Le chef péquiste est mal aimé, c’est entendu. Il semble d’une autre époque. On le voit depuis trop longtemps. Il était déjà là du temps de René Lévesque, c’est dire… Et puis, il ne représente pas le changement.
Tellement que, parmi ses députés, il y en a qui appellent dans le (613), au Parlement fédéral, où logent les députés du Bloc québécois et leur chef. Un chef populaire, celui-là, qui saurait galvaniser les troupes. Les sondages le prouvent.
Préparez-vous, lui disent-ils, le fruit est presque mûr. D’autant que le chef péquiste, malgré la piètre performance du Parti libéral au pouvoir, est moins populaire que le premier ministre. Il tire le parti vers le bas. Tout le monde le critique. Sa façon d’être, de se coiffer, de s’habiller même, parfois.
Son nom ? Jacques Parizeau. Depuis le début de 1991 jusqu’en 1993, lorsque son parti et l’option souverainiste avaient la cote, ce chef péquiste n’a jamais été plus populaire que Robert Bourassa — ce qui est une chose. D’octobre 1993 à son élection au pouvoir, en septembre 1994, il ne fut jamais plus populaire que Daniel Johnson — dont un ministre disait qu’il était « aussi chaleureux qu’une pierre tombale » —, ce qui est bien pire.
On dit que la fonction de premier ministre du Québec est la plus exigeante au Canada. Vrai, mais celle de chef de l’opposition est la plus éprouvante. Qui se souvient qu’un jour où il avait convoqué la presse, M. Parizeau se retrouva devant une salle déserte. « Mais j’existe ! » se lamenta-t-il. Quelques années plus tard, il arriva à un cheveu de faire exister un pays.
La première malédiction: la popularité
Mais cela n’a rien à voir avec la situation actuelle de Pauline Marois, qui, elle, est plus populaire que le premier ministre libéral. Alors je reprends.
Le chef péquiste est mal aimé, c’est entendu. Certes, le PQ est en avance sur le PLQ dans les intentions de vote. Certes, le chef est plus populaire que le premier ministre libéral, empêtré dans des scandales dont il ne sait comment se défaire. Mais dans les sondages, le chef péquiste ne le dépasse que de neuf points de pourcentage comme «meilleur premier ministre». Cela devrait être bien plus élevé. Comment expliquer l’absence d’enthousiasme à son égard ? C’est peut-être qu’il semble d’une autre époque.
En fait, il est dans le décor depuis près de 20 ans. Les jeunes ne se reconnaissent plus en lui. Un de ses députés s’en est même ouvert aux journalistes : « Le vieux doit partir. » Le « vieux » ? Qui parle ? Claude Charron, en 1976. De qui parle-t-il ? De René Lévesque, qui allait gagner, quelques mois plus tard, des élections historiques et gouverner le Québec pendant huit ans.
La popularité de Lévesque n'écrasait pas celle d'un Bourassa pourtant affaibli...
Il est étrange de constater, rétrospectivement, que le René Lévesque des années 1970 n’écrasait pas Robert Bourassa de son aura. Ou que Daniel Johnson faisait de l’ombre à Jacques Parizeau. Se souvient-on aussi que, sous Jean Charest premier, la majorité des Québécois souhaitaient le départ de Bernard Landry de son siège de chef du PQ ? Même s’ils étaient majoritairement satisfaits du bilan de son gouvernement.
C’est ce que je baptise ici: la loi politique de l’impopularité relative des chefs péquistes dans l’opposition.
Les chefs du PQ doivent en effet passer, au strict chapitre de la popularité, un double test : Pourront-ils faire élire leur parti aux élections ? Et si oui, pourront-ils conduire le Québec à la souveraineté ? Militants et analystes étaient nombreux à croire que ni René Lévesque ni Jacques Parizeau ne feraient le poids. Les péquistes, comme chacun le sait, sont durs avec leurs chefs. L’opinion publique l’est aussi.
La seconde malédiction: la troisième voie
Si le chef péquiste survit aux avanies de la première malédiction, il doit se mesurer à la seconde: la loi politique de l’émergence possible d’une troisième voie.
Pour René Lévesque, cette “troisième voie” qui devait venir lui ravir des votes francophones a pris plusieurs formes. D’abord l’ex-libéral Yvon Dupuis tenta à compter de 1973 de remettre du gaz dans la machine du Parti créditiste, fort dans les régions. On se posa des questions sur le caractère téléguidé de l’opération lorsque Dupuis lança lors d’un discours: “nous les Libéraux”. Ce fut ensuite la résurgence de l’Union nationale qui devait donner du fil à retordre à Lévesque, mais la position du nouveau chef de l’UN Rodrigue Biron en faveur du libre choix scolaire a nui aux… Libéraux, et permis l’élection péquiste. Biron deviendra plus tard ministre péquiste — un représentant de la droite dans la coalition de Lévesque, comme il y en a toujours eu (mais c’est pour un autre billet).
Lévesque joua lui-même avec l’idée de susciter la création d’une troisième voie. Ce blogueur a entendu le récit d’une rencontre au Reine Élizabeth entre Lévesque et le maire Jean Drapeau au début des années 1980. Lévesque voulait que Drapeau crée un Parti conservateur québécois, pour soutirer des voix aux Libéraux de Bourassa à l’élection suivante. Drapeau n’embarqua pas.
Le fantôme de la troisième voie vint aussi hanter Jacques Parizeau. Après l’échec de Meech, en 1990, la tentation fut forte autour de Lucien Bouchard de créer au Québec une formation souverainiste modérée, mais de centre-centre droit. Il en fut beaucoup question en coulisses, y compris avec Claude Béland et plusieurs proches de l’ex-chef péquiste Pierre-Marc Johnson. (Il fut écrit un jour que Bouchard aurait offert à Béland la direction de ce parti. Foutaises ! Il n’y aurait eu de chef que Bouchard, évidemment.)
Devenu premier ministre péquiste, Bouchard affronta lui-même une « troisième voie », non fantomatique cette fois, dirigée par son ex-allié référendaire Mario Dumont. L’impact fut réel. La remontée de l’ADQ en fin de campagne de 1998 ravit à Bouchard son objectif le plus cher: obtenir un mandat clair de l’électorat québécois. Sa peine était palpable, le soir du vote, lorsqu’il comprit que le nouveau chef de l’opposition, Jean Charest, avait obtenu davantage de votes (27 618 pour être exact) que lui. C’était la faute à Mario.
Je note au passage que Mario Dumont avait proposé, en 1996, un moratoire de 10 ans sur la question nationale, pour qu’on s’occupe des « vraies affaires ». (Le moratoire prit théoriquement fin en 2006, mais Mario ne se sentit point tenu d’en célébrer, voire simplement d’en souligner, le terme.)
En 2010, il est question de François Legault. La malédiction se poursuit. L’histoire bégaie.
La troisième malédiction: la mise en cause de la stratégie
Puis il y a la troisième malédiction, la troisième loi, peut-être la plus importante: la loi de la remise en cause de la stratégie du chef souverainiste. Cette loi est inscrite dans l’ADN du mouvement souverainiste et, je voudrais être clair: il n’y a pas de remède !
Lorsque René Lévesque a fait voter en 1973 le principe que la souveraineté ne serait pas déclarée au lendemain d’une élection, mais après un référendum, la tradition des cartes de membres déchirées s’est établie. Lorsqu’il proposa le “beau risque”, ce fut pire. Ensuite, l’affirmationisme de Pierre-Marc Johnson — pourtant très populaire dans l’opinion — n’a pas résisté aux salves critiques de Gérald Godin et autres, salves soutenues par Parizeau.
Jacques Parizeau a dû, au pouvoir, subir les foudres de Lucien Bouchard lors du fameux “virage”. Puis, Lucien Bouchard au pouvoir a subi les critiques de… Jacques Parizeau, lui reprochant de ne pas mettre suffisamment la souveraineté en vitrine. Bernard Landry, un temps adepte de “l’union confédérale” dut l’oublier à la demande générale, puis sa démarche à-la-Bouchard dut se transformer, sous la pression de l’aile pressée encouragée par M. Parizeau, en engagement de tenir un référendum automatiquement, pendant le mandat suivant. Seul André Boisclair fut “sauvé” de ce calvaire — il n’est pas resté assez longtemps pour le subir.
Les malheurs de Pauline Marois n’ont donc rien d’inédit. Il s’agit des épreuves du feu imposées par le PQ et la société québécoise à tous les futurs premiers ministres souverainistes. La septième personne à diriger le PQ est placée, ni plus ni moins, dans la situation périlleuse connue par ses mâles prédécesseurs.
Puisqu’il faut voir les choses du bon côté, je soumets que ce triple test offre à Mme Marois l’opportunité de briller (parmi les meilleurs). Ce n’est que dans la difficulté qu’on prouve sa valeur. Puisque les Québécois ne sont pas massivement convaincus de ses talents de leaders (comme ils ne l’étaient ni de ceux de Parizeau, ni de ceux de Lévesque), la façon dont elle va se comporter dans l’obligatoire tourmente qui mène à son vote de confiance au congrès péquiste d’avril aura un impact majeur sur l’opinion.
Les vertus de la détermination
Si elle devait céder sur l’essentiel, accepter d’inscrire au programme du PQ une obligation de tenue de référendum dans le mandat, c’en serait fini, à mon avis, de sa crédibilité. De même, si elle se montrait intransigeante sur les détails, la méthode, la tonalité, elle ne pourrait continuer, comme avant, à s’afficher comme la compétente rassembleuse qu’elle a su être dans tant de dossiers.
Son défi est donc de braver la tempête levée par ceux qui voudraient la mettre au pas, en montrant que c’est elle qui donne le pas. Son défi est aussi de montrer qu’une fois qu’elle a déterminé la direction, elle est à l’écoute pour ce qui est des aménagements. C’est d’ailleurs une des vertus du Plan Marois (transparence totale: j’en ai pris connaissance comme tout le monde, le jour de sa publication) d’être souple, évolutif, collé au réel d’aujourd’hui et de demain. Raison de plus pour que la chef accueille — non, invite — toutes les contributions comme des propositions d’additions plausibles à sa stratégie, donc tout ce qui lui donne du coffre et de la fluidité, en rejetant tout ce qui l’engoncerait au contraire dans un moule qui lui enlèverait toute agilité tactique.
J’ai pu m’entretenir quelques minutes avec Mme Marois la semaine dernière. Mon sentiment: j’ai rencontré une femme plus déterminée que jamais. Sur son leadership. Sur la souveraineté. Sur la stratégie qu’elle a choisie. Sur son refus de se laisser bousculer.
D’ici au Congrès, les “chicanes” entre souverainistes, normales dans ce parti, ne donneront pas à Mme Marois ou au PQ beaucoup d’élan dans l’opinion, plus préoccupée par la corruption, les taxes et les travaux routiers que par la mécanique d’une accession future à la souveraineté. Il ne faut pas s’en inquiéter. D’abord il est normal que le parti souverainiste parle de souveraineté, en période faste comme en période maigre, et parce qu’on n’est jamais trop bien préparé.
L’essentiel est la démonstration qui sera faite par Mme Marois pendant et en fin de parcours. La façon dont elle réussira, si elle y arrive, à sortir de cette épreuve rituelle par le haut, en femme qui a émergé du parcours initiatique, de la triple malédiction péquiste, plus forte et plus affirmée, déterminera mieux que toute autre chose le niveau d’estime que les Québécois auront d’elle.
Pauline et la triple malédiction péquiste
Pauline Marois - entre urgence et prudence
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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