Le Québec est mûr pour une réforme en santé, mais il lui faudra aller encore bien plus loin que ne l'a fait le gouvernement Charest dans sa réponse au jugement Chaoulli, a estimé hier l'ancien ministre libéral Claude Castonguay. Ce dernier juge en effet très décevantes la loi 33 et sa nouvelle créature, la clinique affiliée spécialisée qui permettra le recours au privé pour le remplacement d'une hanche, d'un genou ou pour traiter une cataracte. Selon lui, loin d'avoir permis d'éclaircir les choses, cette loi a plutôt contribué à entretenir un flou qui est maintenant à l'origine de dérapages inacceptables.
En table éditoriale hier, le père de l'assurance maladie s'est désolé de voir qu'un an après le jugement Chaoulli, rien de concret n'a été proposé pour explorer le terrain sur lequel pourrait se développer le privé, encore moins pour le baliser. «Jusqu'à présent, il n'y a rien eu de fait pour encadrer ce genre de pratiques, rien de fait pour établir certains cadres, certaines limites, et ça donne aujourd'hui des dérapages qui m'apparaissent parfaitement malsains», a estimé celui qui aura pour mandat de présider un groupe de travail sur le financement de la santé pour le compte du gouvernement libéral.
Le concept de clinique affiliée lui-même ne mène nulle part, poursuit Claude Castonguay, qui craint qu'il ne serve plutôt à discréditer un éventuel apport du privé en santé. «Les procédures à suivre n'ont pratiquement pas de bon sens. Ce sont des systèmes de contrôle, point. Le patient devient un numéro que l'on suit pas à pas. Avant qu'il ne bouge, il faut aller à tel endroit, tel endroit, obtenir des autorisations... Ça m'apparaît être le produit des réflexions des fonctionnaires de la santé qui n'ont aucun rapport avec ce qui se passe sur le terrain.»
Loin de ces tâtonnements, le milieu de la santé réclame plutôt un vrai virage, croit Claude Castonguay qui plaide pour que Québec brise le monopole public. «Il y a des besoins qui ne sont pas comblés dans la population et, jusqu'à présent, ceux qui y ont apporté des réponses l'ont fait de manière anarchique. Il faut leur donner des balises claires qui vont favoriser la motivation et l'innovation.» Mais attention, le père de l'assurance maladie se défend bien de vouloir ainsi sonner le glas de notre système de santé. Au contraire, il veut lui redonner le souffle dont il a besoin pour continuer à répondre aux besoins de la population. «Je veux assurer la survie du système de santé, pas remettre en cause son avenir.»
Sa réflexion, on le voit, est déjà passablement avancée. Elle tient principalement dans un rapport qu'il cosigne ce mois-ci à l'enseigne du CIRANO, le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations, par ailleurs financé en partie par le Conseil du trésor. «Mon objectif, c'est de faire plus avec moins, de manière à ce qu'on se dote d'un système beaucoup plus performant. Je ne serais pas en mesure de donner des chiffres, de dire qu'on va pouvoir réduire les dépenses de 10 % ou de 15 %, d'autant que cela va prendre du temps. Mais je vise certainement un changement en profondeur.»
Pour y arriver, il s'est donné une cible: la gouvernance, «parce que c'est là qu'il y a le plus de gain à faire». Ainsi, M. Castonguay propose de changer les manières de dépenser en séparant les rôles d'acheteurs et de pourvoyeurs de soins en confiant cette première responsabilité à une régie remaniée de l'assurance maladie qui serait parfaitement indépendante du ministère. «En divisant les fonctions, on dépolitise le système et on le décentralise», explique-t-il, tout en convenant que l'idée risque de susciter de vives réactions. Des brèches importantes à la Loi canadienne sur la santé sont aussi à prévoir, puisque l'ancien président de la Banque Laurentienne défend l'abolition de la cloison entre le privé et le public de même que l'abolition de la prohibition à l'égard de l'assurance privée. Ainsi un médecin pourrait à la fois pratiquer dans les deux secteurs sans avoir à se désaffilier de la Régie de l'assurance maladie, comme c'est le cas présentement.
Ajoutez à cela l'introduction d'un ticket modérateur, dont M. Castonguay s'est fait l'ardent défenseur au cours des dernières années, et il y a là la recette parfaite d'un système à deux vitesses. Même si l'expression déplaît visiblement à l'ancien ministre libéral, il sait très bien qu'il aura fort à faire pour vendre ses idées aux Québécois et qu'il ne sert à rien de nier l'évidence. «Il va y avoir des murs, j'en suis conscient, [...] mais mon rôle, c'est avant tout de lancer un débat informé». Ce dernier s'attend d'ailleurs à recevoir une oreille attentive de la part de la population. «Vous savez, il y a encore quelques mois, on m'accusait de vouloir faire de l'argent avec la maladie, aujourd'hui, les gens me pressent pour savoir quand le gouvernement va prendre le virage.»
N'empêche que des voix se sont déjà élevées la semaine dernière pour remettre en cause le choix de l'ancien ministre à la tête d'un groupe de travail sur le financement de la santé, ces dernières n'hésitant pas à brandir le spectre de la médecine à deux vitesses. La Coalition Solidarité Santé a même promis que ses membres allaient ruer dans les brancards si Québec osait toucher à la loi sur la santé. Hier, Claude Castonguay s'est âprement défendu de vouloir créer de l'iniquité avec son plan. «Je vous l'assure, c'est écrit noir sur blanc dans notre rapport, l'équité verticale ET horizontale est respectée. Les études le démontrent, quand c'est encadré pour empêcher le "free for all", ça fonctionne. [...]. En fait, ça ajoute au volume de service, et tout le monde est gagnant.»
Il lui est cependant très difficile de dire à quoi ressemblerait concrètement un tel système s'il était mis en place au Québec. Beaucoup de travail reste en effet à faire pour chiffrer et réglementer les changements proposés. Son travail consistera donc à mettre la table pour que la population puisse faire ses choix. Il voit d'ailleurs un peu son mandat comme celui d'un pédagogue. Déjà, il convient toutefois que son ambitieuse réforme pourrait être diluée. «Bien sûr, ça n'est pas à prendre ou à laisser, sauf que moi, je suis convaincu de la valeur et du bien-fondé de ce qui est exposé dans ce rapport. Je vois toutefois ces propositions comme des pièces détachées. Par exemple, on pourrait très bien se contenter de s'attaquer à la gouvernance.»
Pour l'aider dans sa tâche deux autres experts seront sous peu nommés par Québec. Hier, Claude Castonguay n'a pas caché qu'il aimerait beaucoup travailler avec le péquiste Michel Clair, qui, à titre de président de la Commission sur le financement des services en santé, en 2000, «connaît bien les problèmes qui nous sont soumis». Du côté adéquiste, il aimerait bien s'associer à un jeune économiste. Chose certaine, il ne s'aventurera certainement pas dans la voie explorée par Jacques Ménard. «Le rapport Ménard ne s'adressait pas aux problèmes de la santé, ça ne m'étonne pas qu'il ait pris le chemin des oubliettes.» Claude Castonguay, lui, promet de s'en tenir aux besoins du milieu de la santé. Son rapport est attendu à l'automne.
Claude Castonguay au Devoir
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