Racisme: si nous étions juste ordinaires?

Tolérance des Québécois / Sondage sur le racisme des Québécois




Ce qui est le plus fascinant, dans le débat déclenché par le sondage sur le racisme publié dans le Journal de Montréal, ce n'était pas le sondage lui-même, mais plutôt le débat sur le sondage et l'intensité des réactions qu'il a provoquées.
Sur le sondage lui-même, il n'y a pas grand-chose à dire. Ce coup de sonde de la maison Léger Marketing est insignifiant, dans le sens premier du terme: il est vide de sens. On ne peut pas mesurer le racisme et la xénophobie d'une société en demandant aux gens ce qu'ils pensent d'eux-mêmes. On ne peut rien conclure de ses résultats, qui permettent toutes les interprétations, notamment au Journal de Montréal de lancer en "une" que 59% des Québécois étaient racistes.
Mais pourquoi alors grimper aux rideaux, au lieu d'envoyer le sondage là où il devait être: à la déchiqueteuse? Parce que cela a touché une corde très sensible chez les Québécois francophones. Cette corde sensible, ce n'est pas leur grande préoccupation pour le sort des minorités, mais plutôt leur grande inquiétude pour l'image qu'ils projettent.
S'il y a un trait culturel bien marqué chez les Québécois, c'est leur grande sensibilité à la perception que l'on peut avoir d'eux ici et ailleurs. C'est encore plus vrai pour les questions liées à la tolérance, parce qu'elles s'inscrivent dans un vieux contentieux.
Parce que le nationalisme québécois trouve ses lointaines racines dans un courant hyper-conservateur, et que son essor a ensuite reposé sur la langue et les origines, il a longtemps porté en lui des germes d'intolérance et d'ethnocentrisme. Ils ont été combattus avec succès, à commencer par René Lévesque. Mais des adversaires de ce nationalisme, surtout au Canada anglais, ne se sont pas gênés pour continuer à faire ce lien, notamment dans le débat autour de l'entente du lac Meech, et de nourrir ainsi des préjugés à l'égard du Québec.
Notons que cet incident n'a pas suscité de dérapages au Canada anglais. Le National Post, par exemple, qui ne se distingue pas pour sa tendresse envers le Québec, a plutôt conclu en éditorial que ce sondage mal ficelé ne permettait pas de telles interprétations.
Mais l'existence de ces préjugés a amené les Québécois à prendre le contre-pied et à sombrer dans l'excès contraire, pour décrire le Québec comme une société exemplaire et un modèle de tolérance. L'ancien premier ministre Bernard Landry a affirmé que "Les Québécois sont ouverts, accueillants, fraternels", l'actuel premier ministre, Jean Charest, a proclamé que "Les Québécois ne sont pas des racistes".
Arrêtons de beurrer épais. Pourquoi le Québec ne serait-il pas simplement ordinaire, avec ses manifestations d'ouverture, mais aussi ses réflexes d'intolérance? Pourquoi ne pas dire que le Québec est seulement une société normale?
On sait que le Québec est une société où les manifestations extrêmes du racisme et de l'intolérance sont très rares, désécrations, violences, mouvements d'extrême droite. Mais c'est le cas de beaucoup d'autres pays, y compris le Canada dans son ensemble.
Mais il est assez évident qu'une partie de sa population est raciste, les lignes ouvertes sont là pour le rappeler, que ses citoyens manifestent, à des degrés divers, des réactions d'intolérance et de xénophobie, et qu'on n'a pas besoin de sondages pour savoir que les minorités visibles subissent de la discrimination dans le logement ou dans l'emploi.
Des tendances qu'il faut combattre, ici comme dans d'autres sociétés.
Il y a bien sûr des spécificités québécoises. La langue joue un rôle plus important qu'ailleurs dans les rapports inter-communautaires. Le Québec est plus républicain et plus laïc que le reste du Canada, préfère l'intégration au multiculturalisme, et est réticent aux accommodements religieux, sans doute parce qu'il a tant lutté contre son propre clergé.
Par ailleurs, dans bien des régions, il n'y a pas de frictions avec les immigrants, pour la bonne raison qu'il n'y en a pas, l'immigration étant concentrée à Montréal. Cette homogénéité favorise par contre l'ignorance. Ce n'est pas un hasard si, dans le débat sur les accommodements raisonnables, les voix politiques les plus fermes ont été celle de la mairesse de Québec, Mme Andrée Boucher, qui ne veut pas d'employées voilées dans sa mairie, même si elle dirige une ville qui se distingue justement par l'absence d'immigrants, et celle de Mario Dumont, fort de la riche expérience interculturelle que lui procure Rivière-du-Loup.
II est normal que la nature des rapports entre la majorité et la minorité, avec ses bons et ses mauvais côtés, prenne des formes propres à notre culture. Mais en bout de ligne, les Québécois sont ni exemplaires, ni particulièrement sectaires, ils sont tout simplement ordinaires.


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