Les libéraux malades de magouille,
_ Un mal qui répand le dégoût,
_ Mal que le gouvernement, en grand manitou,
_ Inventa pour plaire aux amis.
Le grenouillage, s’il faut lui donner un nom,
_ Capable d’enrichir en un jour le larron,
_ Faisait aux citoyens affront et avarie.
_ Ils n’y gagnaient pas tous, mais tous étaient alliés,
On n’en voyait point d’occupés
_ À se battre pour corriger cette infamie ;
_ Nulle moralité n’excitait leur envie.
_ Ni critiques, ni griefs ne déstabilisaient
_ La complaisance des élus.
_ Les enquêtes qu’on exigeait
_ N’avaient d’écho que dans la rue.
Le premier ministre tint conseil et dit :
_ « Chers amis, le jour des élections approche
_ Et notre popularité s’effiloche.
_ Notre gestion souffre de grandes lacunes.
_ Cherchons donc les coupables de notre infortune
_ Et punissons-les pour la cause commune,
_ Car bientôt le peuple ira aux urnes.
_ Il faut sacrifier les plus fautifs filous
_ Aux traits de nos puissants courroux. »
L’histoire nous apprend qu’en de tels accidents,
_ On fait de pareils châtiments ;
_ Et l’on doit souhaiter selon toute justice
_ Que la cour et les lois agissent.
_ « Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
_ L’état de notre conscience.
_ Pour moi, n’obéissant qu’à la condescendance,
_ Je n’ai pour le peuple que de l’indifférence.
Je suis au service des grandes sociétés,
_ Mais je manque d’argent pour les soins de santé.
_ Nous voyageons tous à grands frais
_ Et nos notes de frais sentent mauvais.
_ Essayons désormais de beurrer moins épais,
_ Nos abus doivent être un peu plus discrets.
_ Je me dévouerai donc, s’il le faut, car je pense
_ Qu’on doit instaurer un climat de confiance. »
« Sire, dit un ministre, vous êtes trop bon !
_ Vos scrupules font voir trop de circonspection.
_ Ignorer ouvrier, paysan, sotte espèce,
_ C’est faire preuve de noblesse ;
_ Et quant aux grandes sociétés,
_ Est-ce un péché de nourrir des amitiés ?
_ Non, non, c’est savoir gouverner,
_ En les aidant, nos arrières sont protégés,
_ Et ces dépenses auxquelles vous faites allusion,
_ C’est le secret d’une profitable gestion. »
Le premier ministre, sur un ton plus sévère,
_ Affirma qu’on ne pouvait quand même pas taire
_ Les scandales qui règnent dans la construction.
_ Il demanda qu’on crée une Commission
_ Pour contrer les allégations de corruption
_ Qui se propagent et nuisent à sa réputation.
L’histoire nous apprend qu’en de telles occasions
_ On fait de pareilles ruses,
_ Pour calmer les protestations
_ Et provoquer une ambiance plus confuse.
Un autre ministre intervint en disant :
_ « Ce que l’on paie en trop, pour les dépassements
_ Sur les contrats en construction,
_ Revient en gratifications
_ Dans notre caisse électorale.
_ Un retour d’ascenseur, c’est tout à fait normal. »
_ Ainsi parlèrent les conseillers libéraux,
_ Et chacun fut exonéré de tous les maux.
Flatteurs d’applaudir, on n’osa approfondir,
_ Ni des pots de vin, ni des fraudes, ni du pire ;
_ Tous les tricheurs jusqu’aux simples gredins,
_ Au dire de chacun étaient de petits saints.
La ministre en éducation prit la parole
_ Et expliqua que, sur un ton de casserole,
_ On manifestait tous les soirs
_ Dans la rue et sur les trottoirs,
_ Contre le dégel des droits de scolarité.
_ Elle y voyait une affreuse calamité !
_ À ces mots on cria haro sur le baudet.
_ Un ministre savant prouva par sa harangue
_ Qu’il fallait sanctionner ces jeunes farfadets,
_ Ces abrutis, ces enfoirés, ces maudits cancres.
_ Leur peccadille fut jugée un cas très grave,
_ Puisqu’à l’ordre et la paix, ils faisaient grosse entrave.
_ Marcher, quel crime abominable !
_ Seule une loi était capable,
_ De contrer leur forfait et on leur fit bien voir ;
_ La loi soixante-dix-huit vint comme un éteignoir.
C’était l’occasion en or,
_ Pour faire oublier tous les torts.
_ Chez les citoyens bien-pensants,
_ L’ordre, c’est bien plus important
_ Que morale ou honnêteté.
_ Et la paix, c’est le lit de la majorité.
_ Selon que vous serez puissant ou étudiant,
_ Les jugements de cour vous rendront noir ou blanc.
_ Jean de la Fontaine est encore de son temps,
_ La vérité est au service de l’argent.
Les libéraux remporteront les élections,
_ Car ils ont fait preuve d’habiles diversions.
_ Les étudiants furent l’antidote idéal
_ Pour cacher les manifestations de leur mal.
***
Serge Anctil - Granby
Jean de La Fontaine revisité
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