Politique

Qu’est-ce donc que la démocratie?

La RUE vs la LOI

Alexandre Ménard - Droit UdeM

Qu’est-ce que la démocratie ? Mes études en droit international et comparé à Vienne et à Pékin ne m’ont certainement pas permis de répondre à cette question. Au contraire, mes recherches ont plutôt contribué à détruire l’image que j’avais de ce concept que je croyais jusque-là bien façonné. Mais ce concept, perçu comme un système social utopique, de quoi est-il le gage ?
Dans le conflit qui a sévi au Québec, les gouvernants ont rapidement fait ce que leurs homologues du monde entier auraient fait : ils ont défendu leurs actions en invoquant LA démocratie. Raymond Bachand, parmi d’autres, affirmait que la pression de la rue n’avait pas sa place en société, puisque dans un système démocratique, l’expression populaire n’est légitime qu’au moment du suffrage universel ; grosso modo, de l’avis du gouvernement, « nos actions sont légitimes puisque nous avons été élus démocratiquement », un raisonnement que je critiquerai sévèrement dans les prochaines lignes. En effet, je vous propose d’analyser la fameuse position selon laquelle, en démocratie, « si tu n’es pas content, tu n’as qu’à voter aux prochaines élections ».
Pratiquement tous les dirigeants du monde entier - du moins là où la monarchie n’est plus - se targuent de vivre dans un système démocratique. Alors ici, nous prétendons vivre dans un système démocratique et plus largement de savoir ce qu’est LA démocratie. Nous prétendons même pouvoir critiquer de façon hégémonique les autres systèmes ; ceux-là qui n’ont pas encore compris ce que c’est la « vraie démocratie » (et ce ne sont pas les exemples d’impérialisme doctrinal qui manquent !). C’est tout, nous savons, donc les autres ont tort ! Pourtant, allez à Moscou, et les officiels tiendront le même discours… Où est-ce que je veux en venir ? Cette réflexion préliminaire sur la portée de la démocratie porte sur deux prémisses, l’une touchant son contenu, l’autre son contenant.

Indéfini mais universel
Primo, les intellectuels oeuvrant en droit international s’entendent sur un point : le concept de démocratie est indéfini. La démocratie n’est pas une norme morale absolue en soi, puisqu’elle est indéterminable. C’est en réalité une idéologie qui diffère en fonction de l’auteur qui en traite. Il ne peut donc s’agir d’un concept universel à l’échelle internationale.
Secundo, on remarque que l’utilisation du concept de la démocratie, elle, est universelle. En effet, chaque représentant étatique se proclame à la tête d’un système démocratique.
Bref, la forme est universelle en dépit du fond.
Mais à quoi sert cette coquille ? Elle sert tantôt aux intellectuels qui tentent de définir une justice universelle ou naturelle, tantôt aux détenteurs du pouvoir. Pour ces derniers, c’est à des fins politiques que cette coquille prend toute son importance.
Mais quel est le rapport avec le conflit québécois ? J’y arrive…
Je disais plus haut : c’est tout, nous savons, donc les autres ont tort. Charest sait, donc il a raison. Que sait-il ? Ce qu’il sait, c’est comment on exploite l’idée de démocratie pour faire avaler à monsieur madame Tout-le-monde que ses actions sont justes. Voilà vraiment ce qu’il sait de la démocratie, le contenu demeurant d’une grande futilité à ses yeux. Comme tous ceux qui tentent de freiner l’émergence des idées au Québec, tous ceux qui prônent le statu quo ou les détracteurs des élections à date fixe.
À ceux qui prétendent que la seule façon légitime de se faire entendre est de voter aux élections, je réponds : « Attention ! Le retour du balancier pourrait être dévastateur. Il est possible que cette position ne vous serve qu’un temps seulement. » Je m’explique… (ns)
À une époque archaïque, la légitimité du pouvoir tenait au sang des monarques. Aujourd’hui, le pouvoir légitime se fonde dans la démocratie.
Historiquement, notre compréhension de ce pouvoir « légitime » s’est faite par étapes. Nous avons cru après la Première Guerre mondiale qu’un parlement élu était nécessairement légitime. C’est à ce moment que le Parti national-socialiste (parti nazi) de Hitler fut élu. Il a adopté des lois ayant conduit à la tristement célèbre « solution finale de la question juive », qui commandait rien de moins qu’un génocide. Ces lois ont été adoptées en assemblée par une majorité d’élus. Rien de plus démocratique ? J’en doute.
C’est ensuite qu’on a compris que la primauté du droit, l’un des principaux axes de la démocratie, devait s’associer à certaines normes morales pour demeurer légitime. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948 par l’ONU, suivra…

Charte et constitution
Théoriquement, dans un contexte de gouvernement majoritaire, comme en ce moment au Québec, la Charte des droits et libertés est notre gardienne contre un régime totalitaire temporellement limité par la durée du mandat. C’est devant cette réalité théorique que le législateur l’a fusionnée avec la Constitution. Cette même charte consacre la liberté d’association et d’expression, nous attribuant le droit de manifester notre désaccord. Personne ne disconviendra que la Charte soit un élément central de notre système démocratique. Pourtant, certains condamnent l’exercice de ce droit en tenant des propos comme ceux endossés par notre gouvernement.
S’il est vrai que notre système démocratique assure la tenue d’élections législatives, il ne se limite pas à cela. Le respect de nos droits et libertés fondamentales est aussi assuré par cette même « démocratie ». M. Charest n’agit pas en son nom, il la viole. C’est aux intellectuels de déterminer le contenu de la démocratie, pas aux politiciens, qui la déforment de façon circonstancielle, de manière à imposer leurs volontés, comme l’équipe libérale a su le faire pendant le printemps québécois.
Mon raisonnement tente de démontrer que si M. Charest restreint l’expression de la rue en ne respectant pas les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, l’exercice de son pouvoir est illégitime, puisque non démocratique. Peu importe à quel point il se targuera d’être un grand démocrate, il ne l’est pas. De surcroît, la banalisation de ces manquements serait le plus grand aveu de faiblesse de notre nation, pourtant si forte.
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Alexandre Ménard - Diplômé de la faculté de droit de l’Université de Montréal


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