Se libérer de Kyoto

De Kyoto à Bali



Le scénario était écrit d'avance, les cibles de réduction des gaz à effet de serre proposées par le ministre fédéral de l'Environnement, John Baird, ont fait bondir les écologistes. Des dizaines de groupes et d'organisations ont dénoncé le fait que le projet conservateur ne respectait pas les cibles du protocole de Kyoto. Les partis d'opposition ont déchiré leur chemise pour la même raison.
Quand tout le monde sera redescendu des rideaux, il faudra reconnaître que le projet de M. Baird comporte un double virage. D'abord, un 180 degrés pour le gouvernement conservateur lui-même, qui s'était couvert de ridicule et de honte par son refus d'admettre la gravité du réchauffement climatique et par son inaction en la matière. Le fait que les conservateurs aient cheminé sur cette question permet un certain consensus politique qui nous assure que, peu importe qui détient le pouvoir à Ottawa, il y aura une continuité dans l'action.
Le deuxième virage, c'est que nous avons un vrai plan, avec des cibles pour les industries, avec des pénalités, avec un échéancier, qui mènera à une stabilisation et ensuite à une réduction des émissions de GES. C'est une première. Le gouvernement Chrétien n'avait rien fait et le gouvernement Martin a été balayé par une défaite électorale avant d'avoir pu agir.
Évidemment, ce n'est pas Kyoto, comme on nous le répétera ad nauseam. Mais si on voit le projet du ministre Baird comme un point de départ, comme un coup d'envoi plutôt qu'un aboutissement, le tableau se transforme.
Il est vrai que c'est trop peu, trop tard. Le protocole qu'a signé le Canada prévoyait que l'on ramènerait les émissions de GES à 6 % en dessous de leur niveau de 1990 entre 2008 et 2012. M. Baird prévoit plutôt que les émissions vont commencer à baisser dans 3 à 5 ans, et qu'elles seront inférieures de 20 % à leur niveau de l'an dernier en 2020. En gros, le Canada aura 10 ans de retard sur l'échéancier de Kyoto.
Mais pourquoi? Tout simplement parce qu'on commence 10 ans trop tard. Le protocole a été signé en 1997, et depuis, les émissions de GES, au lieu de baisser, n'ont pas cessé d'augmenter. C'est un fiasco dont la responsabilité revient largement au gouvernement Chrétien, qui ne savait pas ce qu'il signait, qui n'a pas fait pas grand chose ensuite, en termes d'études d'impact, de sensibilisation et de mesures concrètes. Notre retard, c'est neuf ans d'incurie libérale et un an de dogmatisme conservateur. Assez pour priver les libéraux de Stéphane Dion de toute légitimité dans l'indignation.
Peut-on rattraper le temps perdu? Non. Respecter Kyoto, cela voudrait dire faire en cinq ans ce qui aurait dû en prendre 15, et réduire les émissions de GES de 30 % d'ici 2012. C'est énorme. Ce serait un effort considérable, qui aurait des effets économiques majeurs. Changer les procédés industriels, repenser les transports, ça prend du temps. La réduction des émissions de GES, dans le vrai monde, n'échappe pas aux lois du réel.
Mais nous sommes dans un monde religieux. Où les cibles de Kyoto revêtent un caractère sacré. 62 % des Canadiens, selon un sondage du Globe and Mail, veulent qu'on les respecte, encouragés en cela par les partis d'opposition qui exploitent l'impopularité des conservateurs dans ce dossier. Et dont la mauvaise foi a des conséquences néfastes, en perpétuant le mythe que le respect de Kyoto est possible et qu'il se fera sans douleur.
Est-ce que M. Baird en fait assez? Probablement pas. Ne serait-ce que parce que le gouvernement conservateur n'inspire aucune confiance en la matière et qu'on a pu voir comment les pressions politiques et populaires ont pu changer les choses. Il faut donc forcer le gouvernement à justifier ses cibles, continuer à pousser pour que le Canada fasse preuve de plus d'ambition, de créativité et de détermination.
Mais comment juger le projet du ministre Baird? Le fait que tous ceux qui critiquent le gouvernement se soient accrochés à Kyoto fait que nous nous retrouvons sans balises une fois que l'on réalise que ces objectifs ne sont pas réalisables. Ne pas respecter Kyoto ne nous libère pas de l'obligation de faire le plus possible. Mais ce serait quoi, ce plus possible?
C'est un débat que nous n'avons pas eu. Pas plus qu'une réflexion sur les impacts économiques. Pas plus qu'une vaste effort pour amener les citoyens à réaliser l'ampleur des changements qu'ils devront faire dans leurs habitudes. Peut-être sera-t-il maintenant possible d'avoir un vrai débat d'adultes sur la façon dont le Canada devra jouer son rôle dans la lutte au réchauffement de la planète, à l'abri des dogmes religieux et de l'opportunisme politique.


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