Nous l'attendions. Profitons-en. Le débat sur la place des religions dans la sphère publique québécoise est enfin arrivé. Gardons-nous de la tentation de l'évacuer le plus rapidement possible et prenons le temps nécessaire pour en vider la question de fond.
Il faut se l'avouer, le débat est bien mal parti. Entre les juristes à la discipline autosuffisante et autarcique, les intellectuels en appelant à la raison du bon peuple et les ayatollahs de la rigidité de nos règles de vivre ensemble, il semble que la dimension citoyenne de la problématique prenne bien peu de place dans les discussions présentes.
Pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font
Les dés sont pipés. Avant même d'avoir abordé la question, il semblerait que nous soyons en présence d'un camp progressiste et d'un autre réfractaire, obstiné. Nous avons des bons et des méchants. L'analyse en est tellement simplifiée, pourquoi se priver?
Dans le coin gauche, nous avons le discours savant, celui officiel, le discours de chaire d'étude qui nous remet rapidement sur le droit chemin. «Vous errez». Cette perception qui est vôtre d'un empiétement sur vos valeurs n'est que mirage. Au contraire, c'en est la traduction la plus parfaite. Vous êtes un peuple ouvert, un peuple accueillant. Vous prêchez l'égalité entre les personnes, la liberté de tous! Ces concepts sont à la source même des accommodements accordés actuellement. Vous les désirez, vous n'en êtes simplement pas encore conscients.
Dans le coin droit, nous avons le retour du «nous». Celui-là même que nous croyions mort et enterré le 31 octobre 1995 au matin. «On fait resurgir un "nous" ethnique.», déplore Marie McAndrew, de la chaire d'étude en études ethniques de l'Université de Montréal. Il referait tranquillement surface. Suinterait des pores de la majorité. Alarmé par quelques concessions sans réelle importance, il aurait rallumé une flamme identitaire destructrice de l'unanimité qui régnait dans notre société sur la place centrale de l'individualité et de sa liberté, en opposition à la communauté et son désir de survie.
Cette vision de l'épouvante n'aide en rien le débat de fond sur la question. En stigmatisant les positions, nous cherchons à justifier une conclusion écrite d'avance. Un tel sophisme ne saurait prendre racine dans la population et risque de faire perdurer les embûches à une coexistence nécessaire et souhaitable.
La judiciarisation
Deux principaux problèmes se dégagent de la judiciarisation du débat sur l'accommodement raisonnable. Le premier est l'asphyxie dans laquelle le vocabulaire juridique nous dirige. Pour plusieurs, l'ignorance de la population envers la consistance de l'accommodement raisonnable serait une explication de sa résistance. «Il y a une certaine dérive sur le terme "accommodement raisonnable". Les gens disent: "Je suis contre l'accommodement raisonnable", alors qu'ils ne savent pas ce que c'est», nous apprend le président de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, [Marc-André Dowd. (Le Devoir, 18 et 19 novembre 2006->2958]). Il suffirait donc de se rendre compte d'une erreur sémantique pour expliquer la polémique frappant le Québec en ce moment.
Lorsqu'on ne met pas directement en cause l'intelligence des citoyens inquiets, on tente de leur faire porter un fardeau odieux, celui de la discrimination. En rappelant que l'accommodement raisonnable est la notion juridique qui a permis tant d'avancées aux handicapés et aux femmes enceinte pour ne nommer que ceux-là, on se refuse à voir le débat pour ce qu'il est. C'est, en ce moment, sur la place des religions dans la sphère publique que portent les discussions, rien ne sert de faire dévier volontairement le débat vers des consensus établis.
Il semble de plus que le juridique se soit emparé du monopole de la vérité sur la question avant même qu'elle soit mise aux voix. C'est la res judicata. La cause a été entendue et nous sommes liés par le jugement. «À la fameuse question des limites à l'accommodement raisonnable, les juristes offrent des réponses somme toutes claires.» (Le Devoir, 18 et 19 novembre 2006) Terminé le temps de la réflexion. Vous n'avez pas été appelés à vous exprimer? Mais bien sûr que oui. L'adoption de la Charte québécoise a tout de même bien été faite par les parlementaires québécois!
En se campant dans des positions jurisprudentielles, en escamotant le débat par un contrôle du vocabulaire et en élargissant les discussions à tous les accommodements passés, la classe juridique rate une belle occasion de prouver qu'elle n'est pas en train de damer le pion aux parlementaires dans la sphère politique et que sa position d'experte n'en mène pas trop large par les temps qui courent.
Reste maintenant à la classe politique à prendre les rênes et à utiliser le bouillonnement actuel pour le convertir en un débat intelligent et civilisé. Dans un domaine où les juristes ont dicté la voie et les intellectuels cautionné, il est temps de laisser la parole citoyenne se faire entendre. Des inquiétudes sont nées et elles sont légitimes. Une majorité existe, peu importe ce que la rectitude politique nous inflige. Elle se sent dépassée par les événements et demande la possibilité de réfléchir sur le sujet. La question en suspend n'est pas de savoir jusqu'où nous devons aller dans l'accommodement raisonnable, mais bien qui prendra cette décision.
Renaud Plante
Étudiant à la propédeutique
Sciences juridiques
UQAM
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