Ridicule Prix Nobel pour l'Union européenne

Chronique de José Fontaine

Hier, le Comité norvégien du Prix Nobel a attribué le Prix Nobel de la Paix à l’Union européenne (UE) en raison du fait qu’elle est l’exemple vivant de la promotion de la paix, de la réconciliation, de la démocratie et des droits de l’homme.
Il n’aurait pas dû se ridiculiser comme cela en attribuant ce Prix à une institution qui a perdu toute crédibilité. Les sondages en Europe donnent 31 % de citoyens européens faisant « plutôt confiance » à l’UE, ce qui veut dire que le reste ne lui fait plutôt pas confiance et même pas confiance du tout! Pourtant, je ne suis pas eurosceptique et je suis bien conscient de la réalité profonde de la réconciliation des peuples européens qui s’est produite dans les années 1950 et 1960. Mais les actuels responsables de l’UE n’y ont aucun mérite. Cette récompense absurde vient trop tard et n’avait pas à être attribuée à ceux à qui elle l’a été.
Aucun jeune Européen ne crut plus à la guerre
Je me souviens du début des années 1960 en Europe à Dinant (mais cela aurait pu être partout ailleurs dans les six pays du Marché Commun : France, Italie, Allemagne, Hollande, Luxembourg). Nos professeurs ayant connu la guerre faisaient mine de se méfier encore de l’Allemagne. Plus personne d’entre nous n’y croyait, vraiment plus personne. Les jeunes, dit-on, sont les premiers à sentir la danse qui sera celle de leur temps. Un psychologue qui nous testait à la fin de nos humanités (et nous dopait moralement) nous décrivit une carte de l’Allemagne avant 1940, utilisée dans certaines écoles d’outre-Rhin, qui représentait autour de ce pays, les Français, les Belges, les Hollandais en uniformes militaires et parfois même avec en main les armes prêtes à être dirigées contre la patrie allemande. Il nous disait la chance que nous avions de naître dans une Europe où des images comme celles-là, nourries de la perspective de guerres indéfinies à reprendre sans cesse, n’avaient plus cours. Il n’avait pas de mal à nous convaincre. Les dirigeants européens comme Schuman (le Français) et Adenauer (l’Allemand), ont été avec d’autres à la base de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1950) ou du Marché commun (le Traité de Rome en 1957), étaient un peu comme notre psychologue, ils savaient que l’opinion publique les suivait.

Jaloux de la souveraineté française, le général de Gaulle ne mit jamais en cause le principe même de la construction européenne. Mais la puissance retrouvée de la France, l’éclat et la force de la réconciliation allemande qu’il consacra avec son compère Adenauer gênèrent considérablement les fédéralistes européens extrémistes. Les deux hommes assistaient à une cérémonie à la cathédrale de Reims, à des manœuvres communes entre armées allemandes et françaises, de Gaulle recevait et logeait Adenauer dans sa propre maison à Colombey-les-deux-églises… Les jumelages entre localités allemandes et françaises se multiplièrent, preuve évidente d’un consentement populaire profond. Au fond, peut-être était-ce à ces deux hommes qu’aurait dû aller le Prix Nobel d’aujourd’hui (encore que… je vais y revenir…). Celui d’aujourd’hui, personne ne sait qui le recevra au nom de l’Europe : les dirigeants non élus de l’UE (Barroso et Van Rompuy), se disputent paraît-il déjà cet honneur.
La Belgique et la Hollande antigaullistes
Le président de la Commission, Walter Hallstein, préconisa à partir de 1965 la construction d’une Europe fédérale ce qui lui valut l’hostilité profonde du général de Gaulle (hostilité ancienne : Hallstein mit très vite en cause la renaissance du nationalisme en Europe, visant très clairement la politique gaullienne).
Il faut dire que de Gaulle n’était pas alors bien vu des milieux pro-européens, c’est le moins qu’on puisse dire. En Belgique, dans les milieux flamands et dans les milieux wallons de tendance belgicaine, de Gaulle était haï, la Belgique s’étant vouée corps et âme, à une Europe qui aurait réglé la question belge en la dépassant et passablement antifrançaise. Un tel nationalisme belge n’est pas surprenant. Sous le même couvert de la construction européenne, avec d’autres objectifs nationaux, cela a été la politique suivie par l’Allemagne, non sans intelligence.
Et à certains égards, cela pouvait être sympathique. Mais sans doute plus nocif à long terme que la politique européenne du général de Gaulle. J’ai assisté en mai 1991 à un extraordinaire Congrès philosophique organisé à Bruxelles par la Commission européenne et l’UCL où, déjà alors, Habermas, Européen convaincu s’il en est, réévalua cette politique gaullienne en soulignant que « l’Europe des patries » (slogan par lequel on résumait la vision gaullienne de l’Europe), était quelque peu réhabilitée face au fédéralisme européen, doctrine monolithique de ce que l’on pourrait appeler les extrémistes de l’idée européenne (hier le Hollandais Luns, le Belge Paul-Henri Spaak, aujourd’hui des gens comme Cohn-Bendit ou Verhofstadt). Comme directeur de la revue TOUDI et bien que je n’aie pas été le voir d’abord pour cette raison, la rencontre de Jean-Marc Ferry (qui traduisit Habermas en français et l’expliqua en France), fut une sorte d’Aufklärung. Car cet homme, tout en restant un partisan passionné de l’Europe, n’entendait pas que les nations y disparaissent. D’une certaine manière d’ailleurs, on pourrait dire qu’il a européanisé les idées sur l’Europe du général de Gaulle parfois combattues (pas seulement de mauvaise foi), dans la mesure où les partenaires européens y voyaient la résurgence du rêve nationaliste français d’une Europe à l’image de la France et sous sa domination.
Une Europe des nations sans nationalisme et non des Régions
Dans L’Europe au soir du siècle(sorte d’actes du Colloque de Bruxelles de 1991) Habermas écrivait déjà en 1992 : « ‹ l’Europe des patries › du général de Gaulle est sûrement moins nationaliste, en dépit de l’apparence, et plus authentiquement postnationale, que l’‹ Europe des régions › chère aux européanistes radicaux ». Je dois dire que c’est la raison pour laquelle (même si c’est tentant comme wallon), je me suis toujours opposé au mouvement fondé par José Happart en 1987 et baptisé Wallonie Région d’Europe, mouvement qui a eu son heure de gloire aujourd’hui bien oubliée.
L’Europe des Régions se voit opposer l’objection fondamentale (pour Habermas et Ferry), qu’elle souhaite détruire les nations européennes en vue de lui substituer un nationalisme européen qui sera un nouvel impérialisme (et je pense que ceux qui réclament « plus d’Europe » veulent justement cela).
[Un grand merci à Marcel Haché (et à tous les lecteurs de mes chroniques en général qui m’en apprennent beaucoup), d’avoir écrit la semaine dernière une analyse très juste de ce qui se masque souvent sous l’apparence d’une volonté d’union.]
Mais aussi une objection plus pragmatique : cette vision est au sens le plus péjoratif, une vision de l’esprit. Ses partisans continuent à dire que la République fédérale allemande en serait le modèle à cause de la puissance des Länder, mais ne voient pas que le fédéralisme est aussi une force qui unit puissamment la nation allemande. Ils ne voient pas non plus que certaines nations européennes subsisteraient comme nations, car elles ont la dimension de Régions (parfois de très petites régions) : c’est le cas de tous les pays de moins de 10 et même de moins de 20 millions d’habitants qui pour 19 d’entre eux (sur les 27 États européens, dont je retire la Belgique), ne sont pas sécables en régions. Je mets à part la Belgique, car elle, elle est parfaitement sécable. Mais l’organisation institutionnelle belge actuelle permet déjà que la Wallonie, la Flandre et Bruxelles siègent (à condition de s’entendre auparavant sur une proposition à défendre), dans le Conseil des ministres européens. Or, la plupart du temps ces trois Régions s’entendent dans ce contexte. Comme il est très prévisible que l’État fédéral belge va se vider peu à peu de ses compétences au profit de ces trois Régions, la Wallonie, notamment, n’aurait aucune peine à se transformer en nation européenne à travers ce processus qui ne gênera personne puisque les Belges (si on peut encore les appeler comme cela), ont toute licence de réduire leur État à une coquille vide.

On voit bien qu’il y a d’autres régions d’Europe à vocation de nations, la Catalogne qui est dans un état d’esprit indépendantiste extrême, l’Écosse. Mais au-delà, à part la Wallonie et la Flandre? Contrairement à ce que raconte le New York Times, la Flandre jouera plus facilement son jeu dans le schéma que j’esquisse ici et qui, même si les dirigeants wallons ont sombré dans un apathie politique inquiétante, est le schéma gagnant de la Wallonie elle-même, une Wallonie dont la volonté d’autonomie est bien plus soutenue par l’opinion publique qu’on ne le pense. Que l’opaque particratie wallonne ne le fait penser…
Une Europe asservie au néolibéralisme
Il ne fallait pas remettre le prix de la paix à une Union européenne qui ne parle plus d’associer des nations ou de fédéralisme que pour, comme le dit Habermas, servir de courroie de transmission aux « marchés » et soumettre l’Europe au capitalisme mondialisé sans contrôle.
Sous le nom de MES (comme les mots sont menteurs le sigle veut dire M écanisme Européen de Solidarité), les États européens (les vrais responsables de la faillite de l’Union), vont sans doute accepter de signer un accord qui au fond risque d’enlever aux Parlements nationaux le contrôle de leurs budgets étatiques. Il faut vraiment lire Raoul-Marc Jennar, c’est effrayant que l’Europe puisse devenir à ce point la lèche-bottes des banques. Sur le plan humain, c’est tellement destructeur qu’on préférerait d’autres violences à cette violence si sournoise qu’elle n’engendrera que le néant (la guerre, à la limite, peut engendrer la paix).
Ceci pour la Zone euro dont ne font pas partie l’UK ni le Danemark - qui ne désirent pas en faire partie - la Suède et des pays de l’Europe de l’Est - qui, eux, ont vocation à s’y intégrer.
Comme ma précédente chronique, se faisant l’écho du livre Construire l’Europe avec Habermas l’indiquait, les extrémistes européens à force de vouloir une Europe dite unie, à force de vouloir imposer une et une seule politique économique et financière supranationale, sont en train de rediviser le noyau de l’Europe, non plus en nations – cette division-là était gérable et c’est pour la dépasser sans nier les nations que l’Europe est faite –, mais en deux blocs dont les contradictions deviendront, elles, ingérables : l’Europe du Nord et l’Europe du Sud et même – ce qui est pire – l’Europe germanique et l’Europe latine.
Une catastrophe!
La Grèce étant la première touchée, l’Espagne (le Portugal aussi), voyant venir tous les dangers (une grève générale, une sécession possible de la Catalogne), l’Italie et la France n’étant elles-mêmes à l’abri de rien.
Voilà un Prix Nobel qui ridiculise ceux qui l’ont octroyé et ceux qui le recevront en pleine débâcle de ce justement pour quoi ils le reçoivent.
Valéry craignait que l’Europe ne finisse dirigée par une « Commission américaine ». Il n’avait pas vu qu’il y aurait pire : une Europe dirigée par une Commission européenne, récompensée par le Prix Nobel de la paix.
Au fou!

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 octobre 2012

    L'UN dans son illusion qui finira bien par désunir et on se demandera ce qui s'est passé..
    Ah! l'histoire de tous ces Uns qui se voulurent Un, tout seul et se croyant
    Misère! et menant au point c'est tout, tuant l'altérité et la différence des peuples, altérité pourtant source d'un patrimoine diversifié et enrichissant
    S Caron

  • Archives de Vigile Répondre

    15 octobre 2012

    Coucou !! C'est moi, l"Union Européenne !!
    ET je viens de recevoir un Prix Nobel de
    la "Paix" bien mérité. Voyez un peu mes
    efforts, pour y aboutir, à la dite Paix =>
    http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=RZKQUaVM4rA#!

  • Raymond Poulin Répondre

    15 octobre 2012

    Vous n'aviez encore rien vu, M. Fontaine. Voilà-t-il pas que le Qatar, cet État criminel et à 0% francophone, est maintenant, depuis le 13 octobre, membre associé de la Francophonie!.. Décidément, c'est la fête des fous, cette semaine... ou le grand bal des putains. Reste-t-il encore, quelque part, un organisme international avec un tantinet de dignité?

  • Archives de Vigile Répondre

    14 octobre 2012

    Comme je l'ai écrit quelque part ailleurs, affamer des populations entières, créer du chômage, du chaos, de la discorde est loin d'être générateur de paix, c'est plutôt l'inverse. Institutionnaliser le vol bancaire, se mettre au service de l'argent n'a rien de noble. Même en gardant le même système bancaire pourri, on aurait pu faire mieux.
    Comment? En dévaluant l'euro, en baissant sa valeur de moitié tout en doublant sa quantité sur le marché. On aurait pu annuler les fausses dettes qui ne sont que virtuelles car les hypothèques sont attribuées en vertu des Accords de Bâle qui n'ont aucune vertu.
    Donner le prix Nobel de la paix à l'UE équivaut à donner à Jean Charest un prix Nobel de l'honnêteté pour avoir
    encouragé et fermé les yeux sur tout un système de corruption dans l'octroi des contrats de pavages.
    En demandant à ses députés de récolter chacun $100,000. on ne peut pas faire autrement que de récolter de l'argent sale. Il fallait se débrouiller autrement.
    Or l'UE agit pareillement, on demande aux gouvernements des pays en difficulté d'affamer des populations entières pour payer des gros régimes de retraites et des bonus gargantuesques à ceux qui ont déjà le ventre plein.
    Qui aura le culot d'aller chercher un chèque, d'être récompensé pour affamer des populations entières?
    Je ne voudrais pas être à sa place, j'aurais tellement honte.
    J'ai déjà suggéré dans le carnet de Gérald Fillion de repartir à zéro, d'annuler les dettes, et de les transformer en crédits pour créer une nouvelle monnaie internationale ou externe et une autre interne. Évidemment le pays créditeur a plus de monnaie sur le marché mais le pays qui devait n'a plus de dettes. Vous voyez que même en gardant le même système bancaire, monnétaire pourri, il y a moyen de faire autrement.
    Quand les gens sont ignorants, les abuseurs sont transformés en héros et on ose même les décorer. C'est une hérésie, de l'hypocrisie, une honte. Oui, M.Fontaine a bien raison de crier Au fou!

  • Raymond Poulin Répondre

    13 octobre 2012

    Le prix Nobel de la paix vient certes de se déconsidérer et même de se ridiculiser une fois de plus, mais c’est sans importance : après en avoir gratifié Obama, ceux ayant alors conservé une once de décence commune avaient déjà compris que, comme toutes les institutions occidentales, la fondation Nobel est le joujou des oligarchies économique et politique. On se récompense entre copains de la Nomenklatura transatlantique. Ce prix est devenu, en quelque sorte, la francisque des kollaborateurs de l’Empire. Normal que deux Pétain se disputent l’honneur de se l’épingler.