Apprentissage de la langue nationale - Quand les régions imposent leur volonté

Une citoyenneté québécoise avec des critères différents de la citoyenneté canadienne? Le projet de Pauline Marois n'aurait rien de bien original en Suisse où il y a longtemps que ce genre de débat n'effraie plus personne, comme l'a constaté notre correspondant.

Immigration : francisation et intégration

Une citoyenneté québécoise avec des critères différents de la citoyenneté canadienne? Le projet de Pauline Marois n'aurait rien de bien original en Suisse où il y a longtemps que ce genre de débat n'effraie plus personne, comme l'a constaté notre correspondant.
Paris -- Depuis 1955, le canton de Neuchâtel impose à tout nouveau citoyen «une connaissance suffisante du français». Ce n'est qu'à ce prix que l'on peut devenir Neuchâtelois, et par la même occasion Suisse. Par contre, dans les cantons où la langue officielle est l'allemand ou une variante locale, c'est cette dernière qui est exigée. Les cantons bilingues demandent quant à eux la connaissance d'une des langues officielles.
En effet, en Suisse, la citoyenneté est une responsabilité partagée par l'État central et les cantons. En plus des critères nationaux, chaque canton peut aussi fixer ses propres critères sans que cela ne fasse pousser des cris d'orfraie aux défenseurs des droits.
Dans certains cantons, on se contente de vérifier ces connaissances linguistiques par un test oral. Dans d'autres, le candidat est aussi soumis à une épreuve écrite. Il faut dire que la Suisse est un des pays où la naturalisation est la plus difficile à obtenir. Il faut en effet 12 ans de résidence pour pouvoir devenir Suisse et un peu moins pour ceux qui ont grandi dans le pays.
«Depuis quelques années, la majorité des cantons proposent aux nouveaux arrivants des cours de langue et des programmes de connaissance du pays», explique Thomas Faccinetti, délégué aux étrangers du canton de Neuchâtel. Fier d'une forte tradition d'immigration, Neuchâtel s'est donné en 1996 une loi destinée à favoriser l'intégration. Mais le canton refuse pour l'instant d'exiger la connaissance du français pour l'octroi du permis de résidence. Certains cantons comme Zurich envisagent de le faire. «Mais pas à Neuchâtel», dit Faccinetti.
Il arrive néanmoins que les autorités réclament d'un candidat en infraction qui est sur le point de se voir retirer son permis de séjour qu'il s'engage à apprendre le français et à mieux s'intégrer. À partir du 1er janvier, un imam originaire d'un pays non européen devra obligatoirement suivre des cours sur la société suisse pour pouvoir obtenir un titre de séjour. «Neuchâtel préfère conserver pour l'instant une approche libérale en traitant les problèmes au cas par cas», dit Thomas Facchinetti.
La Confédération suisse n'est pas le seul pays où les régions jouent un rôle dans la naturalisation. Ceux qui s'inquiètent de la citoyenneté à deux vitesses peuvent méditer le cas allemand. En Allemagne, l'admission des nouveaux citoyens relève des länder (provinces). Ce sont eux qui appliquent la loi fédérale et qui administrent donc les tests linguistiques. Or ceux-ci varient d'un land à l'autre.
Ainsi la Bavière a-t-elle choisi d'imposer un test écrit alors que la Rhénanie du Nord se contente d'un test oral. «Il est de notoriété que le test est plus facile dans certains länder que dans d'autres», dit Ines Michalowski de l'université de Münster. Mais personne ne semble en faire de cas.
La Belgique offre un portrait différent. Alors que l'obtention de la citoyenneté belge n'exige aucune connaissance linguistique particulière, ce sont les «communautés» qui sont responsables de l'intégration des immigrants. La Flandre a développé depuis plusieurs années un véritable programme d'intégration qui oblige les immigrants à apprendre le néerlandais et les codes du pays. Sans créer formellement une citoyenneté flamande, les Flamands parlent tout de même d'«inburgering», une expression que l'on pourrait traduire littéralement par le néologisme «citoyennisation» ou «intégration civique».
«La Flandre invite les nouveaux arrivants à s'inscrire dans une trajectoire qui leur permettra de participer pleinement à la société, dit Marie-Claire Foblets, de l'université de Louvain. D'ailleurs, nous avons découvert que les immigrants étaient très demandeurs.»
Souvent décriée par les francophones, la politique oblige les immigrants à suivre des cours de néerlandais, d'instruction civique et d'orientation dans la société flamande. La Flandre a notamment créé huit maisons du néerlandais. Ces maisons servent de lieu d'accueil des immigrants et l'on y dispense des cours, un peu comme dans les défunts COFI (centres d'orientation et de formation des immigrants) du Québec.
Des sanctions décriées
Ce sont les sanctions attachées au programme qui ont suscité le plus de polémique. Les récalcitrants peuvent en effet voir leurs prestations sociales réduites, se faire imposer une amende d'environ 300 $ ou même se faire refuser un logement social. L'affaire des HLM s'est retrouvée devant le tribunal constitutionnel, qui a statué que cette exigence était justifiée dans la mesure où l'on n'exigeait pas de l'immigrant une connaissance précise du néerlandais, mais la manifestation d'une volonté de l'apprendre et de s'intégrer.
Les citoyens européens, qui jouissent de la liberté de circulation partout en Europe, sont évidemment exemptés de ces obligations. Mais la Flandre se réserve le droit de définir de façon plus restrictive que le gouvernement fédéral ceux qui peuvent être assimilés ou non à des citoyens européens. Cette définition peut notamment concerner les conjoints.
Les chrétiens-démocrates flamands dirigés par le candidat arrivé en tête aux dernières élections fédérales, Yves Leterme, réclament un resserrement des conditions d'obtention de la nationalité. Ils veulent notamment imposer de nouveaux critères comme la connaissance de la langue. Les Belges francophones ne sont guère sensibles à ces arguments qu'ils jugent souvent contraires aux droits de l'homme. Il faut dire que l'immense majorité des immigrants attirés par le rayonnement de la capitale européenne parlent généralement le français sans problème. Par contre, ils ne sont qu'une infime minorité à parler le néerlandais.
Johan Wets, de l'université de Louvain, vient de terminer une évaluation du programme d'intégration flamand. «La plupart des immigrants n'attendent rien en arrivant en Flandres, dit-il. Quand ils apprennent qu'on leur offre des cours pour mieux s'intégrer, ils sont agréablement surpris.» Peu d'immigrants refusent de participer au programme. Les rares cas concernent certains immigrants qui trouvent immédiatement un travail très accaparant ou des femmes qui ne peuvent pas faire garder leurs enfants. Voilà pourquoi Wets propose l'organisation de garderies destinées aux nouveaux arrivants qui suivent les cours ou l'organisation de cours en collaboration avec les employeurs.
Les critiques, souvent mal renseignés, n'ont guère ébranlé le gouvernement flamand qui entend aller de l'avant. Pour Marie-Claire Foblets, le consensus flamand ne semble pas faire de doute: «C'est une politique qui vise d'abord l'intégration et non pas l'exclusion. Il faudrait même en faire plus.»
Correspondant du Devoir à Paris
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