Séisme politique au Québec

Québec 2007 - Résultats et conséquences

par Martine Jacot et Anne Pélouas - Un "véritable séisme". Plusieurs éditorialistes québécois ont utilisé cette formule pour qualifier les élections générales du 26 mars au Québec qui marquent un tournant historique pour la seule province à majorité francophone du Canada. Ces élections reflètent une profonde recomposition du paysage politique, avec pour corollaire une mise sous le boisseau du rêve indépendantiste.
Alors que deux formations politiques - le Parti libéral, de centre droit, et le Parti québécois, social-démocrate - se partageaient le pouvoir depuis le début des années 1970, ce scrutin a vu émerger une troisième force, de droite et aux accents nettement populistes. L'Action démocratique du Québec (ADQ), cofondée en 1994 par un jeune économiste charismatique, Mario Dumont, a emporté, à la surprise générale, 31 % des suffrages. Dans le cadre du système uninominal à un tour en vigueur, l'ADQ a obtenu 41 des 125 sièges de l'Assemblée nationale où elle n'en avait jusqu'alors que cinq. Au pouvoir depuis 2003, le Parti libéral de Jean Charest, avec 33 % des voix et 38 sièges de députés, se trouve ainsi condamné à former un gouvernement minoritaire au destin fragile, un cas de figure que la province n'a pas connu depuis cent vingt-neuf ans.
Le Parti québécois (PQ) essuie le revers le plus cuisant : il ne sauve que 36 sièges, avec 28 % des suffrages, soit l'un des scores les plus faibles de son histoire. C'est à peine plus que les 23 % des voix qu'il avait obtenues lors de sa première apparition sur la scène politique, en 1970, en prônant l'indépendance de la province. Son émergence avait rayé de la carte électorale, trois années plus tard, la droite populiste, qui réapparaît en quelque sorte pour la première fois à travers l'ADQ. Il s'agit d'un retour en force : les électeurs francophones ont majoritairement voté pour le parti de Mario Dumont, ancré dans le monde rural, attaché à la défense de la famille, des classes moyennes et des personnes âgées, opposé à trop de concessions aux minorités ethniques ou religieuses, prônant une privatisation partielle des services de santé et un "dégraissage" de la fonction publique. Si l'ADQ n'est pas parvenue à faire recette à Montréal, la métropole multiculturelle, elle a réalisé cependant de bons scores dans la capitale de la province, Québec.
On peut avancer plusieurs explications à un tel "séisme" politique. Si le fédéraliste Jean Charest - ancien ministre à Ottawa au sein d'un gouvernement conservateur à la fin des années 1980 - n'obtient qu'un "sursis", c'est que son bilan des quatre dernières années est considéré comme mitigé. L'assouplissement qu'il a imposé au code du travail lui a valu un tollé syndical et d'importantes manifestations. Les mesures prises pour désengorger les hôpitaux ou pour améliorer le système d'éducation, notamment, n'ont pas convaincu. Les 5,6 millions d'électeurs attendaient impatiemment qu'il concrétise sa promesse de réduire les impôts, au bénéfice des classes moyennes surtout. Or le premier ministre n'a tenu cet engagement que récemment.
Le recul du Parti québécois, au-delà de la performance très moyenne durant la campagne de son chef, André Boisclair, doit l'amener à s'interroger sur ce qui constitue sa principale raison d'être : l'indépendance du Québec. Cet objectif a été reformulé, après l'échec d'un premier référendum en 1980, en "souveraineté-association" avec le reste du Canada. Ce credo n'a pas varié après le deuxième échec référendaire de 1995, où le non l'avait emporté de justesse. Alors qu'André Boisclair promettait un troisième référendum sur la souveraineté "aussi vite que possible" s'il arrivait au pouvoir, les sondages de ces derniers mois montraient que plus des deux tiers des Québécois ne voulaient pas d'une telle perspective.
L'option souverainiste elle-même ne suscite plus l'adhésion, d'après les enquêtes, que de 30 % à 40 % de la population, suivant la façon dont la question est posée. Force est de constater que, durant les dernières décennies, elle a été appuyée dans les sondages par une majorité de Québécois dans un contexte de vives tensions entre la province et le gouvernement fédéral. Il en a notamment été ainsi lorsque ce dernier a recherché une centralisation des pouvoirs, aux dépens des particularités québécoises.
"FÉDÉRALISME D'OUVERTURE"
Or le contexte a changé. Les Canadiens ont porté au pouvoir, en janvier 2006, un gouvernement conservateur - minoritaire lui aussi - dont le premier ministre, Stephen Harper, met en pratique un "fédéralisme d'ouverture" à l'écoute des récriminations des provinces, avec plusieurs gestes-clés à l'endroit du Québec : à son initiative, le Parlement d'Ottawa lui a reconnu le caractère de "nation" qu'il lui avait historiquement dénié. Et le récent budget fédéral accorde d'importants transferts de fonds à la province francophone.
Le chef de l'ADQ, qui avait voté en faveur de la souveraineté en 1995, a mesuré la lassitude de l'électorat face à la prolongation infinie du même débat, encouragée par le "tête-à-tête" entre libéraux fédéralistes et "péquistes" indépendantistes au pouvoir. Mario Dumont a brandi le slogan "s'affirmer sans se séparer" (du reste du Canada) tout au long de sa campagne, en défendant une sorte d'autonomie à l'espagnole.
Pour le Parti québécois, c'est une nouvelle "crise d'identité" qui s'ouvre, sans doute plus sérieuse que celles qui ont suivi les échecs référendaires passés. Ne restera-t-il, comme l'anticipent certains observateurs, que le "parti d'une génération" ? L'indépendance a toujours constitué le ciment de cette formation quelque peu hétéroclite politiquement. Elle comportait aussi, jusqu'à présent, des indépendantistes de droite en son sein, bien que sa direction ait toujours été sociale-démocrate. Attaqué sur sa droite par l'ADQ, le Parti québécois l'est aussi, quoique plus marginalement, sur sa gauche : une nouvelle formation, Québec solidaire - indépendantiste elle aussi -, a obtenu 4 % des suffrages aux élections générales, allant jusqu'à menacer la réélection d'un député "péquiste" dans le bastion de sa circonscription de Montréal. Certains réclament d'ores et déjà l'éviction d'André Boisclair.
De son côté, Mario Dumont, qui a fait campagne sans grands moyens financiers ni équipe aguerrie, devra relever de gros défis. Il prend la tête d'un groupe de 41 députés, tous novices en politique et appelés à former l'opposition officielle. Nul ne sait s'il choisira de coopérer au coup par coup avec le prochain gouvernement ou s'il préférera oeuvrer à sa chute. Mais une chose est certaine : la marge de manoeuvre du premier ministre Jean Charest sera réduite.
Martine Jacot et Anne Pélouas


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