Rabaska: une étude démolit l'argument écologique

Passer du mazout au gaz est un mythe dans un marché libre

Rabaska



La substitution du mazout par le gaz naturel ne fonctionne tout simplement pas dans un marché libre comme celui du Québec, sauf momentanément et marginalement avec l'appui d'un programme de subventions, indique une étude inédite sur la question.
Cette étude, qui met en pièces la justification publique avancée par le gouvernement Charest pour préparer le terrain à l'autorisation du projet Rabaska, vient d'être remise par son auteur, Patrick Déry, un consultant en énergie du Saguenay, aux deux organismes qui l'ont commandée pour voir clair dans le dossier du gaz naturel, soit le Conseil régional de l'environnement de la région ainsi que le Groupe de recherches écologiques de La Baie (GREB).
Le programme de substitution annoncé récemment par le ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Claude Béchard, a été notamment applaudi par deux groupes environnementaux, soit Équiterre et Greenpeace, parce qu'il pourrait aider le Québec à atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les promoteurs de Rabaska disent la même chose depuis un an et le BAPE a abondé dans leur sens.
Or, affirme le chercheur, qui a analysé l'évolution historique de l'usage des combustibles fossiles à l'échelle planétaire, aux États-Unis, en Allemagne et au Québec, «les programmes de substitution dans des marchés libres et non réglementés par l'État ont provoqué partout des hausses de la consommation globale de mazout et de gaz et non pas le remplacement du mazout par le gaz. En somme, les deux combustibles stimulent par leur abondance le marché et la demande, qui absorbe tout ce qui est disponible avec le résultat qu'on augmente tout simplement les émissions globales de GES».
Son étude emploie à peu près les mêmes termes: «Les prétentions, y lit-on, concernant la diminution véritable des émissions de CO2 des promoteurs de sources d'énergie émettant moins de gaz à effet de serre ne concordent pas avec la réalité. Dans le contexte actuel du libre marché, la production de ces sources nouvelles s'additionne à la production existante et ne la remplace pas. Laisser faire le marché n'amène d'aucune façon une substitution réelle à moyen et long terme, le marché étant trop gourmand de toute forme d'énergie, quelle qu'elle soit.»
L'Allemagne, ajoute Patrick Déry, est le seul pays qui a réussi à provoquer une véritable substitution du mazout par d'autres formes d'énergie moins riches en carbone. «Mais c'est parce que pendant des années, explique-t-il au Devoir, l'Allemagne a eu une politique musclée qui obligeait carrément les distributeurs d'énergie à acheter toutes les énergies vertes disponibles sur le marché au prix fixé par l'État.»
Les distributeurs étaient ainsi forcés de limiter leurs achats d'autres formes classiques d'énergie pour ne pas se retrouver avec de coûteux excédents. Par la suite, indique Patrick Déry, l'Allemagne a imposé un plafond à ses émissions de GES dans le cadre de Kyoto, ce qui empêche toute augmentation des émissions en termes absolus et force, dans les faits, les acteurs économiques, producteurs et consommateurs, à délaisser les énergies fossiles riches en carbone pour d'autres combustibles, comme le gaz, ou des énergies plus vertes, comme l'éolien, ou même le nucléaire.
Un combustible de transition
Le gaz naturel, dit-il, demeure un combustible intéressant dans une phase de transition si on plafonne les émissions ou l'utilisation d'autres combustibles, ce qui n'est pas le cas au Québec, précise l'étude, intitulée Substitution énergétique, mythe ou réalité?.
Mais sans ce contrôle réglementaire, l'objectif de substitution n'est jamais atteint là où on a tenté de le faire. D'autres facteurs plus déterminants et aussi contraignants qu'un contrôle étatique ont historiquement imposé aux producteurs et aux usagers des substitutions réelles. Cela a été le cas de pénuries temporaires régionales ou de crises énergétiques comme celles des années 70.
Un programme de subventions comme celui mis en avant par le gouvernement Charest récemment, ajoute Patrick Déry, incitera certes quelques entreprises à procéder à des substitutions, mais l'effet sera marginal car les vendeurs de mazout vont réagir en abaissant leurs prix, ce qui influencera ceux du gaz, et la demande sera par le fait même stimulée à la hausse.
On a vu dans le passé, explique-t-il, des «substitutions relatives», mais pas en chiffres absolus. À ne pas confondre, dit-il.
Une substitution relative se décrit comme une réduction de la part de marché d'une filière par rapport à ses concurrentes. Mais cette réduction en pourcentage peut cacher une augmentation des ventes en chiffres absolus si la taille de la «tarte globale» augmente. Le mazout, par exemple, peut voir son pourcentage d'utilisation diminuer dans un pays en raison de la concurrence d'autres filières alors qu'en chiffres absolus ses ventes continuent d'augmenter, ce qui s'est souvent produit dans les cas étudiés par le chercheur.
Un autre décret
D'autre part, Québec devra se résoudre à adopter un autre décret pour contourner la loi qui interdit l'acquisition des terres agricoles par des non-résidants s'il veut finalement autoriser le projet Rabaska, soutient Me Guylaine Caron, la procureure des agriculteurs opposés au projet, dans une lettre envoyée dimanche au président de l'Union des producteurs agricoles, Laurent Pellerin.
«Considérant que Rabaska inc. est un consortium formé de Gaz de France, Gaz Métro et Enbridge, dont plus de 50 % des actions sont détenues par des personnes qui ne résident pas au Québec», l'entente proposée par le syndicat local de l'UPA - celui qui a conclu une entente avec les promoteurs sur les conditions de vente - serait ainsi «contraire à la loi».
Les intérêts étrangers que mentionne Me Caron ont aussi de puissants appuis ici, au sein du gouvernement québécois et notamment chez Power Corporation, qui détient des actions d'Enbridge, un des membres du consortium Rabaska, qui réunit aussi Gaz de France et Gaz Métropolitain. On imagine facilement que les intérêts de la société d'État française sont surveillés par l'Élysée, tout comme ceux de la Caisse de dépôt et placements ou du Fonds de solidarité de la FTQ, des actionnaires de Gaz Métro, ne sont pas ignorés par Québec. D'autre part, on se rappellera que le chef de cabinet du premier ministre Jean Charest jusqu'à tout récemment, Stéphane Bertrand, a été pendant des années vice-président de Gaz Métropolitain.
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