Qui fut vraiment LaFontaine?

Redécouvrir le XIXe siècle nous permet à coup sûr de relativiser le présent

2006 textes seuls


Comme plusieurs autres, je souhaite que la maison LaFontaine puisse être transformée en centre d'interprétation de notre histoire. J'appuie ce projet pour ses vertus pédagogiques, parce qu'une telle institution permettrait à nos concitoyens de mieux connaître un moment de notre passé et de s'initier au travail d'interprétation en histoire. Avocat, député patriote, chef du Parti réformiste de 1840 à 1851, juge à la Cour d'appel jusqu'à sa mort en 1864, LaFontaine et son mouvement se prêtent bien aux débats d'interprétation.
En effet, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, LaFontaine incarne le héros mythique par excellence, le " désintéressement fait homme " (dixit Camilien Houde). Son aura est si grande que chacun tente d'en faire le champion de sa cause particulière. Les partisans de la Confédération voient en lui l'homme de la bonne entente, un authentique défenseur des libertés britanniques. Les critiques du régime fédéral le présentent plutôt comme un grand chef national qui sut construire une " miraculeuse unanimité " parmi les Canadiens français après la douloureuse défaite de 1837.
Après la Deuxième Guerre mondiale, LaFontaine tombe de son piédestal et en vient à incarner le bourgeois parvenu qui offre ses services aux puissants pour mieux tromper les siens. Cette nouvelle perception tient à l'évolution de la discipline historique et à un nouveau rapport au passé.
L'histoire économique et sociale qui se développe alors se veut une réaction à une histoire politique jugée trop édifiante. À l'étude des " grands hommes " comme LaFontaine, on préfère celle des conditions de vie des masses, le plus souvent exploitées par ces soi-disant héros.
Par ailleurs, à partir des années 1960, on se reconnaît davantage dans le radicalisme des rebelles de 1837 que dans le pragmatisme du chef réformiste. LaFontaine est dès lors associé au camp de l'élite bourgeoise qui fait de la politique pour servir l'agenda du grand capital, qui s'associe à l'Église pour contrôler les masses et qui tourne définitivement le dos aux revendications nationales des Canadiens français pour mieux satisfaire les autorités impériales.
Regain d'intérêt
Depuis les années 1990, cette posture vindicative tend à s'estomper. Un regain d'intérêt pour l'histoire politique et un " retour du sujet " en sciences sociales expliquent en partie le phénomène. Quarante ans après la Révolution tranquille, on voit également émerger une nouvelle sensibilité au passé.
Dans un tel contexte, le parcours de LaFontaine redevient intéressant. L'étude du personnage et de son époque peut éclairer des transformations importantes de la société de l'époque et relativiser les défis politiques et sociaux d'aujourd'hui.
D'une part, parce que LaFontaine a fait face à une impasse semblable à celle que vit l'élite politique québécoise d'aujourd'hui. Dans sa jeunesse, LaFontaine a été lui aussi un rebelle convaincu qui dénonçait les injustices que subissaient les Canadiens français au profit de la petite élite anglophone. En même temps, il avait une conscience aiguë du faible rapport de force de sa communauté d'appartenance, d'où son refus de s'engager dans la voie de l'affrontement violent en 1837. En 1840, il mise sur le gouvernement responsable dans un contexte où il n'y a plus de Parlement au Bas-Canada, où la petite minorité qu'il avait combattue décrète une série de réformes importantes dont la création de commissions scolaires entièrement protestantes.
Cet appui à l'Union le situe alors au centre de l'échiquier politique. D'un côté, il ne partage pas le fatalisme d'Étienne Parent qui, un moment, voit l'assimilation des Canadiens français comme la seule issue possible. D'un autre côté, il refuse la radicalisation des Rouges qui en viennent à prôner l'annexion aux États-Unis. En misant sur le gouvernement responsable, il tente de sauver les meubles. Cette stratégie est certes discutable mais lorsque l'on envisage les options qui s'offrent aux leaders politiques d'aujourd'hui, après 40 ans de saga constitutionnelle, on devient plus emphatique.
D'autre part, LaFontaine est lui aussi confronté à une société qui se transforme à grands pas. Le XIXe siècle est marqué par la révolution industrielle et l'urbanisation croissante. Les conséquences de ces développements sont souvent tragiques. Le gouvernement LaFontaine doit composer avec la montée d'une marginalité urbaine, surtout dans une ville comme Montréal qui connaît, au milieu du XIXe siècle, une expansion spectaculaire. La prison du Pied-du-courant, toute récente, déborde déjà de vagabonds, de malades et de prostituées à l'avenir incertain.
Les changements que proposent les réformistes pour faire face à ces transformations sont, encore là, discutables. Signe des temps, c'est sous le gouvernement LaFontaine qu'on retire le droit de vote aux femmes en 1849. En revanche, sur le front de l'éducation, ils imposent la première taxe scolaire obligatoire, jettent les bases d'un réseau d'écoles publiques, fondent les premières écoles normales. On leur doit également l'abolition du système seigneurial, les premières législations sur les municipalités, une décentralisation de la Justice.
En organisant colloques, expositions et conférences, la maison LaFontaine permettrait d'y voir un peu plus clair sur cette riche période de l'histoire québécoise et canadienne. Il ne s'agirait pas seulement de se pencher sur l'oeuvre législative et juridique de LaFontaine mais aussi de redécouvrir ce lointain XIXe siècle et d'ainsi situer dans un temps long les défis d'aujourd'hui.
Éric Bédard
L'auteur est historien et enseigne à la Télé-Université de l'UQAM.


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