Quelle mission pour l’Université ? (3 de 4)

Chronique de Louis Lapointe

*Troisième d’une série de quatre articles portant sur la crise des universités québécoises. Suite de Quelle gouvernance pour l’Université ? (2 de 4)
Le financement
S’il y a consensus voulant que la recherche universitaire fasse progresser les sociétés et que la formation soit un merveilleux outil d'avancement social, il y a dissension lorsqu’on nous propose d'augmenter les droits de scolarité pour donner de l'oxygène aux universités. Une solution simpliste qui échappe à toute critique constructive tant elle cède à la facilité.
Or, les droits de scolarité ne servent aucunement à financer la recherche dans les universités. Tout au plus, ils contribuent dans une proportion d’environ 15% au fond de fonctionnement général des universités dont la majeure partie du financement provient du gouvernement du Québec. Ce fonds est la première source de financement des universités. Il sert à payer le salaire des employés, des professeurs et les frais de fonctionnement généraux.
La construction des nouveaux édifices est l’objet d’un financement séparé provenant du Ministère de l'Éducation qui établit un ordre de priorité des constructions à travers le réseau universitaire. C'est le Conseil du trésor qui approuve les projets avant d'en autoriser la réalisation. C'est la deuxième source de financement.
Les grands organismes subventionnaires publics canadiens et québécois sont la troisième source de financement. Les professeurs y font des demandes de subventions pour soutenir leurs projets de recherche. Cet argent sert à payer les équipements spécialisés et les chercheurs qui sont souvent des étudiants gradués rémunérés à rabais malgré leur grande compétence. Les fonds d'immobilisation et de recherche, contrairement au fonds de fonctionnement général, sont financés à 100 % par nos impôts.
Les grandes fondations de recherche et les fondations universitaires sont la quatrième source de financement. Ces revenus ne sont pas pris en compte aux fins des règles de partage budgétaire des universités. Pour cette raison, même si le fonds de l'Université McGill est de loin le mieux pourvu, on a longtemps considéré que cette université était la plus sous-financée de toutes les universités québécoises.
Enfin, il existe également les emprunts pour financer des besoins supplémentaires en locaux et équipements et les financements privés de la recherche dans le cadre de participation de l'entreprise privée.
Faire porter aux seuls étudiants la responsabilité du sous-financement global des universités est donc un leurre qui, en plus d’être injuste, ne peut constituer une solution à long terme pour les universités dont les plus urgents besoins à combler sont surtout dans le domaine de la recherche. Si nous voulons retenir les meilleurs chercheurs pour que la recherche progresse dans nos universités, c’est d’abord là que nous devons investir collectivement.
Toutefois, avant de réinvestir massivement là où il y a les besoins les plus pressants, il faudra tout d’abord revoir le financement global en prenant dorénavant en compte les revenus provenant des fondations universitaires dans les règles de partage. Il faudra par la suite augmenter la part des fonds publics versés aux grands organismes subventionnaires québécois pour qu'ils puissent mieux soutenir les efforts de nos meilleurs chercheurs québécois. Un financement qui provient essentiellement de nos impôts, pas des droits de scolarité.
Ne nous le cachons pas, le véritable enjeu de l’actuel débat sur la crise des universités n’est pas la gouvernance ou la hausse des droits de scolarité des étudiants, mais bien le partage des sommes disponibles pour leur financement. Si ces sommes sont considérables et proviennent dans une grande proportion de fonds publics, leur partage pourrait varier en fonction de l’ajout de nouveaux paramètres, comme la prise en considération des capitaux privés versés aux universités via leurs fondations universitaires. Aussi longtemps que les sommes versées à ces fondations échapperont aux règles de partage budgétaire des universités et que les fonds publics peineront à accroître comme c’est le cas présentement, ce seront de plus en plus les sommes provenant des donateurs privés qui feront la différence entre la richesse et la pauvreté des universités, entre le financement global des universités anglophones et celui des universités francophones.
Lorsque l’on sait que l’argent récolté par ces fondations de recherche sert aussi de bras de levier pour aller chercher les plus importantes subventions versées par le gouvernement fédéral, il y a de sérieuses raisons d’être préoccupé par le sort qui attend les universités francophones. On parle ici de centaines de millions de dollars consacrer à la recherche et à l’allocation de nouveaux équipements et bâtiments qui sont laissés au bon vouloir des universités et de leurs généreux donateurs et qui échappent totalement aux politiques du gouvernement du Québec. Une situation inéquitable pour les universités francophones qui ne peuvent pas compter sur les plus riches donateurs de la société et une source d’incohérence dans l’établissement des priorités québécoises en matière de recherche et de développement. À long terme, on se demande donc si dans quelques années il sera encore possible de faire de la recherche de pointe dans les universités francophones tout en y attirant les meilleurs chercheurs, tant la situation actuelle est préoccupante.
La tâche
«L'étendue et l'énormité du mensonge inhérent au mot travail sont évidentes. Pourtant, on n'entend guère de critiques ou de mises au point émanant des institutions savantes. Dans toutes les universités réputées, les professeurs limitent leur nombre d'heures d'enseignement, sollicitent et obtiennent du temps pour la recherche, l'écriture ou une réflexion enrichissante pendant leurs années sabbatiques. Éviter de travailler - car c'est bien de cela qu'il s'agit pour certains - n'inspire ici aucun sentiment de culpabilité.» J.K.Galbraith p. 37, Les Mensonges de l'économie, Grasset, 2004.
Les problèmes que vivent les universités ne seraient-ils pas d’un tout autre ordre et ne proviendraient-ils pas plutôt de sa mission et de la tâche des professeurs qui en découlent ? Doit-on limiter notre regard à l’accessoire, la gouvernance, ou questionner le principal, la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite par leurs pairs? Ainsi, l’Université doit-elle rendre compte seulement de sa gestion financière ou doit-elle être plus transparente et élargir cette reddition en y ajoutant la répartition de la tâche de ses professeurs qui est au cœur de la mission universitaire, une information généralement tenue secrète par les universités ?
Si le fiasco de l’UQAM a mis en lumière d’importantes difficultés dans sa gestion financière, il n’exprime qu’une infime partie du problème des universités, le plus important étant probablement lié à la gestion de la tâche de ses professeurs. Globalement, ce qui coûte le plus cher aux administrations universitaires, ce ne sont pas les dépassements de coûts reliés aux projets immobiliers, mais bien l'absence d'une gestion cohérente de la tâche des professeurs. On préfère s'occuper de la pointe de l'iceberg pour sauver la face et accabler des boucs émissaires qui font bien notre affaire, plutôt que de faire une véritable enquête indépendante sur les règles qui gouvernent la gestion et l’évaluation des tâches d'enseignement, de recherche et de service à la collectivité des professeurs dans l'ensemble du réseau universitaire québécois.
Bien que la tâche normale d'un professeur soit constituée de 4 cours par année, par le jeu des dégrèvements d'enseignement, elle avoisine les 2.75 cours par année. Le calendrier universitaire ayant trois sessions, les professeurs d'université enseignent donc en moyenne moins de 1 cour par session, donc moins de trois heures par semaine. En comparaison, leurs collègues des Cégeps en donnent dix par année.
Toutefois, cette tâche ne se limite pas à l’enseignement. Elle comporte aussi des espaces pour la recherche, l'administration et le service à la collectivité. Ces espaces ne sont pas nécessairement tous utilisés dans les mêmes proportions et parfois certains ne le sont pas du tout. Ainsi, un professeur pourrait enseigner moins et faire plus de recherche ou moins d'enseignement, moins de recherche et plus d'administration pédagogique ou d'activités syndicales. Par le jeu des dégrèvements et des libérations de tâche d’enseignement, il arrive même parfois que des professeurs réussissent à ne pas enseigner, ne fassent pas de recherche, se consacrent uniquement à l'administration pédagogique ou à la représentation syndicale, étonnamment, parfois même aux deux!
Ainsi, certaines universités libèrent leurs professeurs de leurs activités d'enseignement et de recherche pour faire surtout de l'administration. La principale conséquence étant que des professeurs qui ont des doctorats et des compétences exceptionnelles pour l'enseignement et la recherche font surtout de l'administration. S'agit-il là d'un gain ou d'une perte de valeur pour accomplir des tâches qui nécessitent des qualifications différentes? On dit d'ailleurs que les professeurs, sauf exception, sont rarement de bons gestionnaires. Les récents dépassements de coûts dans différentes universités seraient-ils le reflet de cette réalité?
Les professeurs qui oeuvrent dans des domaines lucratifs comme l’administration, le génie et le droit et dont les connaissances sont recherchées, ont également la possibilité de travailler à l’extérieur de l’université. Les règles régissant le travail extérieur varient d’une université à l’autre, certaines l’interdisent, d’autres le réglementent. Ainsi, il existe dans plusieurs établissements des règles limitant la proportion du revenu gagné à l’extérieur. Il est par contre difficile de sanctionner ces règles puisque les professeurs qui en profitent ne rendent pas nécessairement compte de tout leur emploi du temps. Souvent, ces situations sont tolérées parce que les gestionnaires sont eux-mêmes des professeurs qui n’exigeront pas des autres professeurs ce qu'ils ne voudront pas qu'on exige d'eux lorsqu'ils retourneront à la tâche de simple professeur. D'autres professeurs, plus pragmatiques, déclarent que ces activités lucratives entrent à l'intérieur de la tâche de service à la collectivité et sont des occasions pour le professeur de développer ou maintenir ses habiletés professionnelles tout en faisant mieux rayonner l'Université à l'extérieur de son cénacle. Ceux qui n'ont pas de bureau à l'extérieur, utilisent parfois les locaux et le matériel de l'établissement pour rendre des services sur une base privée. D'où les fréquentes critiques des confrères du privé qui parlent alors de concurrence déloyale. En général, les plus habiles évitent ces critiques en ayant un bureau dans une firme privée à l’extérieur de l’université. Ils sont, par le fait même, moins disponibles pour encadrer leurs étudiants.
Il serait toutefois injuste de mettre tous les professeurs dans le même panier et de prétendre que ce sont tous des profiteurs qui gagnent 100,000 $ et plus par année et qui fournissent le minimum d'efforts. Nombreux sont ceux qui réussissent à enseigner à tous les cycles, encadrent des étudiants gradués, ramassent les plus prestigieuses et importantes subventions de recherche, innovent, donnent des conférences partout dans le monde parce qu’ils se consacrent totalement à la mission universitaire. Si les universités se montraient plus justes à leur égard, il pourrait y avoir plus de ces professeurs exceptionnels qui se gardent bien de critiquer leurs confrères de peur d'être victimes de chapelles universitaires à l’occasion de l’évaluation de leur propre tâche par leurs pairs. Comme ces jeunes professeurs qui n’osent pas trop se plaindre du fait que de nombreux titulaires enseignent les mêmes cours depuis des décennies, ne cherchent plus, passent plus de temps dans leur emploi extérieur et ne sont pas dans leurs officines pour effectuer un encadrement adéquat de leurs étudiants avec la bénédiction des comités d’évaluation et de l’administration universitaire, pendant qu'eux, s'échinent à construire de nouveaux cours, font progresser la recherche de pointe et encadrent la relève dans les domaines qu'ils sont les seuls à maîtriser, et cela, pour la moitié du salaire de leurs aînés.
Est-il normal qu’un professeur puisse continuer à gravir les 36 ou 40 échelons des échelles de salaire universitaires s'il ne consacre pas le temps requis à sa tâche, en particulier à l’enseignement et à la recherche?
Il faut donc revoir la gestion de la tâche et la rémunération des professeurs d'université à cause des iniquités qu'elles suscitent entre jeunes et vieux professeurs, ceux qui enseignent et ceux qui n’enseignent pas, ceux qui cherchent et ceux qui ne cherchent pas, ceux qui se consacrent aux missions d'enseignement et de recherche et ceux qui s'occupent surtout de tâches administratives ou de leur second emploi mieux rémunéré et que l'on considère souvent, à tort, comme des services à la collectivité ou du rayonnement universitaire. Devant de telles situations, on doit sûrement s’interroger sur la validité des processus d’évaluation et d’approbation de tâches auxquels se livrent les pairs et les gestionnaires de l’université et reconsidérer leurs pratiques.
Par ailleurs, les universités devraient s’inspirer davantage du modèle collégial pour l’enseignement au premier cycle. De la sorte, plus de professeurs enseigneraient au premier cycle, donneraient plus de cours, gagneraient un salaire raisonnable pour la prestation qu’ils fournissent et ne seraient plus payés pour de la recherche qu’ils n’effectuent pas. Il s’ensuivrait un meilleur équilibre entre le nombre de cours donnés par les professeurs et ceux donnés par des chargés de cours dont la proportion dépasse les 50% dans la plupart des universités du Québec, une réduction du coût relatif des études de premier cycle, une plus grande cohésion des programmes d’études et une amélioration notable de la qualité de l’encadrement et de la formation donnés aux étudiants.
Enfin, on devrait interdire le double emploi à ceux qui ne font pas de recherche. S’ils n’ont pas le temps de chercher, ils ne devraient pas se chercher de clients sur leur temps d’emploi sous prétexte du rayonnement universitaire. Les meilleurs salaires devraient être versés aux meilleurs chercheurs et professeurs qui consacrent tout leur temps à la poursuite de la vraie mission universitaire, peu importe leur âge ou l'avancement de leur carrière.
Compte tenu des iniquités qu’elle suscite et lorsque l’on sait que la masse salariale des professeurs d’université du Québec est de plusieurs centaines de millions de dollars,,il serait donc tout à fait logique de revoir la tâche des professeurs et l’évaluation qui en est faite avant même de songer à investir de nouvelles sommes d’argent provenant des droits de scolarité des étudiants.
Prochain article: Quel cadre pour les universités?
*L’intégrale de cet article a été publiée dans le numéro d’octobre 2008 de L’Action nationale.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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