Durant la campagne électorale, le Parti libéral promettait une baisse des impôts de 750 millions de dollars à la suite du règlement d'une partie du déséquilibre fiscal avec le gouvernement d'Ottawa. Il y a quelques jours, le Mouvement Desjardins annonçait qu'il allait remettre près de 500 millions de dollars en ristournes à ses membres. Pour chaque Québécois, cela devrait correspondre à quelques centaines de dollars de plus dans ses poches.
N'est-ce pas de l'argent gaspillé? Pourquoi ne constituerait-on pas un fonds collectif de ce milliard deux cent cinquante millions, fonds qui pourrait servir à redonner à plusieurs municipalités les moyens financiers qui leur manquent pour refaçonner leur économie en fonction de leur réalité? Si on faisait appel à la solidarité des Québécois sur un enjeu pareil, je serais prêt à parier qu'ils diraient oui à une telle initiative.
Il faudrait aussi mettre les grandes pétrolières, les multinationales et les banques à contribution. Est-il normal que, dans une société dont une grande partie des citoyens se paupérise de plus en plus, ces entreprises fassent des profits de quatre et cinq milliards de dollars par trimestre et ne remettent rien aux gens qui leur confient leur argent?
Le gouvernement devrait les obliger à participer à ce fonds collectif dont je parle plus haut. Avec cet argent, plusieurs régions du Québec pourraient par exemple s'orienter vers la nouvelle agriculture, les produits maraîchers, l'élevage spécialisé, les technologies de pointe, la transformation sur place des matières-ressources, etc., et y attirer une jeunesse et des immigrants qui y trouveraient de quoi vivre honorablement.
Grâce à d'autres programmes déjà existants, ces gens seraient assurés d'être bien logés, de bénéficier d'une sécurité d'emploi qui leur permettrait de sortir du cercle vicieux de la pauvreté. En quelques années, on ne reconnaîtrait plus ces régions car elles seraient devenues prospères. Ainsi sauvegarderait-on et améliorerait-on l'occupation du territoire tout en lui donnant une beauté qui ferait naître la dignité et la fierté tout en développant ce dont on manque le plus au Québec, la solidarité sociale.
Assistés sociaux au travail
Durant la campagne électorale, Mario Dumont a fait état d'un élément de son programme qui a fait jaser, et plutôt en mal qu'en bien: remettre sur le marché du travail 25 000 assistés sociaux aptes au travail. Là encore, le problème ne me paraît pas insurmontable.
Quand j'étais entrepreneur à la Maison de VLB, j'ai embauché régulièrement des assistés sociaux, notamment des immigrants colombiens. Mais le système de l'assistance sociale est si mal conçu que chaque dollar gagné par ces employés leur était automatiquement enlevé par le gouvernement. Nous avons donc été obligés de tricher avec cette loi inéquitable et de payer au noir ces employés pour qu'ils puissent avoir un semblant de salaire décent. Durant le cours d'un seul été, les immigrants colombiens parlaient déjà un français fort convenable et se montraient aussi efficaces que les autres employés. Ils avaient surtout retrouvé une dignité et une fierté que leur exclusion sociale leur avait fait perdre.
Si chacune des entreprises du Québec qui compte plus de 25 employés embauchait par solidarité un assisté social et lui donnait la possibilité de se former en vue d'un emploi correspondant à ses aptitudes, serait-ce là de l'utopie? Les grandes entreprises sont sensées accorder une part de leur budget à la formation. Le gouvernement fait-il de même?
On manque de mécaniciens, d'électriciens (j'en ai demandé un il y a six mois et j'attends toujours sa venue), de plombiers, d'ouvriers spécialisés et de toutes sortes d'autres travailleurs. En remettant à jour les programmes dits de formation, en réduisant la bureaucratie (qui, là aussi, est un véritable enfer), l'assisté social serait assuré de gagner davantage même durant sa formation que s'il restait à ne rien faire chez lui.
Dans cette perspective, pourquoi l'expérience ne serait-elle pas une réussite? La conscience nationale passe aussi par la dignité des personnes, leur valorisation comme individus et la certitude qu'ils peuvent jouer un rôle important dans la société.
Fonctionnaires en surnombre
On parle beaucoup des fonctionnaires. Il est évident que le Québec pourrait aller aussi bien avec beaucoup moins de monde dans la fonction publique. Les pays scandinaves sont là pour nous le prouver. Le surnombre de fonctionnaires est la cause directe de la surabondance de paperasserie qui a de quoi décourager n'importe quel entrepreneur.
Pour le moindre petit permis, pour la moindre petite demande d'aide, on ne compte plus le nombre de pages à lire. Je ne donne ici qu'un seul exemple: l'artiste qui veut obtenir une subvention du Conseil des arts et des lettres du Québec doit se taper 16 pages dites informatives, plus un formulaire de sept pages! À tous les niveaux du gouvernement, ce sont les mêmes chinoiseries.
On ne réduirait que du quart ces dites chinoiseries qu'on ferait là des économies appréciables, économies qui pourraient servir à créer de la richesse véritable. Imaginez! Il y a quelques années, on comptait au Québec plus de 700 programmes d'aide gouvernementaux, ce qui est en soi une aberration.
Évidemment, les centrales syndicales sont réfractaires à toute réforme de la fonction publique et parapublique. Depuis qu'elles ne font presque plus de syndicalisation, la fonction publique et parapublique est leur vache à lait et elles entendent bien continuer de la traire. C'est plus facile que d'essayer de syndiquer les travailleurs autonomes, qui représentent plus de 40 % maintenant de la main-d'oeuvre québécoise à la merci d'entreprises qui les exploitent sans que ces travailleurs autonomes ne puissent se défendre d'aucune façon.
Et la santé!
Est-il normal qu'une société engloutisse plus de 40 % de son budget dans la santé? Est-il normal que l'ajout régulier de centaines de millions de dollars ne change strictement rien au problème? Là aussi, la bureaucratie est prédominante; là aussi, le gaspillage est éhonté; là aussi, les gens en place ne veulent rien changer au système parce qu'ils y trouvent leur profit.
Un corporatisme malsain a pris la place de ce qui devrait être un collectivisme centré sur le monde à soigner plutôt que sur le monde qui soigne. Là aussi, la bureaucratie avale pour rien des sommes faramineuses d'argent qu'il vaudrait peut-être mieux dépenser ailleurs.
L'Europe nous donne là encore des exemples qui pourraient nous aider à régler au moins une bonne partie du problème. Depuis des années, l'économiste Pierre Fortin nous dit que l'établissement d'un «ticket» modérateur serait approprié dans notre système de santé. Pourtant, tous les partis politiques évitent ce sujet comme s'il devait apporter la peste. En plus de soulager les finances de l'État, le ticket modérateur aurait aussi ceci de positif: il obligerait le citoyen à prendre conscience d'une réalité dont il ne semble pas vouloir tenir compte.
Inaccessible culture
On a peu entendu parler durant la campagne électorale de la culture. On a surtout oublié de dire à l'électeur que le gouvernement fédéral, par les subventions qu'il accorde (et souvent de façon tout à fait inéquitable), contrôle 70 % de l'aide qui est octroyée aux différents organismes culturels québécois. Il me semble que la culture devrait être un champ de compétence exclusivement québécois. Avec l'argent qui nous reviendrait ainsi, on pourrait changer de fond en comble notre pratique culturelle.
Au lieu de favoriser presque exclusivement et sans grand résultat le créateur parce que les subventions sont sans lendemain pour les uns comme pour les autres, on pourrait créer un réseau de diffusion national qui rendrait notre culture accessible au plus grand nombre: obligation à nos bibliothèques d'acheter les livres québécois, obligation à nos salles de spectacle de présenter le théâtre et les arts en général, pas à la petite cuiller, mais à la louche. Je suis encore sidéré que les oeuvres de Robert Lepage soient vues partout dans le monde, mais pas à Rivière-du-Loup ou à Sept-Îles.
Les professeurs de français, de littérature et d'histoire ont aussi un sérieux examen de conscience à faire: ils sont de plus en plus nombreux à croire que se mondialiser est nier l'être identitaire qui nous porte. Ils n'enseignent donc plus vraiment notre littérature, nos arts et notre histoire. Pourtant, nous avons maintenant une culture nationale absolument contemporaine à celle du monde entier, et souvent elle peut même se targuer d'être à l'avant-garde.
S'inquiéter pour Montréal
On a également peu parlé de Montréal durant la campagne électorale. Ce n'est pas parce que j'habite en région que je n'aime pas Montréal. J'y ai vécu avec bonheur plus de 25 ans et si j'en suis parti, c'est que je voulais revenir à mon pays natal, ce qui ne m'empêche pas de m'inquiéter pour la métropole du Québec.
L'étalement urbain (qui est venu pour une bonne part de fort mauvaises décisions administratives qui ont cisaillé la ville pour que les autoroutes puissent y passer), l'encombrement des véhicules moteurs, un développement basé presque exclusivement sur la spéculation foncière, le peu de cas qu'on a fait des jeunes familles, le nombre croissant des sans-abri, la malpropreté, l'insécurité (quand une fillette se pique avec une seringue jetée sur un trottoir, comment ne pas s'inquiéter?) et le réchauffement de la planète qui vous donne presque un mois de smog sur Montréal durant l'été, voilà quelques-uns des problèmes que Montréal doit résoudre avant de penser à faire revenir des banlieues les familles qui y sont.
On pourrait au moins poser sur Montréal une question qui me semble fondamentale: est-ce que la ville correspond encore aux services et à la qualité de vie qu'un citoyen attend d'elle aujourd'hui? Est-ce que le déclin de Montréal ne s'expliquerait pas parce qu'elle ne répond plus au pourquoi de sa création? Si c'est le cas, comment y remédier? En y gaspillant encore des masses et des masses de dollars sans savoir ce que devrait devenir la Cité?
Dans le monde de la haute technologie, les affaires ne sont plus tout à fait l'exclusivité des grands centres. Aux États-Unis, plusieurs entreprises, qui étaient établies depuis longtemps à New York, ont déménagé leurs pénates dans des villes de moindre importance, voire dans de petits villages, parce que la sécurité et la qualité de vie conviennent mieux aux rêves de l'homme et de la femme d'aujourd'hui. C'est là pour Montréal un énorme problème et voilà sans doute pourquoi on a fait silence là-dessus depuis des années, et tout particulièrement durant la campagne électorale.
Je souhaite donc que le séisme venu des élections du 26 mars dernier nous oblige à une réflexion globale sur notre société et sur le gaspillage qui semble être devenu une valeur, plutôt que le formidable enjeu de nous penser autrement. Si on s'y mettait vraiment, il me semble que nous nous porterions bien mieux - aussi bien dire moins pauvres - que c'est le cas aujourd'hui. Ça demande simplement de la volonté, de l'imagination, de la création et une détermination à toute épreuve. Aurons-nous ce courage-là?
Victor-Lévy Beaulieu : Écrivain
Nous vivons dans une société de gaspillage. Pouvons-nous y échapper, ne serait-ce qu'en partie?
Québec 2007 - Résultats et conséquences
Victor-Lévy Beaulieu84 articles
Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singul...
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Victor-Lévy Beaulieu participe de la démesure des personnages qui habitent son œuvre. Autant de livres que d'années vécues, souligne-t-il à la blague, comme pour atténuer l'espèce de vertige que l'on peut éprouver devant une œuvre aussi imposante et singulière. Une bonne trentaine de romans, une douzaine d'essais et autant de pièces de théâtre ; des adaptations pour la télévision
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