Seuils critiques

Le « Bellemaregate » nous enseigne présentement l’importance de savoir être prompt, discret et sans ménagement lorsque nécessaire.

Chronique d'Élie Presseault

Il vint de ces moments où les porte-étendards perçus de la cause de l’indépendance du Québec tentèrent une remise en question fondamentale de leur option. Le plus souvent, ils assoient leur légitimité sur cette dénomination de souveraineté. Parlons-nous d’indépendance de statut du Québec, ou encore d’association à un régime délétère? La réponse n’est jamais aussi simple. La crise des accommodements raisonnables, la mise en place du débat de la pertinence du projet indépendantiste étant signalée de manière récurrente et temps faisant, le moral des troupes fluctue au gré d’une transformation et d’une conscience tangibles de la nécessaire modification du statut constitutionnel du Québec.
Depuis les 20 ans du Lac Meech et du Bloc Québécois, nous parvenons enfin au dénouement historique de cette ambivalence. L’affranchissement tout aussi nécessaire du cadre étatique actuel tend à se concrétiser sur le plan des positions de principe et d’une résolution renouvelée quant au mode d’action des politiques à mettre de l’avant. Que ce soit surtout le fait des intellectuels et activistes de l’indépendance du Québec par les temps qui courent, entre autres vigiliens, il ne faut jamais se méprendre sur l’importance de la conjoncture politique du moment. Ainsi posé, le seuil critique nécessaire permet aux acteurs de la souveraineté de se positionner dans ce qui apparaît politiquement correct aux radars des personnalités politiques et des médias fédéralo-corporatistes. Quoi qu’on s’en moque…
L’importance du charisme
Pour certaines raisons parfois explicables, d’autres fois pas, les leaders charismatiques de quelque cause primordiale ont tenu un certain pavé… Mettons cela sur le compte de la conjoncture, de la préparation des esprits, de la réceptivité d’un certain discours dans les chaumières québécoises et de leur résonance prophétique, qu’en dira-t-on… Les René Lévesque et Lucien Bouchard, à titre de fondateurs de deux partis majeurs dédiés à la cause de la souveraineté du Québec, ont tôt eu à faire le poids de leurs déclarations. Que ce soit Option Québec, le « beau risque », la cassure du Lac Meech, les conditions gagnantes d’un référendum et l’intolérance perçue, il n’en reste pas moins que certains discours, impressions et effets ont laissé un certain sillage derrière eux.
Par opposition, les routiers de longue date au Parti Québécois ont fait moins bonne figure sur le plan de la réalisation d’une certaine liberté. Mettons ceci sur le compte de la nécessité de cheminer et de se mériter une autorité de meneur, meneuse. Récemment, quelqu’un avait mentionné le triumvirat constitué des René Lévesque, Jacques Parizeau et Camille Laurin. Une certaine prise de parole prenait effet, puis prenait le chemin inverse. Les johnsonistes convaincus et perçus par la base militante ont tôt fait d’envoyer la cause de l’indépendance vers une certaine mort cependant parsemée d’embûches. Tout autant Jacques Parizeau aura servi le pouvoir d’une cause à une aussi brève échéance, l’année 2003 aura sonné le glas de la pensée péquiste magique. Nous avons mal vécu le passage des années, heureusement la jeune génération se manifeste quoique de manière plus effacée et différente. Nous aurons beau nous époumoner envers Pauline Marois, rien n’y fera tant et aussi longtemps que nous nous placerons face à l’épreuve de la réalité.
L’histoire du Parti Québécois
Le Parti Québécois a survécu à travers six chefs, le Bloc deux. Périodiquement, nous diabolisons quelque tendance à passer la guillotine chez les chefs du PQ pour non-respect du programme essentiellement. Certains conseillers et personnages de haut vol tentent à leur tour de contenir quelques radicaux perçus. L’opportunité du prochain congrès du PQ semble détenir certaines clés essentielles à la suite des choses. Soit nous relevons le défi, ou ce sera partie remise.
Nous parlions tantôt de Lucien Bouchard. Une longue période de réflexion m’a permis d’étudier son cas et de le mettre en parallèle avec celui de René Lévesque. Nous parlons de deux profils nettement distincts. Toutefois, nous pouvons avoir connu les extrêmes d’une ambivalence partagée. La différence qui sépare les deux chefs réside dans leur conception du rôle de l’État. Il faut indiquer qu’ils se sont illustrés à deux époques différentes ou presque, une génération même. Lucien Bouchard, bien que vieux, est passé à la politique active beaucoup plus tard.
Si nous voulons comparer Lucien Bouchard, nous devons le placer vis-à-vis des quêtes de Jacques Parizeau, Pauline Marois et Gilles Duceppe. Du reste, Pierre-Marc Johnson, André Boisclair et Mario Dumont indiquent l’autre versant d’une même montagne. Nous nous plaisons à penser que Lucien Bouchard est un opportuniste. D’autre part, ses déclarations vaseuses laissent entrevoir un homme déchiré sur le plan du statut constitutionnel du Québec, bien que ce soit essentiellement théâtral voire machiavélique. Ne nous méprenons pas sur ses positions d’homme d’État nettement campé à droite. Ce qui a distingué Jacques Parizeau et Bernard Landry se retrouve essentiellement au passage de Lucien Bouchard.
Vint le Vive le Québec libre et ses suites inachevées
Parlant de chefs, les leaders charismatiques ont réuni une majorité d’appuis tant et aussi longtemps qu’ils s’en tenaient au credo de l’Option Québec et de la déclaration « Je suis Québécois. » Dès le moment que nous confondions la question constitutionnelle de la gouvernance strictement provincialiste à la petite semaine, nous n’avons jamais été à une guerre près. Encore une fois, nous pouvons épiloguer à propos de conjoncture. Il n’en reste pas moins que les indépendantistes de guerre constante ont les dents longues. Nous devrons changer de statut, poser les gestes qui nous mèneront à l’indépendance réelle et effective, et trouver certaines voies de compromis entre les diverses tendances d’une convergence porteuse d’union. René Lévesque disait l’importance de nourrir le tir là où ça comptait, a contrario de la vie militante à l’interne. Bien que la vie militante soit primordiale à la bonne marche de l’orientation et des factions prenant part à cette question essentielle de l’indépendance politique du Québec, il nous faut regarder de près la conjoncture du moment. Avec un gouvernement qui tient à peu de chose, l’opposition officielle doit relever le défi de démontrer qu’elle peut tirer parti des circonstances. Comme Jean-Philippe Massicotte le mentionnait récemment dans une lettre d’opinion au Devoir, le cynisme envers la classe politique constitue un mauvais diagnostic de l’état des faits. Souvenons-nous, c’est Lucien Bouchard et Mario Dumont qui ont propagé cette idée tendancieuse. Parlons plutôt de désabusement, ras-le-bol croissant et indifférence relative face au sort de la politique déjà viciée par des mœurs et pratiques délétères de l’action politique. Ajoutons à cela une fâcheuse impression de corruption institutionnalisée, érigée en fait accompli et auto-justifiée par des politiciens qui s’attirent les foudres de la population en général, et du je-m’en-foutisme de la dilapidation des fonds publics sans vision porteuse.
Le choc du renouvellement
Le renouvellement de la classe politique passe par un certain recrutement des effectifs, des promotions et des opportunités offertes à la garde montante, l’élaboration et le long mûrissement des propositions politiques ayant des débouchés sur le plan de l’action. Il nous faut redonner la force d’imaginer, envisager à grands traits les esquisses des politiques et la possibilité de les ancrer dans la réalisation concrète. Dans un contexte de crise économique, de redéfinition des institutions du Québec de la Révolution tranquille et de stagnation du statut constitutionnel, nous devons redoubler d’audace et persister dans l’action de ce que nous croyons être juste. Parler c’est bien, agir c’est mieux.
Une autre forme de sagesse réside dans la ferme conviction que le changement ne vient pas toujours là où l’on croyait venir. Il nous faut tenter, accuser le coup et permettre que changement se fasse. Nous ne parlons évidemment pas de changement à tout prix. La gouvernance du sauve-qui-peut n’a jamais sauvé personne. Être populiste est parfois bien. Il nous faut savoir en user avec parcimonie et transmettre une vision.
Le « Bellemaregate » nous enseigne présentement l’importance de savoir être prompt, discret et sans ménagement lorsque nécessaire.


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