LETTRE À PIERRE FALARDEAU
Si tu as tant aimé ce pays, tu as sûrement pensé souvent à moi. Bien sûr, sans y mettre un nom, ni un visage mais tout de même tu as dû imaginer que quelque part en ville, il y avait une femme acharnée par le rêve de libération de son peuple. Tu as dû comprendre qu’il en existait aussi plein d’autres comme elle, des milliers d’hommes et de femmes partageant, soutenant tes idées, mais n’ayant ni la force, ni la rhétorique, ni la puissance de tes mots. Non plus que l’acharnement journalier de tes convictions. Tous ceux et celles-là taisaient trop souvent leur rêve, leur entêtement, leur impatience.
Toi, compréhensif et volontaire, pour le pays à créer, tu alimentais un grand feu. Mettre du bois, tu savais le faire. Tu n’avais crainte des cordes à venir, du chemin à traverser, de la charge à apporter. Tu n’avais pas peur de déranger les consciences. Sans sourciller, sans flancher, tu réveillais l’eau dormante. Les morts, les vivants, tu les bousculais. Peu importe le danger, la clameur, l’opposition. D’un pas ferme, tu allais vers l’accomplissement de ton destin. Nous à tes côtés, étions les gardiens de ce feu entretenu à coups de ferveur et de passion.
Oui, tu as dû penser à moi comme à bien d’autres. À ta famille indépendantiste, à ma nièce, à ces jeunes patriotes, à cette jeunesse montante, à cette majorité silencieuse pour laquelle tu luttais avec respect et fidélité. Tu savais bien au fond que ce peuple avait un nom, un corps, des yeux, un visage, une histoire. Tu l’appelais ton peuple dans chacun de tes écrits, dans chacune de tes paroles. Sans cesse, tu conviais sa conscience, son action, sa présence.
Tu ne te trompais pas de route tu sais. Nous sommes tous là encore aujourd’hui et même si tu n’es plus parmi nous pour parler en notre nom, eh bien cette parole nous la faisons nôtre plus que jamais. C’est à nous maintenant de mettre et remettre du bois dans l’âtre.
C’est étrange tout de même comment la mort agit sur les vivants. Elle trace des perspectives jusque-là méconnues, elle transcende la mémoire, elle fait surgir le meilleur, elle ouvre de nouvelles routes. Elle nous confirme surtout que tu n’auras pas vécu en vain, que ton œuvre si elle reste inachevée, a trouvé pour le pays d’autres passeurs. Ton fils entre autres, si tu avais vu combien il a su faire honneur à ton nom, tes idées, ta mémoire…comme toute ta famille d’ailleurs et tous tes proches.
Les Poulin, Picard, Drapeau etc… Si tu avais vu combien nous étions soudés l’un à l’autre le jour de tes funérailles! Nous refusions de quitter la place, de t’abandonner. Nous avions peur je crois de ne pas être à la hauteur de tes désirs. Nous visualisions ton sourire, ta fougue, ta verve. C’est encore aujourd’hui ce qui nous anime tous.
Ce pays qu’il nous reste à bâtir nous échappe encore, tu t’en doutes bien. Les mêmes embûches se bousculent à nos portes. Tu les as cernées mieux que quiconque. Toutefois, tes actions concrètes et ponctuelles ravivent notre passion. Notre souvenance de toi est ancrée en nous pour de bon. Tu as marqué ton peuple tu sais! Tu n’es plus là mais il nous reste tes œuvres : tes films, tes livres, tes entrevues…Tout cela comme un tremplin solide sur lequel nous appuyer les jours où nous manquerons d’ardeur et de confiance.
Voilà ce que je voulais t’exprimer aujourd’hui. C’est ma façon de te dire merci. Pour le feu, pour le bois, pour l’enracinement de tes convictions, pour la fermeté et la tendresse de ta vigile, merci Pierre, merci Falardeau.
France Bonneau
Lettre à Pierre Falardeau
Pierre Falardeau : 1946-2009
France Bonneau39 articles
France Bonneau est professeure de français auprès des adultes-immigrant-e-s . (MICC)
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