Québec 2007 - L'analyse

Québec 2007 - Résultats et conséquences

Chaque samedi pendant la campagne électorale, Le Devoir a présenté les propos de trois observateurs chevronnés de la scène politique. Aujourd'hui, ils nous livrent leurs réflexions sur les résultats du vote. Propos recueillis par Guillaume Bourgault-Côté.
Point de déséquilibre
Jean-François Lisée, Auteur et analyste politique
Le système politique québécois a atteint hier soir un point de déséquilibre qui inaugure une période transitoire. Seulement 200 000 voix séparent le premier parti du troisième. Les électeurs québécois ont modifié le système lundi, mais il serait présomptueux de penser qu'en ayant donné une égalité virtuelle aux trois partis, ils s'apprêtent à prolonger le mouvement en mettant nécessairement l'ADQ au pouvoir la prochaine fois. Ce n'est pas impossible, mais c'est loin d'être certain.
Analysons les résultats de lundi inversement. Ils montrent que 67 % des Québécois n'ont pas voté pour le gouvernement, que 72 % des gens n'ont pas voté pour le PQ et que 69 % des gens n'ont pas voté pour l'ADQ. Personne ne peut revendiquer de majorité. Les trois partis sont donc en situation historiquement faible. Par contre, l'ADQ est clairement en position ascendante. C'est précieux pour eux d'être les favoris des francophones, ça leur donne une légitimité et une crédibilité accrues.
On voit que cette montée s'est faite au détriment des libéraux: ce sont eux qui ont le plus perdu lundi soir. Ces électeurs francophones qui les ont quittés sont allés vers une formation de centre-droit, d'un nationalisme modéré. Il y a un risque réel qu'ils restent là, puisqu'ils trouvent un parti qui leur ressemble idéologiquement.
Au PQ, on a essentiellement eu le même vote qu'en 2003, si on additionne les voix de Québec solidaire. Le problème, c'est que le parti n'a pas été capable d'attirer les insatisfaits. Est-ce que ça veut dire que le PQ est en déclin inexorable? Pas du tout. Il y a beaucoup plus de gens dont la famille naturelle est le PQ que ce qui a été exprimé lundi. Mais le PQ n'a pas été capable de harnacher cette famille-là, non plus qu'à se faire le porteur de l'insatisfaction des Québécois. Il y a de grandes questions à se poser sur les changements qu'il faut opérer à la personnalité de ce parti. Tout comme André Boisclair doit se poser la question de savoir s'il peut demeurer chef du parti. Je n'ai aucun doute qu'il pourrait être un excellent premier ministre, mais peut-il l'être dans le cycle historique actuel?
Mario Dumont a pour sa part reçu un véritable cadeau. Quand il va prendre sa place comme chef de l'opposition et qu'il sera assis en face du premier ministre, avec des tas de gens derrière lui, ça va rassurer les électeurs quant à leur choix et certainement en convaincre d'autres de suivre. On a vu le même effet avec Stephen Harper. Des gaffes sont possibles de la part de son équipe, mais M. Dumont aura droit à une lune de miel.
Par ailleurs, je ne vois pas de problème pour que Jean Charest conserve son leadership: la force d'inertie est toujours dominante au PLQ. Il a gagné, il est premier ministre, je ne vois pas de putsch possible.
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Une nouvelle réalité
John Parisella, Professeur associé à l'université Concordia
Je m'attendais à un gouvernement minoritaire, mais j'avoue que je ne pensais pas que ce serait aussi serré: je croyais à la possibilité que la prime de l'urne se concrétise et gonfle le vote libéral. Mais s'il y a eu une prime de l'urne lundi, c'est l'ADQ qui en a profité. Cela signifie que le vote adéquiste est probablement un vote discret, pas ouvertement fédéraliste.
Globalement, je ne crois pas qu'il faille parler d'une défaite du Parti libéral. Le gouvernement reste en place, il a donc remporté la joute électorale. M. Charest est premier ministre et plusieurs de ses ministres sont avec lui. C'est le principal. Par contre, ce gouvernement était majoritaire et se retrouve aujourd'hui minoritaire. En ce sens, c'est un recul. Cela s'explique notamment par la difficulté à réaliser trois des promesses les plus importantes de la campagne de 2003: défusions, baisses d'impôts et règlement du problème en matière de santé. Ce sont là les racines du mécontentement qui s'est exprimé lors du vote.
Mais la déception la plus forte est venue du côté du PQ, qui tombe au-dessous de 30 % des votes. Se relever de cette défaite sera un gros défi pour les souverainistes. Beaucoup d'éléments de leur programme devront être repensés. Cela ne signifie toutefois pas la fin du rêve souverainiste: ceux qui le pensent font une erreur. Le parti est en déclin, mais l'option n'est pas morte.
Il sera intéressant de voir, dans les prochains mois, quels changements le PQ opérera pour retrouver son électorat. M. Boisclair va certainement vivre des moments difficiles, mais il n'y aura pas nécessairement beaucoup de candidats intéressés à le remplacer à la tête d'un troisième parti...
Le leadership de Jean Charest ne me paraît pas menacé. Le premier ministre est jeune, il a gagné deux élections à la tête du PLQ, et personne ne maîtrise ses dossiers comme lui au sein de son parti. M. Charest doit maintenant penser en terme électoral pour bien piloter ce nouveau mandat, prendre des décisions simples en faisant du cas par cas. Gouverner sera possible: personne ne veut se lancer dans une campagne électorale à court terme.
La nouvelle répartition des sièges montre que les Québécois ont repoussé l'argument de Jean Charest concernant l'importance d'avoir un gouvernement majoritaire. Ils n'ont pas senti la menace d'un rapport de force moins favorable avec le reste du Canada, mais ont plutôt répondu favorablement au fédéralisme d'ouverture de Stephen Harper. Ce dernier a donné aux Québécois la sentiment que les intérêts du Québec n'étaient pas en danger dans cette campagne.
C'est ce qui a permis aux électeurs de se concentrer sur le bilan libéral et sur le désir de réaligner le débat politique au Québec. Le grand enseignement de cette élection est qu'il y a une nouvelle réalité politique au Québec: on n'y voit plus tous les problèmes à travers le seul prisme de la souveraineté.
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La surprise méritée
Marie Grégoire, Ancienne députée adéquiste du comté de Berthier
Quelle surprise! On prévoyait certainement une percée de l'ADQ, mais jamais d'une telle ampleur. Il y a même eu des gains importants faits dans le 450, ainsi que des batailles à Montréal et à Laval, dans des endroits où on ne s'y attendait pas. En définitive, cela démontre que le Québec n'est pas si fracturé qu'on le dit et que l'ADQ a des soutiens un peu partout dans la province.
Mario Dumont l'a dit dans son discours: l'ADQ sera le parti des villes et des régions. Pas seulement de ces dernières. Comme l'attestent les percées qu'on a vues lundi soir dans la couronne de Montréal, beaucoup de gens qui ont voté ADQ ont des liens étroits avec la métropole. Le pourcentage du vote adéquiste a pris de l'ampleur dans plusieurs comtés situés en banlieue proche ou même carrément en ville. Nous n'avons pas senti là une fermeture face à l'option ADQ comme on pouvait le sentir en 2003: il y a une partie du travail de fait, il faut maintenant continuer.
Les citoyens se sont exprimés. Il y avait une insatisfaction très forte à l'égard du gouvernement, ce qu'ont bien traduit les résultats des élections. En choisissant l'ADQ comme opposition officielle, les Québécois ont démontré qu'ils désiraient un gouvernement qui parlerait fort et ferait respecter les Québécois, mais sans faire de la question nationale une obsession. C'est un tournant important.
Il est difficile aujourd'hui de dire qui a subi la plus grande défaite lundi soir. Le PQ a perdu moins de députés et moins de voix que le PLQ, mais je pense que c'est lui qui a subi les dommages les plus importants. C'est une grosse défaite pour les péquistes, et André Boisclair devra vivre son chemin de croix. Il voulait moderniser le PQ à l'image de ce que Tony Blair a fait chez les travaillistes, mais on a vu toutes les résistances que cela a soulevé.
Mario Dumont a déjà donné les grandes lignes de son travail: agir de manière responsable, assurer la stabilité du gouvernement en négociant enjeu par enjeu. On ne donne pas un chèque en blanc à un gouvernement sous surveillance. Mario Dumont travaillera peut-être quelquefois avec M. Boisclair pour faire bouger le gouvernement, sinon ce sera avec M. Charest directement. La population s'attend à beaucoup de responsabilité, non à ce que M. Dumont fasse de l'affrontement pour de l'affrontement. Le fait que Mario Dumont collabore avec les deux «vieux» partis pour faire avancer le Québec sera apprécié des électeurs adéquistes: ils y verront l'étoffe d'un chef, et c'est ce qu'on attend de Mario Dumont.
Jean Charest devra pour sa part prendre réellement acte du résultat et montrer, dans le concret, qu'il est prêt à travailler avec les acteurs en place. Il ne pourra pas toujours imposer sa façon de voir: gouverner en mode minoritaire, ça signifie travailler avec tout le monde.


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