Nicolas Sarkozy et Jean Charest : de bourde en bourde

Le problème posé par les choix du président de la République peut être expliqué par la perte de vitesse de l'indépendantisme québécois depuis l'échec (si controversé) du référendum de 1995 au Québec

France-Québec : fin du "ni-ni"?

NOTE - Je vous ai fait parvenir aujourd'hui un message dans lequel je vous expédiais un texte de Charles de Lauzun intitulé : "Nicolas Sarkozy: de bourde en bourde" , vous demandant de le reproduire sur le site de vigile.net. Il va de soi que je désirais que cet article du 8 mai 2008, paru, comme vous le mentionnait mon précédent envoi, le 8 mai 2008 , sur le site français http://www.respublicanova.fr/ , sous le nom dudit Charles de Lauzun, soit reproduit sur Vigile sous le nom de ce dernier( et non pas du mien), comme on le fait pour les divers articles du Devoir, de la Presse et de tous les autres. Il y a donc eu MÉPRISE!
Auriez-vous donc l'obligeance de la réparer en apportant les corrections nécessaires, notamment en publiant le présent envoi et en enlevant ce texte de la tribune des lecteurs sous mon nom et en reproduisant le texte de monsieur Charles de Lauzun à l'endroit approprié sous son nom à lui, non pas à sa demande, mais à la mienne.

J'aimerais que vous me confirmiez la réception de la présente et votre intention de faire les corrections nécessaires à ce propos le plus le rapidement possible.

Osant croire que vous apporterez votre collaboration à ce propos, puisque je ne désire pas passer pour ce que je ne suis pas, celui qui signe les textes des autres!

Bonne journée, monsieur Frappier.

Gaston Boivin
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par Charles de Lauzun
J'avais écrit il y a quelques mois quelque chose sur l'effet boomerang de la bourde québécoise de Ségolène Royal : j'avais alors souligné combien l'ancienne candidate à la présidentielle avait fini par devenir plus sympathique aux Québécois que Nicolas Sarkozy, malgré le piège dans lequel elle était tombée pendant la campagne présidentielle. Eh bien, force est de constater que Nicolas Sarkozy en rajoute une couche dans ses déclarations d'hier soir à l'occasion du 8 mai.
Commémoration pathétique des Québécois morts pour la libération de la France pendant la Seconde Guerre Mondiale
Evoquant les Canadiens morts au combat pour la libération de la France, pour faire plaisir au gouverneur général du Canada, Michaëlle Jean, en visite officielle, représentant de la reine Elisabeth II, il déclarait que les Français n'étaient pas intéressés par l'origine provinciale de ces Canadiens, et que le Québec "était une région du Canada" comme une autre.
On voit très bien comment certains esprits chagrins, qui croient que la politique, c'est "l'économie, rien que l'économie", peuvent trouver démesurée l'émotion provoquée par ces propos chez les Québécois. Pour ces gens-là, peu importe la nationalité, peu importent les liens de famille, la communauté de culture : la politique n'est qu'un arbitrage fade et sans saveur de rapports économiques. Laissons-les de côté : quand bien même ils sont au pouvoir aujourd'hui en France et au Québec, leur avenir est déjà scellé et l'histoire ne retiendra pas leur nom.
A l'inverse, qu'il serait maladroit, par nationalisme et exaltation déplacée de l'identité, de nier que des Canadiens britanniques sont morts pour la France pendant la Seconde Guerre Mondiale ! Mais cet éloge impliquait-il de nier la reconnaissance toute particulière qu'on pouvait avoir pour nos cousins québécois, qui, dans des conditions d'humiliation civique et culturelle toute particulière dans les années 1940, avaient cependant rejoint également les rangs de l'armée canadienne britannique pour libérer les Français ? Prenons les choses avec bon sens : quand on va se recueillir sur la tombe de personnes à qui l'on doit beaucoup, est-il suffisant de se présenter à l'entrée du cimetière, de saluer, puis de s'en retourner ? Ou au contraire, ne peut-on pas, avec autant d'habileté politique que de principes bien sentis, honorer personnellement, selon les émotions propres à chacune des cultures des personnes décédées, les hommes qui ont versé leur sang pour vous? C'est bien le propre de Nicolas Sarkozy d'avoir besoin, comme une vulgaire aguicheuse qui aurait besoin de séduire au mépris de ses convictions, de toujours hurler avec les loups : avec Gordon Brown, il est plus britannique que le premier ministre ; avec Angela Merkel, il est plus allemand que le chancelier ; avec Michaëlle Jean, il est plus canadien que la gouverneure !
De son côté, Jean Charest, le premier ministre québécois, du Parti Libéral, semblait lui répondre. Alors même qu'on lançait à La Rochelle les festivités du 400ème anniversaire de la fondation de la ville de Québec, qui marque le début de la Nouvelle France et de l'Amérique du Nord francophone, il se trouvait encore à Québec, laissant le soin à la gouverneure générale de le représenter à La Rochelle...Ce faisant, il animait à l'Assemblée nationale du Québec un débat en présence d'un représentant allemand sur la coopération économique avec la Bavière ! On lira partout sur la toile les critiques qui ont fusé : l'Action démocratique québécoise l'a traité de "cocu content" et le chef du parti québécois, Pauline Marois, a rappelé, très justement, que la fédération du Canada n'existe que depuis 125 ans, tandis que la fondation de Québec correspondait à un autre projet politique, celui de la Nouvelle France, depuis mis à mal par la conquête
britannique.
Y a-t-il eu bourde québécoise de Nicolas Sarkozy ?
On sait que Nicolas Sarkozy avait passé ses premières vacances de président à Wolfeborough, aux Etats-Unis, la ville créée en l'honneur du vainqueur de la bataille des plaines d'Abraham, qui avait mis fin au Canada français. Mais cette première bourde de son mandat concernant les Québécois semble dépassée par le caractère explicitement fédéraliste de ses déclarations récentes.
L'absence de réaction de la presse française à cette bourde de Nicolas Sarkozy est tout simplement consternante : elle ne prouve pas que les Français ne s'intéressent pas ou ne sont pas intéressés par la cause québécoise. Elle prouve la veulerie de certains milieux caviar de la capitale française, qui détiennent aujourd'hui les rênes du pouvoir, sans être forcément très représentatifs des passions françaises. En effet, il n'y a pas bourde en ce sens que Nicolas Sarkozy a fait plaisir au Canada fédéral, à Ottowa. Mais il y a bourde en ce sens que la bourde dont on attribuait la responsabilité à Ségolène Royal était appelée québécoise, comme si cette femme avait blessé la sensibilité québécoise (alors qu'elle n'avait jeté un froid qu'avec Ottawa, tradition française somme toute, depuis le général de Gaulle) : or, ici, Nicolas Sarkozy ose blesseR tous les Québécois qui attendent de la France qu'elle ne prenne pas partie pour le gouvernement
fédéral, toujours plus ou moins perçu au Québec comme douteux et une menace plus ou moins potentielle pour l'identité québécoise. La bourde de Ségolène Royal était donc canadienne, non québécoise. La bourde de Nicolas Sarkozy, qui parle du Québec comme d'une simple région, est en revanche bel et bien québécoise.
Or, laquelle rejeter ? Celle qui prend l'état géopolitique du monde comme un fait, une réalité à entretenir, où les puissants actuels sont les interlocuteurs à privilégier ? Ou alors s'agit-il d'entretenir avec innovation, audace et loyauté les relations qui sont tissées entre la France universaliste et tous les peuples à l'histoire douloureuse et aux destinées opprimées ? Si aujourd'hui le Québec, composé de descendants de Français, encore en quête d'une place à la hauteur de son histoire en Amérique du Nord et dans le monde, n'intéresse plus le gouvernement français, abandonnera-t-on l'Afrique demain, parce que ce n'est pas rentable sur le court terme ? Et tous les pays non rentables économiquement pour la France de M. Sarkozy ?
La difficile question de l'ingérence dans les affaires canadiennes
Le problème posé par les choix du président de la République peut être expliqué par la perte de vitesse de l'indépendantisme québécois depuis l'échec (si controversé) du référendum de 1995 au Québec.
Faut-il prendre position pour ou contre l'indépendance du Québec ? Précisément non dans le cas de M. Sarkozy. Quand on s'appelle Sarkozy, qu'on a soutenu dans son coeur l'invasion de l'Irak, qu'on soutient la manière dont les Etats-Unis ont prétendu résoudre la question afghane, qu'on déroule le tapis rouge pour Khadafi ou Tunis, etc. , on a le devoir de commencer à se taire et laisser faire les traditions diplomatiques plutôt que de se croire l'envergure d'un De Gaulle et de redéfinir en permanence la politique extérieure de la France. Il y a une forme de sagesse politique qui consiste parfois à attendre et voir, en écoutant les autres. Si rupture il y a ici, elle n'engage que M. Sarkozy : elle ne remettra pas en cause le travail sérieux et responsable du peuple français derrière le général de Gaulle, capable de donner leur indépendance aux colonies africaines et de dénoncer le scandale du Québec soumis. Depuis le "Vive le Québec libre !", la France a produit
des hommes d'Etat sensibles à la liberté du Québec, jusqu'à Ségolène Royal elle-même.
Le problème, c'est que le bonhomme touche à tout. Donc, à partir du moment où il prétend mener une politique internationale ambitieuse, qu'il s'engage en Afghanistan pour une guerre que les Etats-Unis ont commencée, et qui est perdue d'avance, bref, quand on est capable de s'engager pour les intérêts des autres, on a encore plus le devoir de s'engager un peu aussi pour le souverainisme québécois ! Sans compter qu'il est tout de même incroyable que la question des intérêts de la France à voir un Québec libre ne soit pas abordée par le gouvernement français actuel : pour une fois qu'on a des intérêts à défendre, pourquoi y renoncer ? Quel masochisme, quelle repentance se cachent encore derrière cette démission ?
Que fallait-il faire ?
Pourtant, il faut que le Québec trouve la voie de son identité propre. Ce qui n'empêche pas la France d'avoir le devoir de veiller au respect de la culture francophone partout où elle vit, et d'être d'autant plus reconnaissante pour les pays qui la défendent haut la main. Si demain la culture québécoise, définie par une certaine culture nord-américaine de la francophonie, venait à disparaître, il est évident et réaliste de penser que la francophonie ne résisterait pas à cet échec.
Précisons cependant quelques points pour éclairer ce débat :
comment expliquer que le premier ministre Jean Charest accumule les atteintes à la culture francophone du Québec sans être acculé à la démission ? Les scandales autour des rapports de l'Office Québécois de la Langue Française combinés à cette incroyable absence à La Rochelle devraient provoquer une crise au moins équivalente à celle qui agite la Belgique aujourd'hui ! C'est peut-être parce que les Québécois n'ont pas réussi à distinguer la révolution de velours, qui définit l'identité québécoise contemporaine, de sa récupération par les libéraux québécois. En effet, sur le plan politique, la révolution de velours correspond à l'affirmation d'une compétence des Québécois francophones sur le plan temporel : les Québécois, en secouant la domination de la religion catholique sur la société, ont alors voulu montrer qu'ils étaient capables de gérer leur pays sur le plan matériel. La révolution de velours a alors provoqué une flambée du
nationalisme québécois qui a amené l'organisation des deux référendums sur l'indépendance.
Mais on voit très bien comment l'échec du dernier référendum a pu amener les Québécois au libéralisme du PLQ, même s'il y avait solution de continuité : l'absence de perspective d'indépendance politique a fait que les Québécois ont eu tendance à se replier sur les seuls bénéfices matériels de la révolution de velours, plus facilement garantis par des politiciens désireux de se débarrasser de la complexité des débats culturels et politiques liés au souverainisme. Mais qu'on ne s'y méprenne pas : les Québécois qui se rallient à cette option n'ont pas d'avenir, tout simplement parce que la motivation secrète de cette orientation politique est l'échec de l'indépendance désirée par la révolution de velours et non l'affirmation positive d'un projet collectif de développement. Si les Québécois se résignent au fédéralisme façon Charest, ce sont le
provincialisme et la marginalisation qui les guettent. La conclusion est simple : la difficulté de l'espérance de la souveraineté ne signifie pas que l'espérance est vaine ; la légitimité de Charest ne sera jamais qu'une légimité de gestionnaire économique en attendant d'autres ambitions politiques. Penser que le Québec s'accomplit dans le PLQ, c'est prendre les Québécois pour des idiots et des Canadiens comme les autres.
En France, pourquoi y a-t-il désintérêt pour la question québécoise ? Que les Québécois ne croient pas le microcosme parisien journalistico-politique qui semble considérer que tout ce qui relève de l'identité est minoritaire ou dangereux. Ce qui fait l'indifférence politique, c'est l'absence de sensibilité des gouvernants, non le peuple ! Si la tête ne pense pas, en vain exigera-t-on que le corps bouge ! Mais ce groupe de gouvernants a une peur bleue de tout ce qui touche à l'identité. Or, qu'y a-t-il de nationaliste à affirmer l'amitié et la fraternité franco-québécoise devant la gouverneure générale du Canada, elle-même d'origine québécoise ? Quel risque majeur ? Quel enjeu à froisser les comportements souvent ambigus, parfois encore franchement méprisants du gouvernement fédéral canadien envers les francophones du Canada ? Par ailleurs, pourquoi ces célébrations du 400ème anniversaire de la fondation de Québec sont si peu médiatisées en France ?
Ici encore, quel risque politique, de quel nationalisme aurait-on pu accuser un Sarkozy si américanophile ? La vérité, c'est qu'en abandonnant la question québécoise, comme la question de la culture française et de la langue française, la France sarkoziste nous prépare au même provincialisme auquel Jean Charest veut réduire le Québec. Devant une telle destinée, évidemment acceptable par les seuls Français obsédés par la théorie de la "puissance moyenne", lesquels, soit dit en passant, sont les mêmes élites qui partent émigrer à Londres ou à Washington en quête de pouvoir, la seule action possible est d'affirmer le droit à l'identité culturelle, le droit à disposer de soi-même, le droit à la diversité des nations, ainsi que le devoir de se respecter soi-même. Que ces hommes quittent leurs pays s'ils ne l'aiment pas, mais qu'ils n'empêchent pas ces droits et devoirs inaliénables à devenir réalité !
La crise d'identité française et québécoise appelle une nouvelle fraternité francophone
Il faut changer de politique de part et d'autre : retrouver le sens de l'identité. Le sujet est vaste, et la priorité, c'est de déminer les congestions autour des notions d'identité. Au Québec comme en France, les populismes qui cherchent à promouvoir des nationalismes nauséabonds ne doivent pas amener l'ensemble du débat politique à renoncer à l'importance de la question de l'identité. Le fait que des Français aident des Québécois à défendre et à développer leur identité francophone ne doit pas non plus apparaître comme une marque de nationalisme : c'est au contraire la possibilité d'une diversité linguistique et culturelle qui doit être mise en avant, face au monde anglo-saxon.
Le modèle de l'Ecosse doit faire école : ce n'est pas à l'extérieur que l'Ecosse cherche la force de ses velléités indépendantistes, mais dans ses propres forces. Le Québec n'a pas fini de trouver sa propre voie, et ne doit pas chercher son indépendance dans le soutien de la France, même si la France a un devoir de défense de la culture francophone, qui passe aussi et tout particulièrement par le Québec. C'est une dynamique nationale qui doit aboutir à l'indépendance et non une dynamique artificielle soutenue d'abord par la politique étrangère de la France. Il y a encore aujourd'hui un je ne sais quoi au Québec qui manque encore d'affirmation claire de sa destinée. Mais attention : cela ne veut pas dire que la France n'ait pas à l'aider, ni que la France n'ait pas son mot à dire pour soutenir l'indépendance québécoise le jour venu, comme elle a soutenu autrefois l'indépendance des Etats-Unis d'Amérique contre l'Angleterre. La France doit se tenir prête : mais le Québec ne doit pas regarder vers la France comme vers un "Deus ex machina". Le "Je me souviens", qui est la devise du Québec, ne doit pas empêcher le Québec d'avancer : sur le plan pratique, les Québécois doivent se rappeler avec confiance le célèbre adage "Aide-toi, le ciel t'aidera".
Passer au niveau de la mondialisation. L'affirmation d'identités nationales semble aujourd'hui désuet. Pourtant, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'a pas disparu avec la décolonisation, ne serait-ce parce que cette décolonisation n'est pas terminée, - et le Québec est une des dernières colonies à décoloniser. Mais il est vrai que le Québec n'obtiendra pas son indépendance en jouant une carte régionaliste étriquée. En revanche, la crise de l'indépendance québécoise depuis 1995 montre, si besoin était, que la crise d'identité qui traverse la France rencontre des échos au Québec et partout dans le monde francophone, qui gémit partout dans le monde. La seule façon de surmonter les craintes de la réaffirmation nécessaire d'identités nationales est de les enraciner dans une affirmation résolue d'espaces plus larges de coopération, que la francophonie dessine et dont l'Europe donne l'exemple. De ce point de vue-là, au lieu de considérer stupidement ringardes les questions d'identités, les gouvernements québécois et français doivent penser à les affirmer en songeant dans la même foulée, avec les autres nations francophones, à resserrer leurs liens dans un confédéralisme plus sain que la politique de l'autruche aujourd'hui pratiquée.


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