Nairobi: Ottawa muselle le Québec

N'ayant pas obtenu 45 secondes de temps de parole, Béchard brave Ambrose

Kyoto


Québec -- Ottawa refuse que le Québec prenne la parole à la douzième conférence de l'ONU sur les changements climatiques, à Nairobi, au Kenya. La ministre fédérale de l'Environnement, Rona Ambrose, l'a confirmé hier, ajoutant toutefois qu'elle s'était entendue avec son homologue lundi pour que «le Canada parle d'une seule voix» à Nairobi. Le Québec est donc relégué à la diplomatie parallèle et aux corridors.
Déçu, le ministre québécois de l'Environnement, Claude Béchard, a reconnu hier qu'il n'avait pas réussi à obtenir de Mme Ambrose le temps de parole de 45 secondes qu'il avait réclamé (sur les trois minutes accordées au Canada lors des plénières). «Il ne semble pas y avoir, à ce moment-ci, beaucoup d'ouverture», a-t-il euphémisé, continuant à espérer que le contentieux se règle une fois là-bas: «On ne lâchera pas le morceau», a répété M. Béchard plusieurs fois. Le ministre québécois, qui s'envole pour l'Afrique samedi, a concédé que cette fin de non-recevoir n'est pas un exemple de fédéralisme d'ouverture, mais il a nuancé ses propos en disant que «tout modèle est à perfectionner». Mercredi, le premier ministre Jean Charest avait évoqué plusieurs précédents qui fondaient la prétention du Québec à un droit de parole. «Il semble effectivement que les précédents [...] ne seront pas pris en compte par le gouvernement fédéral actuel, ce qui est dommage», a noté M. Béchard hier.
Par ailleurs, le cabinet du ministre Béchard a nié qu'il y ait eu «entente» entre les deux ministres dès lundi pour présenter une position commune. «On s'était entendus sur une chose: qu'on recevrait la position canadienne. On ne l'a pas reçue, donc on parlera de notre propre voix», a déclaré hier l'attaché de presse de M. Béchard, Pascal D'Astous.
En entrevue à Radio-Canada hier, Mme Ambrose a toutefois affirmé qu'elle reconnaîtrait «publiquement la volonté» du Québec d'atteindre les cibles de Kyoto. Mais elle le fera en reconnaissant aussi «les efforts de toutes les provinces et des villes» pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.
Exclu des grands forums, M. Béchard se console en soulignant qu'il pourra prendre la parole à plusieurs autres endroits que la plénière, la semaine prochaine. À ses dires, l'événement, d'envergure planétaire, permettra au Québec d'avoir accès à «beaucoup, beaucoup de tribunes» et de corridors. «On va avoir autant de visibilité, sinon plus [...]. Parfois, on se fait plus entendre à l'extérieur de la salle qu'à l'intérieur», a-t-il soutenu. Dans le programme remis hier par M. D'Astous, on découvre que M. Béchard inaugurera deux activités parallèles à la conférence. Lundi, il présentera l'allocution d'ouverture du Climate Group, un groupe d'États fédérés et d'entreprises, et mercredi, celle d'un colloque du Centre de droit international sur le développement durable.
En fait, le Québec, à ses dires, sera tellement présent que la ministre fédérale finira par regretter d'avoir refusé de lui donner ne serait-ce qu'une petite place à la tribune: «Je n'aurai pas du ruban gommé sur la bouche, je peux vous en donner l'assurance. [...] Et je crois qu'à la fin de la semaine, Mme Ambrose dira que c'était une erreur de ne pas nous donner l'occasion de parler.» Mais en définitive, tout cela aura des conséquences heureuses. Car après cette difficile expérience (pour Ottawa), «dans les prochaines étapes, ou dans les prochaines semaines, ou dans d'autres dossiers, le gouvernement fédéral va préférer nous ouvrir les portes tout de suite plutôt que de nous entendre dans les corridors pendant cinq jours». M. Béchard estime qu'en tant que ministre d'un État, même non souverain, qui reconnaît Kyoto, il aura une position préférable à celle de son homologue puisque celle-ci n'a pas une «position claire». Elle n'a d'ailleurs pas fait parvenir le texte de son allocution à Québec hier, comme elle l'avait promis. «J'ai l'impression que je vais passer une meilleure semaine au Kenya que Mme Ambrose! [...] Moi, je ne me contredis pas.»
M. Béchard croit que la présence du Québec, qui s'est donné un plan de lutte contre les changements climatiques et une politique énergétique qui sont en phase avec Kyoto, a un effet sur le gouvernement Harper: celui-ci serait «nerveux» à l'idée qu'une province le contredise et prouve qu'elle est en mesure d'atteindre les objectifs du protocole. S'il avait été à la place du fédéral, M. Béchard soutient qu'il aurait préféré que le Québec «vienne dire ça sur [son] temps de parole [plutôt] que de devoir subir Béchard dans les corridors pendant cinq jours», a déclaré le ministre avec sa faconde habituelle.
Le critique du Parti québécois en matière d'environnement, Stéphane Bergeron, n'est pas impressionné par les «bravades» de son vis-à-vis. Selon lui, M. Béchard a su dès lundi de la bouche même de la ministre Ambrose que le fédéral rejetait toute prise de parole du Québec lors de la plénière. Mais il a «joué la comédie» devant les médias, prétendant qu'il continuait de négocier et «ne lâchait pas le morceau».


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