Commission canadienne des droits de la personne

S'attaquer aux gais, aux occidentales et aux juifs n'est pas nécessairement haineux

La plainte d'un éditeur contre un imam montréalais a été rejetée

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Accommodements raisonnables post-commission B/T

La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a rejeté une plainte pour propagande haineuse logée par Marc Lebuis, éditeur de Point de bascule, contre un imam salafiste montréalais qui estime que les homosexuels et les juifs sèment le désordre sur la Terre et qui relie l'impudeur des femmes non-musulmanes au viol, au sida, à l'éclatement des familles et à la délinquance.
Selon une analyse de la CCDP dont Le Devoir a pris connaissance, les écrits de l'imam salafiste Abou Hammaad Sulaiman Dameus al-Hayiti ne représentent pas un acte de propagande haineuse au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Par conséquent, la Commission a rejeté la plainte de M. Lebuis.
C'est en naviguant sur la Toile que M. Lebuis a téléchargé l'ouvrage de M. Al-Hayiti, intitulé L'Islam ou l'intégrisme? À la lumière du Qor'an et de la Sounnah. Né à Montréal, M. Al-Hayiti prêche essentiellement dans le cyberespace, où il met en ligne ses écrits en français et des fichiers sonores numériques de ses sermons en français et en arabe. Il s'est imprégné notamment des écrits de Ibn Taymiyah, une des principales références théologiques des islamistes radicaux. Dans son livre intitulé Montréalistan, enquête sur la mouvance islamiste, le reporter Fabrice de Pierrebourg consacre presque un chapitre entier à M. Al-Hayiti, qu'il identifie comme l'«imam Abou H». Il prête à l'imam «un refus total de la modernité, une vision de la vie qui se partage entre le bien et le mal».
L'Islam ou l'intégrisme? cible, entre autres, les homosexuels et les lesbiennes. Selon la volonté du prophète, les homosexuels pris dans l'acte de sodomie méritent qu'on leur «coupe la tête», écrit l'imam Al-Hayiti. Au sujet des homosexuels et des lesbiennes, il affirme encore: «Qu'Allah les maudisse et les anéantisse dans cette vie et dans l'autre.»
Accusés de semer «le désordre» sur Terre, la plupart des juifs «ne recherchent que les intérêts matériaux et l'argent», écrit par ailleurs l'imam Al-Hayiti. Les femmes non-musulmanes sont des «mécréantes» qui ont été séduites par «le discours enfantin, naïf et simpliste du féminisme. Inutile de parler des conséquences de cette impudeur; les viols, les maladies vénériennes, le sida, l'herpès, les familles monoparentales, la délinquance, la pauvreté, l'ignorance et tant d'autres», explique l'imam.
Les «mécréants» vivent enfin comme des bêtes, et ils sont inférieurs aux musulmans, peut-on lire dans L'Islam ou l'intégrisme?. L'Occident tout entier a été noyé dans «la perversité, dans la corruption et l'adultère» par le christianisme, une religion «de mensonge».
Après avoir lu l'ouvrage, M. Lebuis a déposé une plainte contre Al-Hayiti pour propagande haineuse sur l'Internet, en vertu de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Selon les arguments de M. Lebuis, l'imam expose à la haine, au ridicule et au mépris le peuple québécois, les homosexuels, les femmes et les juifs avec ses écrits «remarquablement suprématistes, machistes et misogynes». Le dépôt de la plainte, en avril dernier, avait valu à M. Lebuis une attention médiatique considérable.
Après un délai de près de huit mois, la Commission canadienne des droits de la personne a décidé de ne pas donner suite à cette plainte, dans une lettre datée du 1er décembre. Selon les explications de la CCDP, la majorité des références dans L'Islam ou l'intégrisme? concernent les infidèles, les mécréantes ou les femmes de l'Occident. Il s'agit de catégories de personnes «très générales et diversifiées» qui ne constituent pas «un groupe identifiable» au sens de la loi. La Commission reconnaît toutefois que certains passages des écrits de M. Al-Hayiti visent des groupes identifiables tels que les homosexuels, les lesbiennes, les chrétiens, les juifs et les femmes non-musulmanes. Mais l'organisme fédéral juge que ces passages précis «ne semblent pas promouvoir la haine ni le mépris».
Dans le contexte de la loi et de la jurisprudence, le terme «haine» fait référence à «un malice extrême, une émotion qui n'admet chez la personne visée aucune qualité qui rachète ses défauts», explique la CCDP dans sa lettre. Le terme «mépris» est tout aussi extrême, et il comprend «les circonstances où une personne est regardée de haut et ses sentiments sont amoindris, dénigrés, non respectés ou défavorisés».
L'imam cite abondamment le Coran et des textes religieux dans ses écrits. En aucun temps il n'encourage en termes spécifiques le recours à la violence. M. Al-Hayiti n'a pas retourné l'appel du Devoir et n'a pas répondu à notre courriel.
De son côté, l'éditeur de Point de bascule, un site Internet qui dénonce les dérives idéologiques des islamistes, n'en revient tout simplement pas. Selon lui, la décision de la CCDP démontre l'incohérence des commissions fédérales et provinciales chargées de réprimer le discours haineux. «Si vous faites partie d'une minorité, vous pouvez en toute impunité tenir un discours haineux et méprisant envers la majorité. Les normes de tolérance, de respect et de civilité applicables à la majorité ne s'appliquent pas à vous. Si vous faites partie d'une minorité religieuse, vous pouvez en toute impunité propager une idéologie suprématiste et prôner l'extermination d'autres minorités, et même de la majorité, si c'est la doctrine de votre religion», affirme Marc Lebuis.
Une porte-parole de la Commission canadienne des droits de la personne, Carmen Grégoire, a refusé de justifier la décision. «Nous ne commentons pas les plaintes. Nous ne confirmons même pas la réception ou le rejet des plaintes pour préserver la confidentialité des dossiers», a-t-elle expliqué.
La légitimité des enquêtes de la CCDP sur la propagande haineuse fait l'objet d'intenses remises en question au Canada. Cet automne, un professeur de droit à l'Université de Windsor, Richard Moon, a jeté un pavé dans la mare. Dans un rapport commandé par la Commission, M. Moon affirme que l'organisme vit une dérive vers la censure dans sa lutte pour réprimer la propagande haineuse (en particulier sur Internet). Il a suggéré l'abrogation de l'article 13 de la loi, afin que la Commission et le Tribunal des droits de la personne n'aient plus à s'occuper de propagande haineuse. Cette tâche devrait revenir à la police, estime M. Moon. Les cas de propagande haineuse pourraient alors être traités en vertu de l'article 320.1 du Code criminel.


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