Cette histoire débute en 1964. Les bombes du FLQ ont commencé d'éclater au Québec. Et, plus peut-être que le terrorisme, une révolution tranquille bat son plein, qui inquiète le reste du Canada. Pendant qu'à Ottawa un gouvernement alors conciliant promet des changements, à Montréal, réunies à l'hôtel Windsor, plus de 40 personnalités canadiennes conviennent qu'elles doivent aider à prévenir une crise.
Deux ans plus tard, un Comité Canada rend publique une Déclaration de Canadiens d'expression française et d'expression anglaise, signée par 60 personnalités connues. En 1968, ce comité ouvre un secrétariat. L'année d'après, il obtient d'Ottawa le statut fiscal d'organisme de charité. Ses lettres patentes en décrivent les objectifs: - Effectuer des recherches et des études afin d'amener les hommes et les femmes du pays «à mieux comprendre» le Canada, ses provinces, et ses institutions; - En diffuser les résultats et conclusions par la tenue d'assemblées publiques, par la publication de documents «et par divers moyens de communication».
Pendant une dizaine d'années, ce comité organise une Semaine du Canada pour laquelle il s'efforce de mobiliser gens d'affaires, mairies, clubs sociaux, écoles, église et même hôtels et restaurants. Des milliers d'affiches sont distribuées dans toutes les provinces.
Après l'élection d'un gouvernement du Parti québécois (PQ), le Comité Canada, devenu le Conseil pour l'unité canadienne (CUC), s'emploie à produire des «symposiums télévisés», puis des séries d'émissions sur la Constitution, diffusées avec le concours des principales stations de radio et chaînes de télévision du pays.
Le CUC publiera aussi maints livres, essais, bulletins d'information et revues. Quelques-unes de ces publications seront assez tôt hostiles à la séparation du Québec. Ainsi en 1970: Le Séparatisme? Non! 100 fois non!
Tout un programme d'échanges et de stages sera développé pour la jeunesse du pays. L'organisation réalisera aussi, au coût de trois millions de dollars, le Centre Terry-Fox, du nom de ce jeune handicapé devenu un héros national pour sa campagne contre le cancer.
Le CUC présentera une douzaine de mémoires sur la question linguistique au Québec et sur la réforme constitutionnelle au Canada. Il tiendra six colloques nationaux. Ses congrès annuels accueillent des personnalités de la politique, des affaires et des médias.
En 1977, devenu plus directement «politique», le CUC a pris l'initiative de regrouper dans un comité pro-Canada divers organismes et partis qui menèrent, selon sa propre expression, «à la victoire des tenants du 'Non' lors du référendum du Québec».
Ses activités continuent les années suivantes, alors que vont échouer les efforts du premier ministre Brian Mulroney pour régler le problème de l'unité nationale. Le retour du PQ au pouvoir à Québec et du Parti libéral à Ottawa annonce alors une nouvelle épreuve de force.
À l'approche du deuxième référendum québécois, le CUC s'abouche avec les libéraux provinciaux et fédéraux ainsi qu'avec le Parti conservateur. Il prépare une évaluation des forces souverainistes. Mais surtout, deux mois avant le référendum de 1995, ses dirigeants créent Option Canada, une entité qui échappera à l'attention des médias et à celle au Directeur des élections chargé de la consultation populaire.
Les objectifs inscrits aux lettres patentes d'Option Canada sont pourtant clairs. Sa mission est de faire «la promotion et l'avancement de l'unité nationale par tous les moyens, juridiques, politiques et autres». On est le 7 septembre.
Où sont passés les fonds?
Sept jours plus tard, Option Canada reçoit 1 million de dollars de Patrimoine Canada. Puis, peu après, le 2 octobre, une tranche de 2 millions. Enfin, un troisième versement, pour 1,8 million, le 20 décembre. On trouvera une trace de cette somme aux seuls comptes publics du gouvernement. Rien au rapport annuel des organisations bénéficiaires.
Le responsable des fonds d'Option Canada, René Lemaire, qui travaille aussi pour le CUC, refuse d'en rendre compte publiquement. Au journaliste de la Gazette, Claude Arpin, qui s'enquiert des opérations, il se borne à dire que les fonds proviennent de donateurs privés et de compagnies. La subvention du fédéral s'y est ajoutée, servant à payer les dernières factures.
Le CUC, explique-t-il, étant un organisme à caractère charitable, il fallait lui créer, pour sauver le Canada, un «bras politique». Au ministère du Patrimoine, passé sous l'autorité de Sheila Copps, on assure à Arpin qu'Option Canada a, d'après le dossier, respecté les conditions de la subvention.
Claude Dauphin, un ancien consultant du CUC, qui sert de président à Option Canada, nie que ces fonds aient servi à des opérations référendaires, bien qu'il prétende n'avoir rien su de leur gestion.
Le sénateur conservateur Claude Nolin et l'organisateur libéral John Rae disent, eux, n'avoir jamais entendu parler d'Option Canada. À leur connaissance, les règles du référendum ont été respectées.
Quand la Gazette révèle l'affaire, le 20 mars 1997, Copps déclare qu'Option Canada n'a rien dépensé durant la période proprement référendaire et que la subvention (4,8 M$) correspond à ce que le gouvernement de Jacques Parizeau a accordé au Conseil de la souveraineté du Québec. Une enquête du Directeur québécois des élections découvrira cependant qu'Option Canada avait d'abord demandé à Ottawa une subvention de 10 millions.
En janvier suivant, Arpin rapporte qu'une vérification interne a conclu que les employés de Patrimoine Canada n'avaient pas respecté la politique du ministère en accordant aussi vite une si importante subvention. On y déplore aussi qu'aucun rapport n'ait été exigé de l'organisme quant à ses sources de financement et aux résultats. Ni de confirmation que les fonds ont été dépensés aux fins déclarées. (Un haut fonctionnaire explique que les gens du CUC étant bien connus à Patrimoine Canada, on a fait confiance à Option Canada. Le CUC obtient, en effet, de ce ministère quelque 5 millions par an, soit la moitié environ de son budget.)
Puis le Vérificateur général, Denis Desautels, examine le dossier. Faute de documents, il devra clore son examen sans avoir tiré les choses au clair. Une employée de Patrimoine, Lyette Doré, nommée au rapport interne, passe entre-temps à l'Office national du film (ONF). Il ne s'agit pas d'une fonctionnaire subalterne. Elle a occupé de hauts postes au Conseil privé, au ministère de la Justice ainsi qu'au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).
Le Bloc québécois demande une enquête publique. Mais Mme Copps refuse. Elle soutient que le problème est d'ordre administratif et peut être corrigé en modifiant le système des subventions du ministère. L'affaire va ainsi quitter l'actualité politique. Mais les explications officielles n'ont pas satisfait les critiques.
Ainsi, la National Citizens's Coalition demandait à quelles fins la subvention avait été utilisée. Pour son président, un certain Stephen Harper, Patrimoine Canada a remis plus de 4,8 millions à Option Canada «sans avoir possiblement une idée de ce que le groupe entendait faire avec l'argent ou qui au juste allait le dépenser».
Sept ans après, on n'en sait guère plus, mais la question reste pertinente.
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.
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