Propos inédits du juge Antonio Lamer - La révolution des droits et le pouvoir des juges

Commentaire de Yves Boisvert dans Cyberpresse du 29 octobre 2008

Livres - 2008


Depuis l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, il ne fait aucun doute que le rôle des juges dans la société a considérablement changé. L'influence et les pouvoirs qu'ils exercent sur la société aussi. L'ancien juge en chef du Canada, Antonio Lamer, en était conscient. Contrairement aux «framers» états-uniens -- lesquels avaient délibérément oblitéré cette question touchant le pouvoir judiciaire --, les constituants canadiens ont expressément conféré aux juges le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois (il s'agit de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982).
En d'autres termes, les juges canadiens (des personnes qui ne sont pas élues par la population) jouent incontestablement un rôle plus politique depuis qu'ils peuvent déclarer que des lois adoptées par les députés (des personnes élues par la population) contreviennent à la constitution ou la violent.
Dans une entrevue accordée au moment de son départ de la vie publique, Antonio Lamer me confiait déplorer le fait que la seule question qui semblait préoccuper les politiciens et les journalistes lors du rapatriement de la Constitution en 1982 concernait la légitimité de son rapatriement sans l'accord unanime de toutes les provinces; peu ou prou, ils se sont toutefois intéressés à la question plus fondamentale de savoir comment une charte des droits allait affecter l'équilibre des pouvoirs. Or l'impact, on le sait aujourd'hui, a été colossal.
Entrevue avec Le Devoir
Voilà le type de questions abordées avec lui lors de cette entrevue, réalisée le 3 novembre 1999 et publiée à la une du Devoir le lundi 11 janvier 2000. Il était entendu que le juge en chef Lamer pourrait examiner le contenu des questions et des réponses (le verbatim) avant la rédaction du texte qui ferait suite à cette entrevue. Devenu par la suite biographe du juge en chef Lamer, je m'étais engagé verbalement à ne pas divulguer la partie de l'entrevue portant sur la sécession du Québec tant et aussi longtemps qu'il vivrait.
Son décès, l'automne dernier, me dédouane de cet engagement. C'était là une condition pour qu'il accepte de réaliser cette entrevue, la seule -- à l'exception d'une entrevue faite avec Stéphan Bureau, de la SRC -- qu'il ait accordée à un média d'information après l'annonce de sa démission comme juge en chef de la Cour suprême du Canada et juge en chef du Canada.
J'ai accepté ce compromis dans la mesure où Antonio Lamer a été -- incontestablement -- l'un des pionniers de la révolution des droits qui est survenue au Canada en 1982 avec l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Plus que quiconque, Antonio Lamer aura contribué à cheviller le pouvoir des juges de contrôler la constitutionnalité des lois dans le système politique canadien.
Citoyen et juge
La partie de l'entrevue portant sur la Cour suprême et les questions politiques, notamment en ce qui concerne le Renvoi sur la sécession du Québec (1998), a fait l'objet de modifications importantes de la part du juge Lamer entre le moment de l'entrevue et le moment de sa parution. À titre d'illustration, à la question de savoir ce qu'il entendait par «une réponse claire à une question claire» dans le cas d'un référendum sur la sécession du Québec, la réponse modifiée du juge en chef Lamer était, comme on peut le lire dans l'entrevue qui suit, qu'il ne peut rien ajouter aux motifs du jugement.
«Je ne peux ajouter à un jugement, dit-il. Le jugement parle par lui-même. Ce que j'avais à dire comme juge est dans le jugement. Cependant, à titre de citoyen, je pourrais faire un commentaire au sujet du projet de loi présentement devant le Parlement, mais je m'en abstiendrai. En effet, même si je parle strictement à titre de citoyen, la plupart de vos lecteurs voudront y voir une indication de la nature des discussions que nous avons eues lors de nos délibérations. Je m'en voudrais de voir vos lecteurs et d'autres interpréter mes propos comme un message supplémentaire de la part de la cour.»
Or, dans l'entrevue originelle réalisée le 3 novembre 1999, le juge en chef Lamer tenait des propos tout à fait différents, et il a répondu clairement aux trois questions suivantes. D'abord, qu'entendait-il par une réponse claire à une question claire? Ensuite, est-ce que la question soumise par le gouvernement du Québec, alors dirigé par le Parti québécois, lors du référendum de 1995, lui apparaissait claire au sens du Renvoi sur la sécession du Québec (1998)? Enfin, est-ce que la Loi sur la clarté, adoptée par le Parlement à la suite de cette décision de la Cour suprême du Canada, lui semblait constitutionnelle? Ses réponses, consignées sur un ruban magnétique, sont reproduites ci-dessous.
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Alain-Robert Nadeau, Avocat et docteur en droit constitutionnel, l'auteur publie ces jours-ci ses Propos sur la justice constitués d'un agrégat de 60 chroniques et de 10 entrevues publiées principalement dans les pages du Devoir.
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Commentaire de Yves Boisvert dans Cyberpresse du 29 octobre 2008
Censure au Devoir?
Par la barbe d'Henri Bourassa, la chose est-elle possible?
Alain-Robert Nadeau, qui a tenu pendant plusieurs années une excellente chronique sur le droit et la société dans Le Devoir, accuse le quotidien.
Nadeau vient de faire publier un recueil de ses textes (Propos sur la justice, Éditions Yvon Blais), qui contient aussi des entrevues, notamment une avec l'ancien juge en chef de la Cour suprême, Antonio Lamer.
Le Devoir a d'ailleurs fait paraître en exclusivité, lundi, des extraits de cet entretien, d'abord publié dans le quotidien. Sauf que l'entrevue publiée en 2000 ne dit pas la même chose. L'auteur avait en effet accepté de soumettre le texte au juge Lamer, une pratique fort peu journalistique. Nadeau demandait au juge en chef ce que voulait dire la Cour en parlant de la nécessité d'une «majorité claire» à un référendum sur la sécession du Québec, dans le fameux renvoi de 1998. Dans le texte publié en 2000, le juge Lamer disait que, comme citoyen, il avait une opinion, mais «le jugement parle par lui-même» et il ne convient pas qu'un juge commente ses jugements.
Le hic, c'est que dans la version originale, corrigée par le juge Lamer, il disait qu'il faudrait à son avis 60% de Oui, ce qui est légèrement différent! «Cinquante pour cent, c'est dangereux; ce serait l'Irlande du Nord. Parce que, qu'est-ce que vous voulez, six mois plus tard, vous en avez 6, 7 ou 8% (des gens) qui n'en veulent plus (de la séparation).»
Ce n'est que l'opinion d'un des neuf juges sur un renvoi qui, lui-même, n'est qu'une opinion et pas un jugement. Mais en 2000, ces propos auraient été explosifs. L'auteur (à l'insu du Devoir, apparemment) a accepté de se faire corriger... On a au moins le bénéfice d'une entrevue posthume.
Quoi qu'il en soit, vous serez amusé de lire, à la page 135 du recueil, une chronique «censurée» par Le Devoir. C'est-à-dire jamais publiée, mais placée quelques heures sur le site internet avant d'être retirée.
Nadeau y mettait en opposition l'attitude du PQ sur le référendum comme moyen d'accession à la souveraineté et le référendum, purement consultatif, en matière de fusions municipales. C'est Stéphane Dion qui doit être heureux, écrivait-il, ajoutant que le processus de fusion «fait fi de la volonté populaire» et est «une résurgence de cet absolutisme royal qui prévalait au XVIIe siècle».
On voit mal ce qu'il y a d'impubliable là-dedans, à part de contredire la page éditoriale, mais je ne suis pas bien sûr que celui qui a décidé de publier en bonne place des extraits exclusifs de ce recueil dans Le Devoir ait lu la page 135...
courriel Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca

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Avocat et docteur en droit constitutionnel, l'auteur publie ces jours-ci ses Propos sur la justice constitués d'un agrégat de 60 chroniques et de 10 entrevues publiées principalement dans les pages du Devoir.





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