Retour sur un naufrage

L'ADQ est née d'une crise constitutionnelle, mais elle a vécu du refus d'en débattre.

Quel avenir pour les tiers-partis


Mario Dumont, le visage défait, les yeux bouffis, a salué la foule. On l'a vu aller serrer très fort sa plus jeune. On aurait dit un naufragé qui rentre à la maison. Finalement.
Il y a des limites à recommencer à zéro. Quinze ans de politique, ça use, mais 15 ans à recommencer à zéro...
Quinze ans à résister à toutes les tentations de fusion politique, pour tracer son propre chemin. À 20 ans, jeune libéral, Mario Dumont tenait déjà tête à Robert Bourassa. À 22 ans, il militait pour le Non au référendum sur l'entente constitutionnelle de Charlottetown, tandis que son parti militait pour le Oui. Ensuite, il a résisté à toutes les tentatives pour le faire rentrer dans le giron du PLQ.

À 24 ans, il fondait l'Action démocratique du Québec, avec Jean Allaire et d'autres libéraux déçus. Ni souverainiste, ni fédéraliste à la manière libérale. À quoi voulait-il en venir?
Troisième voie
En 1994, quand est né l'ADQ, Jean-François Lisée, dans le Naufrageur, écrivait que «sur la colline des égarés» on trouve le «cimetière des troisièmes voies». Là repose le Parti national populaire, fondé en 1975 par Jérôme Choquette, un libéral déçu, et Fabien Roy, créditiste beauceron. Seul M. Roy sera élu, dans Beauce-Sud en 1976, un endroit réputé pour ne rien faire comme tout le monde. Le parti n'existait plus aux élections suivantes.
Lisée citait également «Unité Québec», nom que s'était donné l'Union nationale entre 1971 et 1973 dans l'espoir de se relancer. Et, ajoutait-il, on peut déjà lire sur une pierre tombale les lettres «ADQ».
Il annonçait prématurément cette mort mais louait, tout aussi hâtivement, sa ténacité: «Ils ont le mérite d'avoir pu, d'avoir su et d'avoir osé, de 1990 à 1992, longtemps tenir parole, longtemps tenir le fort, longtemps... tenir.»
Quatorze ans plus tard, on voit qu'il a tenu encore plus que prévu. Et si cette troisième voie-là arrive dans un cul-de-sac, reconnaissons que l'ADQ a eu un parcours original dans l'histoire politique du Québec, sans être unique.
L'occasion ratée
La plupart des troisièmes ont eu deux types de destins: ou bien ils prennent le pouvoir, ou bien ils disparaissaient rapidement. Ainsi le veut le système électoral uninominal à un tour.
Aux élections de 1970, les libéraux ont fait élire 72 députés, l'Union nationale 17, les créditistes 12 et le PQ... 7. Deux élections plus tard, le PQ prenait le pouvoir avec 71, les libéraux 26, tandis que l'Union nationale faisait élire 11 députés, mais ce seraient les derniers de son histoire, tout comme les créditistes, réduits à un unique représentant.
L'ADQ a fait élire un seul député en 1994, un seul en 1998, quatre en 2003 et 41 en 2007. Normalement, arrivé au statut d'opposition officielle, on ne parle plus d'un tiers parti: la prochaine étape est le pouvoir. Mais les revoici à sept, et à peu près au stade de 2003 et sans espoir de même approcher le succès de 2007 avant des années.
Impossible de ne pas penser que sans Mario Dumont, et même peut-être avec lui, l'ADQ connaîtra une fin prochaine.
Autonomisme
L'ADQ est née d'une crise constitutionnelle, mais elle a vécu du refus d'en débattre.
C'est parce qu'ils trouvaient que le PLQ n'était pas assez nationaliste que Mario Dumont et Jean Allaire l'ont quitté pour fonder l'ADQ. M. Allaire avait été, pour le Parti libéral, le président du comité qui a rédigé «Un Québec libre de ses choix». Ce devait être la position du PLQ après l'échec de l'accord du lac Meech. Mais ce rapport, qui réclamait le transfert d'une série de pouvoirs vers le Québec, a été mis de côté comme quasi souverainiste.
Mario Dumont, jeune député, a ensuite fait un pas de plus vers la souveraineté en signant une entente avec Jacques Parizeau et Lucien Bouchard lors du référendum de 1995. Lucien Bouchard a d'ailleurs essayé de le faire entrer au Parti québécois quand il est devenu premier ministre, mais à cela aussi il a résisté.
Après, Mario Dumont s'est contenté d'incarner la fatigue constitutionnelle québécoise en plaidant pour l'autonomie, qui n'est ni du fédéralisme, ni de la souveraineté-association, mais un savant mélange des deux.
Une droite brouillonne
Rapidement, c'est dans le domaine économique qu'il a voulu affirmer sa divergence avec «les vieux partis». Puisant tantôt dans la prudence fiscale, tantôt maladroitement dans les idées de la droite américaine (rappelons-nous cette idée de «bonds» pour les écoles publiques), il a incarné le ras-le-bol d'une classe moyenne surendettée, surtaxée et déçue des services publics.
On a comparé l'ADQ au Crédit social. Mais ce n'est pas dans les campagnes, ni chez les personnes âgées que l'ADQ a recueilli ses appuis à son zénith. C'est dans les banlieues francophones, chez les jeunes familles. Des gens qui, sur plusieurs sujets (religion, morale), ne se retrouveraient pas nécessairement dans les catégories classiques de la droite.
Mario Dumont a été le champion du flash politique. Des idées sans réelle substance, lancées pour leur effet immédiat, il en a eu en quantité. Des commissions scolaires aux accommodements raisonnables, il a bien identifié ce qui pouvait irriter le citoyen. Mais jamais il n'a su s'entourer suffisamment pour le convaincre qu'il pouvait régler les problèmes qu'il dénonçait avec un don assez unique pour débusquer le ridicule.
Au total, son parti a été celui d'une droite largement incompétente et superficielle, brouillonne.
Mais si l'ADQ disparaît avec lui, on se demande bien qui pourra, avec autant de talent et de persistance, rappeler à ceux qui nous gouvernent quelques vérités désagréables et fondamentales sur les finances publiques, la dette, le fardeau fiscal et le fonctionnement de l'État.
Pour joindre notre chroniqueur : yves.boisvert@lapresse.ca


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