La gratuité scolaire, ça coûte cher

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Bras de fer entre le ministre de l'Éducation et les établissements scolaires

Le ministre Sébastien Proulx voulait finir l’année scolaire sur une bonne note en publiant sa directive qui renforce la gratuité des sorties et du matériel éducatifs. La directive était claire, mais les commissions scolaires ont paniqué : déjà visées par une action collective de 300 millions pour avoir demandé trop d’argent aux parents, elles ont mis un frein aux sorties culturelles de la rentrée.


C’est bien beau de dire que les sorties obligatoires du régime pédagogique doivent être gratuites pour les parents, mais il faudra que quelqu’un paie la facture. Le ministre de l’Éducation répète que le système public a les moyens de respecter la loi et de payer ces sorties, mais les commissions scolaires n’ont pas pris de risque : elles ont mis en suspens les réservations pour les pièces de théâtre et les visites au musée de l’automne.


Comme elles ignorent qui va payer la facture, plusieurs commissions scolaires ont donné le mot d’ordre aux écoles d’attendre l’élection des nouveaux conseils d’établissement, à la rentrée, pour donner le feu vert (ou non) aux sorties éducatives.


Résultat : entre 7000 et 8000 réservations ont été annulées — un élève par annulation — au cours des derniers jours, selon le Regroupement national des diffuseurs de spectacles. Le milieu culturel est aux abois et craint une vague d’annulations pour la rentrée scolaire, dans deux mois. Il est même incertain que les théâtres jeunesse pourront présenter les pièces prévues à l’horaire, à cause de la confusion entourant la présence des élèves.


Qui seront les grands perdants ? Les artistes, qui se démènent déjà avec des salaires de misère. Et les enfants, surtout les plus pauvres — culturellement ou économiquement —, qui ne peuvent pas compter sur leurs parents pour les emmener au théâtre ou au musée.


Bras de fer


À Québec, aux cabinets des ministres Sébastien Proulx (Éducation) et Marie Montpetit (Culture), on fait valoir que les commissions scolaires ont amplement les moyens d’offrir aux élèves les sorties culturelles gratuites pour les parents. La nouvelle politique culturelle prévoit de plus 35 millions sur cinq ans pour les sorties éducatives.


Au cours des derniers jours, les ministres ont tenu une série de séances d’information avec la Fédération des commissions scolaires, avec les directions d’établissement et avec d’autres représentants de cadres du réseau.


En apparence, la règle est simple : les sorties prévues au régime pédagogique sont gratuites pour les parents. Les sorties facultatives, comme une visite à La Ronde ou dans un camp, peuvent leur être facturées. La décision appartient aux conseils d’établissement de chaque école.


« On a expliqué clairement la directive, mais il faut que l’information se rende dans les écoles ! » dit une source qui a requis l’anonymat.


De toute évidence, la directive sur la gratuité a été jugée trop floue par les commissions scolaires pour confirmer la présence des élèves aux productions jeunesse de l’automne. Est-ce un bluff pour obtenir des fonds supplémentaires à l’approche des élections du 1er octobre ?


Les commissions scolaires, en tout cas, marchent sur des oeufs. Elles peuvent difficilement se plaindre qu’elles n’ont pas les moyens de payer les sorties scolaires, dit-on à Québec : si elles manquent tant d’argent, c’est un aveu qu’elles en ont trop demandé aux parents durant des années pour des sorties et du matériel qui auraient dû être gratuits selon la loi !


Elles s’apprêtent d’ailleurs à verser aux parents des dizaines de millions pour compenser les frais exigés à tort pour du matériel scolaire. Il ne manque que le feu vert du tribunal pour entériner une entente à l’amiable intervenue dans l’action collective de près de 300 millions lancée par des parents contre 68 commissions scolaires.


Monsieur gratuité


De son côté, le ministre Proulx prépare la campagne électorale en se donnant des airs de grand défenseur de la gratuité et de champion des droits des parents, dit en soupirant un membre influent du réseau scolaire.


C’est facile pour le ministre de pelleter la gratuité dans la cour des commissions scolaires, ces mal-aimées qui passent pour des machines à gaspiller de l’argent — et dont la structure actuelle, sinon l’existence même, fera l’objet de débats durant la campagne électorale.


Le gouvernement a pourtant une responsabilité dans la dérive des frais exigés aux parents. Tout ce débat sur la gratuité survient après des années de compressions budgétaires, rappelle Sylvie Théberge, vice-présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ). « Les factures aux parents ont augmenté en lien avec le sous-financement, dit-elle. Pour améliorer les choses, il faut financer correctement le réseau public. »


Dans le milieu culturel, on convient que les 65 millions annoncés la semaine dernière par Québec pour l’arrimage entre les familles, la culture et les écoles donneront un sérieux coup de pouce à l’industrie.


« Le problème, c’est que la politique culturelle est apparue très tardivement », dit Pierre Tremblay, directeur général de Théâtres unis enfance jeunesse, qui regroupe 29 membres.


« Théoriquement, il y a de l’argent là, mais personne ne sait à qui il sera réellement attribué, ajoute-t-il. En quoi consistent les 7 millions par année pour les sorties culturelles ? À qui ça va être attribué ? Quand ? Comment ? À ce jour, on ne sait pas ça. En pleine semaine de la fin des classes, il est déjà trop tard pour faire les choix de sorties de la rentrée. C’est le bordel, il y a un manque de clarté. »


Les théâtres jeunesse font face à un curieux dilemme, explique Pierre Tremblay. Au fil des ans, ils se sont adaptés pour répondre aux besoins éducatifs des écoles qui envoient leurs élèves voir les spectacles. L’action collective au sujet de la gratuité scolaire — et la directive ministérielle qui a suivi — a tout chamboulé : les spectacles éducatifs sont désormais gratuits pour les parents, et personne ne veut payer pour y envoyer les enfants.


« Certains m’ont dit dans le milieu scolaire qu’on devrait offrir des activités d’épanouissement personnel. Ça permettrait les contributions des parents. On est rendus là comme société… »



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