Pourquoi la démocratie nous déçoit-elle ?

Ce que la réalité nous donne à voir cependant, c’est moins l’accomplissement de ces idéaux que notre incapacité à les incarner dans la vie publique

Tribune libre - 2007

Les dernières campagnes électorales, tant au fédéral qu’au provincial,
semblent avoir eu pour effet d’augmenter le cynisme à l’égard de la
politique en général et de notre démocratie en particulier. Si l’on pense
aux faibles taux de participation, à l’élection de gouvernements
minoritaires, à la volonté de réformer le mode de scrutin, au débat sur le
temps de parole en chambre et la possibilité d’une seconde campagne
électorale au Québec en moins de trois mois, force est de reconnaître que
notre système politique déçoit ses citoyens autant que ses élus. Mais
pourquoi nos institutions politiques génèrent-elles autant
d’insatisfaction ?
Si la démocratie a la réputation d’être le « moins pire » des systèmes, en
revanche elle coûte cher et demande du temps. Or, comme si cela n’était pas
assez, la démocratie se fonde sur des idéaux difficiles à réaliser. Elle
présuppose en effet l’égalité de tous les citoyens, la participation égale
au pouvoir, la représentativité à l’Assemblée, la transparence et
l’imputabilité dans la prise de décision. Ce que la réalité nous donne à
voir cependant, c’est moins l’accomplissement de ces idéaux que notre incapacité à les incarner dans la vie publique.
Ainsi la distance grandissante, dans nos démocraties contemporaines, entre
l’idéal et la réalité traduit ce que certains ont appelé un « déficit
démocratique ». Cette idée s’établit en gros sur les points suivants :
- l’absence de dialogue et d’imputabilité des élus suggère que ces
derniers gouvernent pour eux-mêmes ; les citoyens sont oubliés
- la prise de décision se perd dans la complexité de la structure
politique et bureaucratique ; l’on décide pour soi, pas pour ni avec le
peuple
- l’électeur est devenu un consommateur et la pratique de la démocratie
table sur une représentation tordue de la réalité, moins politique
qu’économique
Le constat est clair : si tout le pouvoir vient du peuple, ce dernier ne
l’exerce que le jour des élections. Et il ne l’exerce qu’en surface. Le
reste du temps, les citoyens ne se sentent pas « entendus ». Il n’est donc
guère étonnant qu’ils finissent par désavouer leurs politiciens et se
sentent peu respectés par leurs institutions. Comment, dans ces conditions,
remédier à l’ « impuissance collective » ?


Valoriser la participation et la prise de décision citoyenne

La première chose à faire est de reconnaître la nouveauté de notre
situation. Les sociétés modernes sont devenues extrêmement complexes et
toute décision politique doit composer avec un degré d’incertitude et
d’instabilité inconnu des sociétés antérieures. Il en résulte qu’il est
difficile d’avoir une vision globale des problèmes et qu’on doit se méfier
des solutions trop simples. Ce n’est pas en faisant appel aux nouvelles
technologies de l’information comme Internet, par exemple, que l’on pourra
résoudre le déficit démocratique, car en situation d’incertitude, la
médiation des institutions est plus que jamais nécessaire pour que les
politiciens prennent des décisions éclairées.
Or il existe pourtant un modèle de démocratie alternatif qui respecte les
institutions. Nous aurions peut-être davantage le sentiment que le pouvoir
politique sert les intérêts collectifs, si l’on accordait un plus grand
rôle aux citoyens dans leurs lieux de travail, dans les partis et dans les
affaires de l’État. La démocratie délibérative est un modèle qui met de
l’avant la capacité des individus à décider ce qui est bon pour eux. Elle
défend une vision qui valorise l’implication des citoyens, accepte la
discussion et partage les pouvoirs. Ce modèle permet de reconnecter les
citoyens à la sphère politique et de redonner un sens à la démocratie, qui
est plus que la représentation de la population par des élus.

Quelques principes du modèle délibératif et un exemple précis
Ce modèle suggère que les politiques soient justifiées par un processus de
discussion entre des citoyens libres et égaux. Il répond à trois principes
simples : 1) la réciprocité dit que les citoyens, sur un enjeu, cherchent
ensemble un accord. Il y a réciprocité entre les débatteurs, mais aussi
avec leurs institutions 2) la publicité impose que les citoyens débattent
publiquement de leurs intérêts communs et 3) l’imputabilité rappelle que
les citoyens seront responsables de leurs décisions et des conséquences
qu’elles impliquent.
La parole et les actes des citoyens auraient sans doute plus de poids, et
pas seulement en campagne électorale, s’il y avait davantage de lieux de
discussions. Dans une économie comme la nôtre, l’État devrait s’intéresser
à la dissymétrie d’informations (entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui
le subissent) et tenir compte de la multiplication des espaces de
délibération créés à même la société civile, comme les forums, les
conseils, les commissions et les comités. L’économie plurielle, c’est
logique, appelle une démocratie plurielle.
Par exemple, nous pourrions mettre sur pied, à l’instar des pays
européens, des jurys de citoyens, c’est-à-dire des groupes de personnes
sélectionnées au hasard pour représenter la population et faire des
recommandations concernant des enjeux d’avenir, comme l’usage de l’éolien,
les problèmes de pollutions (olfactive et sonore), la revitalisation des
quartiers, les garderies, etc. Cela est d’autant plus souhaitable que le
fonctionnement des jurys est simple : il s’agit de recruter des citoyens,
de les réunir, de mettre en œuvre les débats, y compris avec des experts,
et de faire des recommandations sur une question sociale. Ce modèle
pourrait peut-être aussi répondre au déficit de solidarité qui se creuse
entre les générations.
Mais nous devrions d’abord commencer par impliquer les citoyens dans les
lieux de décision qui affectent directement leurs intérêts comme les
entreprises et les partis politiques où l’on a le culte du chef trop
facile. Seule l’expérience qu’ils ont un réel pouvoir sur leur propre vie
peut motiver les citoyens à s’intéresser aux affaires publiques. Ce n’est
pas les élections aux trois mois qui assurent la vitalité démocratique,
mais le respect du citoyen. Les absurdités politiques actuelles, qui
relèvent de l’opportunisme et de l’égocentrisme des élus eux-mêmes, nuisent
à nos institutions. Voilà pourquoi des mesures simples, plus participatives,
pourraient redonner confiance en la démocratie, un régime politique fragile
qui exige, pour combattre le cynisme et l’indifférence, une plus grande
volonté de participation.
***
Dominic DESROCHES / Martin PROVENCHER
Les auteurs sont professeurs de philosophie aux Collèges Ahuntsic et
Rosemont
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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