Jean Martinez - En tant que simple citoyen ne l'ayant jamais connu personnellement, c'est avec une tristesse infinie que j'ai appris le décès du cinéaste et écrivain Pierre Falardeau. Il ne fait aucun doute que son esprit et son engagement nous manqueront. Car sur le fond de sa pensée politique, il m'apparaît évident que Monsieur Falardeau avait raison. Pour lui, le Québec, malgré le passage du temps, est resté prisonnier d'une structure politique néo-coloniale qui, plus subtilement, mais aussi, par conséquent, plus efficacement, maintient le peuple québécois sous la domination objective du peuple conquérant. Même si, aujourd'hui, le statut provincial du Québec lui donne l'illusion tranquille d'une quasi-souveraineté, il n'en reste pas moins fortement dépendant des valeurs et des décisions d'un État fédéral où il est et restera minoritaire.
Comment, en effet, une nation peut-elle déployer maximalement son identité et ses potentialités lorsqu'elle ne choisit pas celui qui la dirige (Stephen Harper, en ce moment)? Lorsqu'elle paie la moitié de ses taxes et impôts à ce gouvernement élu par d'autres? Lorsqu'elle ne nomme pas ses juges? Ou lorsqu'elle ne contrôle ni son armée, ni ses relations extérieures? Évidemment, ce système ne se maintiendrait pas facilement si, un jour, les Québécois francophones, surtout les fédéralistes qui se disent « nationalistes », refusaient, pour une fois, de culpabiliser, le « séparatisme » québécois et, dans un élan de rare solidarité, mettaient le ROC en demeure de respecter ses (trop) nombreuses promesses non tenues. Cette désolidarisation explique en grande partie l'affaiblissement du pouvoir de négociation du Québec face au ROC.
Le néo-colonialisme, c'est aussi cela : voir une partie de la population conquise, au nom d'un certain confort et de certains privilèges, collaborer avec l'État conquérant pour l'aider à préserver sa domination. Ici encore, Monsieur Falardeau voyait juste. Le discours dominant, celui des médias de masse participant bien souvent de cette entreprise néo-coloniale, contribue à véhiculer ces valeurs d'endormissement qui tournent invariablement autour des mêmes thèmes : la richesse économique et le confort matériel.
Tous reconnaissent qu'il vaut mieux être riche que pauvre, mais qui, après Pierre Falardeau, pourra librement s'efforcer de faire comprendre qu'être libre et digne, c'est aussi vivre dans le respect de sa propre identité? À ceux, finalement, qui affirmeront platement que Monsieur Falardeau se rendait trop souvent coupable de vulgarité et d'attaques ad hominem, je veux simplement dire ceci : les cibles de Pierre Falardeau n'étaient jamais les faibles et les démunis. Contre les puissances économiques, politiques et judiciaires qui, encore de nos jours, sont majoritairement du côté du statu quo, et peuvent, elles, se permettre de commettre leurs abus tranquillement tapies dans l'ombre, Monsieur Falardeau, lui, n'avait pour seules armes, que sa langue, son crayon et sa caméra. Ceux qui ont la légèreté de le condamner devraient profiter de sa mort pour faire un examen de conscience et se demander où serait le Québec s'il avait été uniquement dirigé par la longue suite de démissionnaires tranquilles qui ont été et sont encore les complices d'une grande et continuelle injustice : le refus d'accorder à notre nation le même statut politique que celui de la nation canadienne.
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