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L'Europe ne rigole plus avec l'intégration linguistique

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Immigration : francisation et intégration

Pratiquement inexistantes il y a une décennie, les lois d'intégration linguistique sont aujourd'hui légion non seulement en Europe du Nord mais aussi en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. Les rares pays qui n'en ont pas, comme l'Italie et l'Espagne, songent à s'en donner. Regard sur des pratiques méconnues à l'heure où le Québec débat à son tour du sujet.

Paris -- On y voit des femmes aux seins découverts et des homosexuels qui s'embrassent dans un parc. Difficile de faire plus explicite que ce petit vidéo coquin destiné aux candidats à l'immigration aux Pays-Bas. «Take it or leave it»: telle semble être la nouvelle devise d'un pays qui était il n'y a pas si longtemps le paradis du multiculturalisme. La vidéo en néerlandais fait partie du matériel pédagogique destiné à préparer les candidats à l'immigration au test de langue et de culture néerlandaises qu'ils devront réussir avant d'être admis dans le pays. Une version moins explicite a cependant dû être réalisé pour des pays comme l'Iran où la possession de telles images est passible de prison.
Sans aller jusque-là, la majorité des pays européens ne rigolent plus avec les langues. La plupart jugent aujourd'hui nécessaire de tout faire pour en assurer le meilleur apprentissage possible par les nouveaux arrivants. À Bruxelles, l'acquisition de la langue du pays d'accueil est d'ailleurs un des onze principes de base communs de l'embryon de ce qu'on qualifie, un peu pompeusement, de «politique européenne d'intégration».
On pensait que l'insistance sur l'intégration linguistique se limitait aux nations minoritaires comme le Québec, la Catalogne ou le Pays basque. Mais ce n'est plus le cas. «Évidemment, par de telles mesures, certains cherchent tout simplement à freiner l'immigration. Mais la plupart des pays ont compris que la méconnaissance de la langue nationale était un des principaux obstacles à une intégration réussie», dit Ines Michalowski, de l'université de Münster, en Allemagne.
Les attentats de Londres en juillet 2005 et l'assassinat aux Pays-Bas du cinéaste Theo Van Gogh par un extrémiste islamiste en novembre 2004 ont constitué des points tournants. Ils ont été le prétexte à tous les extrémismes ainsi qu'à l'élaboration de véritables politiques d'intégration qui vont rester une fois l'émoi passé.
Selon Kees Groenendijk, président du Center for Migration Law de l'université de Nijmegen, aux Pays-Bas, il importe de distinguer les mesures qui ne visent qu'à bloquer l'arrivée d'immigrants de celles qui permettent de mieux les intégrer. «Les tests linguistiques que les Pays-Bas, le Danemark et l'Allemagne ont récemment décidé de faire passer à l'étranger aux candidats à la réunification familiale ne visent qu'à refouler les immigrants les moins instruits. Par contre, les mesures obligatoires destinées à permettre l'apprentissage de la langue nationale par les nouveaux venus représentent des facteurs importants d'intégration.» La preuve, dit-il, que ces nouveaux tests linguistiques administrés à l'étranger ne sont que des mesures d'écrémage, c'est qu'aux Pays-Bas, par exemple, les Canadiens, les Américains, les Australiens, les Néo-Zélandais, les Japonais et les Coréens en sont exemptés!
Est-ce parce que leur langue est très peu parlée dans le monde que les 5,5 millions de Danois ont été pratiquement les premiers Européens à se préoccuper de l'intégration linguistique des étrangers? Dès 1986, le Danemark fait de l'apprentissage du danois un droit pour les immigrants et un devoir pour l'État danois. Depuis 2005, les étrangers résidants au Danemark doivent même s'engager par écrit à assurer la formation linguistique des parents qu'ils font venir. Obligatoire pour les nouveaux arrivants qui ne parlent pas le danois, la formation peut s'étaler sur trois ans. Avec le temps, les Danois ont donné des dents à leur loi. Depuis quelques années, nul ne peut obtenir un titre de résident illimité et la naturalisation sans réussir un examen officiel.
Très tôt, les Pays-Bas emboîtèrent le pas à son cousin du nord. On sait que ce pays a radicalement tourné le dos aux politiques multiculturelles après l'assassinat du cinéaste Theo Van Gogh par un extrémiste islamiste en novembre 2004. Pourtant, cette remise en cause a des racines beaucoup plus anciennes. Dès 1994, un premier rapport révélait qu'à peine 25 % des immigrants avaient une connaissance de base du néerlandais. Les autres le baragouinaient à peine.
«Les Néerlandais ont vite pris conscience que l'apprentissage de leur langue était déterminant pour éviter que les immigrants ne se retrouvent à la charge de l'État, dit Ines Michalowski. Avec le temps, ils s'apercevront aussi que pour assurer l'intégration des enfants, il fallait enseigner le néerlandais aux parents. Au début, il s'agissait d'un simple calcul économique. Puis on a découvert que la langue transmettait des valeurs.»
Dès le milieu des années 90, les Pays-Bas créent donc un premier programme obligatoire d'apprentissage du néerlandais. Au départ, il ne s'adressait qu'aux prestataires de la sécurité sociale. Puis, il sera progressivement élargi à tous les nouveaux arrivants. La formation est fixée à environ 500 heures de cours de langue et 30 heures de cours d'éducation civique. Malgré tout, en 2002, on découvre que 60 % des participants ne parviennent toujours pas à atteindre un niveau convenable. On décide alors de porter à 800 le nombre d'heures de formation linguistique. Depuis le début, les immigrants qui reçoivent des prestations sociales peuvent se les voir retirer s'ils n'assistent pas à leurs cours. Aujourd'hui, l'arsenal des sanctions va des amendes au retrait de la carte de résident.
Mais Kees Groenendijk ne croit pas beaucoup à l'efficacité de ces sanctions. «Elles sont très difficiles à appliquer et ne donnent pas vraiment de résultats. Il est presque impossible de faire la preuve qu'un immigrant a volontairement refusé de suivre ses cours. Et puis, on n'apprend pas sous la menace. De toute façon, les classes sont pleines. Ce n'est pas l'absentéisme qui est inquiétant, mais le manque de cours, les soirs et les samedis par exemple.»
On se souvient que la ministre de l'Immigration, la libérale Rita Verdonk, connue pour son approche musclée, avait refusé la naturalisation accélérée au footballeur Salomon Kalou, qui devait jouer dans l'équipe nationale néerlandaise. La ministre jugeait que le joueur n'était pas en mesure de réussir les tests linguistiques demandés aux nouveaux arrivants.
En pleine surenchère populiste, son gouvernement a rompu avec dix ans d'une riche expérience qui commençait à porter des fruits. La dernière loi, qui date de 2006, donne trois ans aux immigrants pour obtenir leur certificat linguistique. Ils doivent s'inscrire dans des instituts privés et payer eux-mêmes le coût des cours en attendant un hypothétique remboursement de 70 % après la réussite de l'examen. «Le résultat, dit Groenendijk, c'est que les immigrants doivent emprunter pour payer leurs cours et que les classes, qui étaient autrefois pleines, sont maintenant vides.» La situation est un tel fiasco que la nouvelle ministre travailliste Ella Vogelaar a déjà annoncé une nouvelle loi d'ici l'été et le retour à une attitude plus ouverte.
L'Allemagne emboîte le pas
L'un des premiers pays européens à s'inspirer des Pays-Bas dans les années 90 a été l'Allemagne. Le pays était à peine mieux nanti puisque les études révélaient que seulement 36 % des immigrants qui y posaient le pied avaient quelques connaissances en allemand. En 2001, un rapport proposa d'adopter le modèle des Polders. Le débat a été long, car l'Allemagne était en pleine réforme de sa loi sur l'immigration. Il faudra donc attendre 2005 pour que les immigrants se voient enfin offrir 600 heures de cours d'allemand obligatoires. Les cours sont financés par l'État fédéral, mais chaque participant paie en principe un euro par heure de cours. Ceux qui échouent peuvent être obligés de rembourser le prix réel des cours. Une mesure destinée, dit-on, à réduire l'absentéisme.
Les étrangers déjà admis qui touchent des prestations de chômage et qui ne parlent presque pas l'allemand peuvent être mis en demeure de suivre des cours. Comme aux Pays-Bas, ceux qui ne se conforment pas à leurs obligations peuvent voir leurs avantages sociaux réduits, écoper d'une amende ou même se faire refuser le renouvellement de leur carte de résident.
«Mais on n'a pas vu de cas d'expulsion, dit Ines Michalowski. Il n'est pas facile d'expulser un immigrant qu'on a déjà admis sur le territoire, même si on peut l'empêcher d'obtenir une carte de dix ans.» Devant les piètres résultats aux examens, la chancelière Angela Merkel a récemment proposé de hausser à 900 le nombre d'heures de cours obligatoires. On a aussi découvert avec plaisir que de nombreux immigrants arrivés en Allemagne depuis longtemps s'y inscrivent. Jusqu'à 56 % des participants peuvent être des immigrés arrivés dans le pays il y a plusieurs années. «On a créé une demande, dit Ines Michalowski. Et c'est très positif.»
Comme dans la plupart des pays européens, l'Allemagne a aussi décidé d'imposer un test d'allemand pour l'obtention de la citoyenneté. Mais les immigrants qui ont réussi leurs cours en sont dispensés. Ces derniers peuvent aussi demander la citoyenneté après sept ans de résidence au lieu des huit ans réglementaires, un incitatif qui vise à récompenser l'immigrant au lieu de le punir.
Même l'Angleterre et la France
Un peu partout en Europe, les expériences néerlandaises et allemandes ont fait des petits. On ne compte plus le nombre de pays qui se sont donnés des programmes plus ou moins semblables. L'Irlande offre jusqu'à 1000 heures de cours facultatifs d'anglais aux immigrants qui le désirent.
Même l'Angleterre, jusque-là peu encline à ce genre de mesures, a résolument emprunté cette direction. L'anglais a beau être la langue internationale par excellence, la naturalisation des immigrants est l'objet d'un test d'anglais depuis 2002. Depuis le mois d'avril, même les candidats à un permis de long séjour au Royaume-Uni doivent passer un examen de langue et de connaissance du pays. Le test coûte 70 $ et le livret qui permet de réviser se détaille 25 $. «Il est essentiel que les immigrants souhaitant vivre au Royaume-Uni de manière permanente reconnaissent les responsabilités que cela entraîne», a déclaré le secrétaire d'État à l'immigration Liam Byrne. Les associations de défense des immigrants soupçonnent le gouvernement de vouloir ainsi favoriser les immigrants les plus riches et les plus instruits.
En France, c'est en 2002, sous Jacques Chirac, que fut posée pour la première fois la question de l'apprentissage du français pour l'intégration des immigrants. Dès lors, on proposa aux nouveaux venus un contrat d'intégration qui offrait un apprentissage minimum de la langue et une sensibilisation au mode de vie. À l'époque, sur 100 000 étrangers arrivant légalement chaque année, 8000 seulement faisaient l'objet d'un soutien linguistique. Depuis 2006, un étranger admis pour la première fois au séjour en France et qui souhaite s'y établir doit signer un «contrat d'accueil et d'intégration» qui lui permet de recevoir entre 200 et 600 heures de cours de français plus une trentaine d'heures d'initiation aux spécificités de la société française. Comme le Royaume-Uni, la France fait pourtant partie des rares pays qui ont la chance d'accueillir une majorité d'immigrants qui parlent déjà leur langue. «Acquérir une langue, c'est aussi acquérir les valeurs du pays, dit Patrick Butor, directeur de la Direction de la population et des migrants. Ces cours dorénavant obligatoires permettent notamment de rejoindre des populations isolées, comme certaines femmes musulmanes ou analphabètes qui, autrement, n'apprendraient pas le français.»
La France n'a pas opté pour un arsenal répressif et les cours y demeurent gratuits. Mais, les immigrants qui n'ont pas une connaissance de base du français se verront dorénavant refuser la carte de séjour de dix ans, l'équivalent de la résidence permanente.
«Le multiculturalisme est mort»
Les changements radicaux survenus aux Pays-Bas et au Royaume-Uni ont amené de nombreux observateurs à conclure que les deux principaux piliers européens du multiculturalisme s'étaient effondrés. Dès 2006, l'ancien conseiller municipal travailliste proche de Tony Blair, Trevor Phillips, était catégorique: «Le multiculturalisme est mort!» Originaire de Guyana, Phillips dirige la commission britannique pour l'égalité et les droits humains. Il a pourtant longtemps défendu la politique officielle du multiculturalisme britannique.
Comme l'avait déjà noté le sociologue Rogers Brubaker, de l'Université de la Californie à Los Angeles, les années 80 et 90 ont été celles des idéologies «différentialistes» valorisant les «communautés culturelles» les plus diverses. Dès 2001, Brubaker notait pourtant un certain retour à une conception plus traditionnelle de l'intégration selon laquelle les immigrants ou leurs descendants ont pour vocation de s'assimiler à terme au groupe culturel majoritaire.
Avec les nouvelles politiques d'immigration européennes, «l'accent est mis sur ce que tous les citoyens doivent avoir de commun», écrivait récemment le politologue du CNRS Jean-Claude Monod. Les nouveaux programmes «insistent sur les devoirs comme réciproques des droits, sur la loyauté attendue en contrepartie de l'accueil», même si certains pays poussent cette conception à l'extrême en exigeant pratiquement que les immigrants s'intègrent avant même de fouler le sol du pays d'accueil. Par ailleurs, précise Monod, une certaine «accommodation pragmatique» de la diversité, notamment religieuse, s'est aussi produite dans les pays comme la France, qui n'ont jamais communié au multiculturalisme.
Bref, si l'assimilation est peut-être devenue un peu plus accueillante qu'autrefois, le multiculturalisme, lui, est à l'agonie.
Correspondant du Devoir à Paris
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