Si j’étais immigrante

Si j’étais immigrante Je maudirais le conflit qui s'abat en moi.

Tribune libre - 2007


Si j’étais immigrante

J'aurais pour parler le langage des mots utiles, des "bonjour, comment ça va?"

Je voudrais dire mais ne dirais rien.

La tête haute, je m'en irais vers ma maison, vers mon îlot de ville.

Près des miens, je serais bien. Près d'eux, pas besoin de rien.

Pas besoin de serrer les poings, ... voyez, comme en ce moment.
Si j'étais immigrante, les miens à dire vrai, ne me suffiraient pas.

Car je voudrais abolir la petite vie à la petite semaine, le petit salaire, la petite peur.

Abolir, les yeux baissés, la soumission, l'étroitesse des balcons.
Si j'étais immigrante, je claquerais des dents et je hurlerais, là sur-le-champ!

Rien ne sortirait, ... voyez, comme en ce moment.

Personne pourtant ne m'a signifié de me taire.

Mais quand on vient d'ailleurs, on se ferme simplement.

La tradition est millénaire. On enterre sa gueule sous les boniments.

On fait comme il se doit. Naturellement.
Si j’étais immigrante

Je maudirais le conflit qui s'abat en moi.

Suis-je d'ici, d'ailleurs ou de nulle part?

Ai-je mon mot à dire?

À quoi servent les présidents?

Le droit de vote, l’internet et la télévision?
Si j'étais immigrante, je n'aurais pas le verbe hurlant.

Mais sans crier gare, j’avancerais,

J'avancerais quand même.

Bon sang, mauvais sang !

Voyez, comme en ce moment!

France Bonneau

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France Bonneau est professeure de français auprès des adultes-immigrant-e-s . (MICC)





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