je suis moins indépendantiste aujourd'hui
    que je l'étais en 1981.
    Robert Barberis-Gervais, 5 novembre 2010
    p.s. Lisez La gibelotte et autres essais-4 sur Vigile
    Allez voir: http://www.youtube.com/watch?v=792dzZecXx0&feature=player_embedded

    Salut à vous deux.

  • Archives de Vigile Répondre

    5 novembre 2010

    "C'est décourageant, le pq ne fera jamais l'indépendance", conclut P.B.
    Rester dans le Canada, c'est perpétuer la vieille chanson:
    LES BOMBES
    (Michel Pagliaro)
    En Afrique du Sud c'est l'apartheid
    On les boycotte pour donner d'l'aide
    On bat les gens, on tire dans la tête
    On brûle les maisons, on tue les frères
    Irak, Iran, c'est la lance de fer
    On sacrifie des générations entières
    On apprend aux femmes à tirer l'bazooka
    On envoie les enfants mourir pour Allah
    Nous on fabrique des bombes
    De plus en plus en plus de bombes
    Nous on fabrique des bombes
    On peut en tuer des millions à la ronde
    Pour écraser les Moudjahidin
    Les Russes emploient les armes chimiques
    D'El Salvador jusqu'au Chili
    Les Ricains subventionnent la zizanie
    Liban, Syrie et Israël
    Ce raid de feu venant du ciel
    Du missile Sam Sam au Exocet
    Y'a rien d'plus mortel pour qu'ça pète
    Nous on fabrique des bombes
    De plus en plus en plus de bombes
    Nous on fabrique des bombes
    On peut en tuer des millions à la ronde
    L'Est ou l'Ouest ce sont tous des banquiers
    Qui déstabilisent les exploités
    On crée des famines, des révolutions
    Plus on fout la merde, plus c'est bon
    On vend des armes par voie diplomatique
    Plus on en tue, plus on fait du fric
    C'est 200 milliards de dollars par année
    Qu'la race humaine paye pour s'entretuer
    Nous on fabrique des bombes
    De plus en plus en plus de bombes
    Nous on fabrique des bombes
    On peut en tuer des millions à la ronde
    On peut en tuer des millions à la ronde
    On peut en tuer des millions à la ronde
    On peut en tuer des millions à la ronde

  • Archives de Vigile Répondre

    4 novembre 2010

    Bonjour M. Payne,
    je n'aurais pas su dire mieux. Rien à rajouter. Les signataires du dernier texte au Devoir se tiennent serrés derrière le chef. Il est évident que la prise du pouvoir est la seule chose qui compte.
    M. Barberis-Gervais semble penser comme eux avec ses questions. Comment faut-il le dire pour se faire comprendre ? Prendre le pouvoir pour prendre le pouvoir dans le cas du PQ, objectivement, c'est totalement contre-productif. C'est repousser pour 10 autres années le travail qu'on devrait avoir enfin le courage de commencer. Comme d'autres le disent et le répètent, il faut enclencher quelque chose avant les élections, prendre position et définir le mandat pour qu'une fois au pouvoir le PQ puisse agir véritablement. Il ne s'agit pas du tout de fixer une date pour un référendum. Aucun rapport. Il ne s'agit pas non plus de télégraphier notre stratégie. Qu'on cesse de se faire remplir avec ces arguments vides.
    Même Jean-Pierre Charbonneau comprend ça : en se faisant élire sans mandat avec 30% ou 40 % des voix, il est impossible de procéder. Promouvoir la prise du pouvoir pour la prise du pouvoir, pour être aux commandes sans mandat, dans le cas du PQ qui dit vouloir faire naitre le pays, c'est définitivement de la fausse représentation.
    **********
    Disons les choses franchement : madame Marois est un repoussoir, elle n'inspire pas confiance. Plusieurs femmes accusent ceux qui pensent comme ça de simplement refuser qu'une femme soit au pouvoir or ce n'est pas le cas. Je pense qu'une femme comme Premier Ministre nous ferait du bien. Mais madame Marois a un jugement bizarre, ses déclarations sont presque toujours ambigües et elle lance toujours des signaux inquiétants sur le plan de la langue et de la culture québécoise en générale. Ce n'est pas de sa faute très certainement, mais les sondages le prouvent : madame Marois n'inspire pas confiance.
    Les libéraux sont au plus bas, le PQ aurait dû remporter les dernières élections générales et on n'est pas certain qu'il y parviendra la prochaine fois, après les pires années que le Québec ait vécues depuis longtemps. Le PQ n'a aucune chance avec madame Marois comme chef, s'il arrache le pouvoir ce sera avec une marge tellement faible qu'il sera immédiatement menotté.
    Le groupe de gens qui ont signé ce dernier texte au Devoir sont ceux qui votent dans les congrès. C'est décourageant, le PQ ne fera jamais l'indépendance.

  • Archives de Vigile Répondre

    4 novembre 2010

    M. Payne
    J'ai lu de nombreux textes de vous. Bien articulés. Une question sans arrière pensée à mes risques et périls.
    Vous feriez quoi vous?
    1- Pour prendre le pouvoir
    2- Une fois au pouvoir.
    Merci de votre attention.
    Robert Barberis-Gervais