ANTI-MONARCHISME

Sincère allégeance

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La Couronne britannique est une monarchie étrangère au Québec


Bernard Landry était fier de son ascendance acadienne. Lorsque Roméo LeBlanc, qu’il connaissait, est devenu le premier gouverneur général originaire d’Acadie, Landry a eu cette boutade : « Méo, maintenant que tu es la reine, tu pourrais t’excuser ! » S’excuser, tout le monde comprend, pour la déportation de tout un peuple par l’armée de Sa Majesté. Un acte dont on peut débattre, avec les concepts d’aujourd’hui, pour déterminer s’il satisfait aux critères du crime de guerre, du crime contre l’humanité ou de la tentative de génocide.


Ce « Grand Dérangement » acadien de 1755 est bien inscrit dans notre culture. On souligne l’événement chaque année, Antonine Maillet nous en a raconté une version dans sa Pélagie-la-Charrette (prix Goncourt 1979), toute visite des plages du Nouveau-Brunswick suppose un arrêt dans des lieux de mémoire, la chanson de Michel Conte Évangéline, constamment reprise par nos plus belles voix féminines, nous tire les larmes. Nous avons donc en tête des images de soldats du roi anglais, de rouge vêtus, bousculant les paysans vers les bateaux, les séparant de leur femme et de leurs enfants.


Pour notre Conquête à nous, notre imaginaire peut évoquer quelque scène vue dans telle reconstitution télévisuelle des armées de Wolfe et de Montcalm, sur les plaines du pauvre Abraham. Rien, cependant, ni lieu, ni chanson, ni poème, ne nous rappelle ce qu’a fait, après la victoire, au nom du roi, l’armée anglaise.


Torches en main, les soldats allèrent de L’Ange-Gardien jusqu’à Baie-Saint-Paul, incendiant chaque maison de chaque village, chaque grange et chaque étable. Les soldats confisquèrent le bétail. De même, sur la Rive-Sud, 19 villages furent presque réduits à néant. À Saint-François-du-Lac, à Portneuf, à Saint-Joachim, l’incendie n’a pas suffi : il y a prise de scalps et massacres. « Un nuage de sang voile notre patrie », écrit un témoin à Trois-Rivières. « Pendant tout l’automne de 1759, raconte Lionel Groulx dans Lendemains de conquête (Stanké), défilent le long du fleuve ces caravanes de faméliques qui ne trouvent où s’arrêter, tant les habitations sont rares, les loyers d’un prix excessif et la misère, le mal commun. » De retour sur leurs terres, les habitants n’ont plus même d’outils pour travailler la terre, couper le bois, transformer le blé en farine et en pain. Ils le mangent bouilli.


Il ne faut pas un siècle pour que la nation se relève et, avec les patriotes, réclame ses droits. Cet épisode est présent à la mémoire collective : Papineau haranguant la foule, le fumet des mousquets, la pendaison et l’exil des chefs. Une vieille chanson, Un Canadien errant, un lieu, au Pied-du-Courant, une fête chômée, un film de Falardeau. Mais pour ce qui a eu lieu juste après, c’est encore le vide mémoriel. Il vaut pourtant qu’on s’y attarde. Une fois les patriotes vaincus à Saint-Eustache, écrit l’historien Gérard Filteau dans son indispensable Histoire des patriotes (Septentrion), « tous les actes de vandalisme et de cruauté furent commis. Après avoir pillé une maison et l’avoir vidée de tout son contenu, s’être emparé des bestiaux et des provisions, on contraignait les habitants, hommes, femmes et enfants à se déshabiller, leur laissant à peine de quoi couvrir leur nudité. On maltraitait les hommes, on violait les femmes, on brutalisait les enfants, on ne respectait rien ».


Le corps du leader patriote Jean-Olivier Chénier, mort pendant la bataille, fut posé sur le comptoir d’une auberge, sa tête rouée de coups, son corps éventré et son coeur sorti de sa poitrine. Les Anglais narguaient les passants : « Viens donc voir ton Chénier, comme il avait le coeur pourri. »


Une partie de la région y passa. « Dans un rayon de 15 milles, il n’y a pas un bâtiment qui n’ait été saccagé et pillé par ces nouveaux vandales », écrit un témoin. Les habitants sont à ce point terrifiés qu’à Sainte-Scholastique, cinq ou six cents personnes vont au-devant des soldats anglais en criant « Vive la reine ! » (Victoria tout juste couronnée) pour témoigner de leur soumission et ainsi sauver leur vie et leurs biens.


Dans le quotidien montréalais Herald, le rédacteur Adam Thom est aux anges : « Dimanche soir, tout le pays en arrière de Laprairie présentait l’affreux spectacle d’une vaste nappe de flammes livides […] Dieu sait ce que vont devenir les Canadiens qui n’ont pas péri, leur femme et leur famille, pendant l’hiver qui approche, puisqu’ils n’ont devant les yeux que les horreurs de la faim et du froid. Pour avoir la tranquillité, il faut que nous fassions la solitude, balayons les Canadiens de la face de la terre. »


Voilà ce qui s’est produit, chez nous, au nom du roi et de la reine. Comme pour la déportation acadienne, on peut débattre. Sommes-nous en présence de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité ? Suivis, c’est certain, par une réelle tentative de génocide culturel, d’assimilation, sur recommandation d’un lord et avec l’assentiment de la couronne.


Elle n’a jamais exprimé le moindre remords, n’a jamais formulé la moindre excuse. À tout prendre, c’est mieux ainsi. Que vaudraient remords ou excuses, après tout ce temps ? Et voudrait-on vraiment les accepter, absoudre l’impardonnable ? L’évocation de ces épisodes qui ne figurent ni dans notre programme scolaire ni dans la culture populaire permet aujourd’hui de tirer deux leçons. La première a été formulée dès 1920 par Lionel Groulx : « Ceux-là qui, parmi nous, s’impatientent, qui voudraient nous voir déjà toutes les puissances des nations adultes, pourraient peut-être ne pas oublier ce point de départ. »


La seconde renvoie au serment de « fidélité et sincère allégeance » à la couronne qu’on veut toujours imposer à nos élus. S’ils craignaient pour leur vie et leurs biens, comme des villageois de 1838, on pourrait comprendre. Mais s’ils ont la moindre étincelle de mémoire historique et le coeur encore bien planté dans leur poitrine, pourquoi ne mettent-ils pas fin, en bloc, à ce qui est, au mieux, une tartufferie ; certainement, un parjure soit envers le roi, soit envers le peuple ; au pire, l’expression d’une condition de colonisé.


jflisee@gmail.com ; blogue : jflisee.org



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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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