Québec veut classer «Saint Jérôme» bien patrimonial

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Il ne faut pas vendre l'art détenu au Québec à Ottawa

La ministre de la Culture Marie Montpetit a entrepris les démarches afin de protéger par classement patrimonial le Saint Jérôme (1779) de Jacques-Louis David, que la Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Québec s’apprête à vendre au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), le 11 juin. De son côté, le directeur général du MBAC, Marc Mayer, persiste dans son intention d’acquérir pour Ottawa, seul, au prix fort d’un Chagall, sans autres possibilités de partenariats — ni avec les musées québécois ni avec des mécènes —, cette huile sur toile du peintre officiel de Napoléon.


« [L’intervention de la ministre] est une bonne nouvelle, et si [elle] devient partie prenante, on peut imaginer que le débat va prendre de la hauteur », se réjouit la directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), Nathalie Bondil. Car la démarche de Mme Montpetit, mais seulement si elle est accélérée, pourrait permettre de deux manières différentes de conserver le tableau au Québec. Soit en octroyant 60 jours supplémentaires au Musée de la civilisation — détenteur d’un premier droit de refus sur toute offre d’achat pour le David — et au MBAM pour égaler la mise du MBAC. Soit en permettant à la ministre d’acheter elle-même le tableau, au même prix. « C’est évident, quand on suit le dossier, qu’il y a de véritables questions qui se posent sur les procédures, sur la collégialité. Je trouve très constructif qu’on en discute à un niveau ministériel », poursuit Mme Bondil.


Marie Montpetit a annoncé mardi sur son compte Twitter avoir demandé à son ministère d’évaluer le Saint Jérôme en vue d’un classement patrimonial. Si l’analyse est favorable, la ministre pourra déposer un avis d’intention de classement, qui protégerait alors la toile comme si elle était déjà un objet patrimonial. Ce qui implique que le propriétaire « devrait obtenir l’autorisation de la ministre pour transporter le bien hors Québec ».


La volonté de la ministre n’a pas ébranlé le MBAC, qui continue de penser que la seule protection valable pour ce Saint Jérôme est entre ses murs. Et seulement les siens. Marc Mayer, directeur général, a confirmé en entrevue au Devoir ne pas envisager une copropriété pour cette toile, refusant dans la foulée les offres publiques lancées par le Musée de la civilisation de Québec et le MBAM de travailler tous trois ensemble à cette acquisition.


Le partenariat, croyaient les musées québécois, aurait pu permettre d’annuler la vente de La tour Eiffel (1929) de Marc Chagall, prévue à New York chez Christie’s le 15 mai, cédé par le MBAC pour financer l’acquisition du Saint Jérôme. Mais pour M. Mayer, le David « n’est pas un enfant d’un couple divorcé qui se trimballe entre deux maisons. C’est un tableau fragile, qui a près de 250 ans. Ça coûte extrêmement cher de le transporter, de l’assurer, de réorganiser toute la collection quand le tableau n’est pas là ; on va le faire pour des expositions temporaires, parce qu’il y a du financement à ce moment-là qui rentre. Mais sinon, non. Ce n’est pas logique. C’est rarissime dans le monde de l’art de faire ça. Ce n’est pas normal. »


« Le Louvre et le Rijksmuseum sont copropriétaires de Rembrandt, rétorque Mme Bondil, de plus de 250 ans. Ce sont des musées éminents. » M. Mayer refuse d’envisager la possibilité. « On n’est pas un fonds public pour les musées canadiens, on est là pour monter une grande collection publique au Canada pour les Canadiens, on est prêteurs d’environ 800 oeuvres par année, et le David va faire partie de ce groupe d’oeuvres qu’on va balader dans les musées canadiens. »



Protéger une oeuvre protégée


Le collectionneur d’art et mécène Bruce Bailey a, par ailleurs, proposé, publiquement dans les pages du National Post, et personnellement par courriel, d’aider le MBAC à trouver du financement pour qu’il puisse annuler la vente du Chagall. Une offre qui n’intéressait pas M. Mayer. « On ne demande pas aux gens de protéger le Chagall, on demande aux gens de protéger le David ! » a scandé M. Mayer. Pourtant, plusieurs intervenants et observateurs du milieu muséal questionnés par Le Devoir croient qu’il serait encore possible de conserver les deux, quitte à payer la forte commission d’annulation nécessaire.


« Comment ? poursuit le directeur. M. Bailey veut le Chagall, il n’a rien dit sur le David. On serait encore dans une situation où on n’a pas de filet de sauvetage au Canada pour empêcher l’exportation de ce trésor. » Mais un achat du Chagall ne pourrait-il pas fournir l’argent de l’acquisition du David ? « Il ne m’a pas proposé d’acheter le Chagall, il a proposé de monter une campagne de financement où il n’a aucune expérience… »


« Je suis préoccupé par trois aspects différents », a réagi en bloc M. Bailey, rappelant au passage que sa carrière d’homme d’affaires s’est faite essentiellement en tant que collecteur de fonds en haute finance. « Ce Chagall est de toute évidence une oeuvre d’importance, ne serait-ce que parce que Christie’s l’évalue entre 8 et 10 millions. Deuxièmement, je ne crois pas que ce soit dans l’intérêt national de voir le MBAC entrer en compétition avec deux musées québécois pour acquérir un tableau qui est à Québec [pratiquement] depuis 1922, qui a une signification particulière dans l’histoire de Québec et de son église. Je trouve qu’il est surprenant, impoli et contraire à toute collégialité de voir un directeur de musée agir ainsi, sans discuter du sujet avec les autres institutions, sans penser à d’autres solutions… », a indiqué ce donateur régulier du MBAM, aussi contributeur du Musée d’art contemporain de Montréal.


Le plus cher


« Nous avons 692 oeuvres par Chagall », défend M. Mayer, « dont un tableau [Souvenirs de l’enfance] qui est plus important, et celui-là [La tour Eiffel] on ne l’a pas présenté très souvent, il ne nous servait pas. Il n’est pas assez fort au mur dans notre collection, et on a quand même l’espace qu’on a, et on a d’autres oeuvres par d’autres artistes à présenter. »


N’y aurait-il pas eu lieu de chercher à vendre d’abord le Chagall à un collectionneur privé canadien, puisque La tour Eiffel aurait ainsi quelques chances de redevenir, par un don futur, une part du patrimoine culturel public ? « On a choisi de mettre le Chagall en vente publique pour avoir le plus grand montant de revenus par sa vente. C’est quelque chose qu’on était prêt à faire, prêt à faire le sacrifice. C’est un tableau qui ne servait plus », répond M. Mayer.


Informé de ces positions, le musée de la Civilisation a réitéré son offre de partenariat pour l’achat du David. « Notre main tendue était une main tendue sincère. Elle le demeure », a répondu le directeur général Stéphan La Roche.


> La suite sur Le Devoir.



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