L'art de se tirer dans le pied

Par Daniel Normandin

Kyoto


Le Protocole de Kyoto, ratifié par 162 pays, y compris 35 pays développés dont le Canada, est entré en vigueur le 16 février 2005. Dans la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, des objectifs quantifiés ont été fixés pour la plupart des pays les plus industrialisés, les engageant à réduire le niveau de leurs émissions de gaz à effet de serre de 5% par rapport à leur niveau de 1990 et ce, pour la période de 2008-2012.
Dans un discours enregistré le 6 novembre dernier à l'intention des délégués de 180 pays présents lors de la première semaine de la Conférence Onusienne sur les changements climatiques tenue à Naïrobi, Kenya, la ministre de l'Environnement Rona Ambrose posait candidement les deux questions suivantes : «De quelle façon pouvons-nous accroître nos efforts et collaborer plus efficacement? Plus important encore, devons-nous nous demander : comment pouvons-nous trouver une solution mondiale réellement efficace à la menace des changements climatiques?» (Vous pouvez retrouver ce discours sur le site internet de son ministère)
Il est inconcevable pour une ministre de l'Environnement d'un pays développé comme le Canada de remettre en cause d'une part, la stratégie adoptée par la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques pour endiguer la crise mondiale du réchauffement de la planète et d'autre part, de rejeter du revers de la main les objectifs à moyen terme qui font consensus auprès des pays signataires du Protocole.
Que se cache-t-il derrière cette volte-face du gouvernement Harper? La décision de se soustraire à nos engagements envers le Protocole de Kyoto en évoquant notre incapacité d'atteindre les objectifs fixés doit être dénoncée avec véhémence. La majorité des pays membres des Nations Unies et signataires du Protocole ne peuvent être considérés comme hérétiques et inconscients de l'ampleur de la crise qui nous guette et le Canada, qui rame à contre-courant, possédant la solution bien en main avec son projet de loi sur la qualité de l'air. Encore une fois, le gouvernement Harper fait sur sur-place en essayant de faire croire aux Canadiens qu'il agit avec responsabilité dans un dossier qui, décidément, lui est incompris.
Mercredi le 15 novembre, lors de son adresse devant ces mêmes délégués réunis à Naïrobi, la ministre Ambrose a déclaré le plus sérieusement du monde que le Protocole de Kyoto servait à diviser le pays tout en ignorant la délégation du Québec. Elle s'est employée à casser du sucre sur le dos du gouvernement précédent - signataire du Protocole - et du même souffle a vanté le réalisme (sic) de son projet de loi sur la qualité de l'air qui, selon elle, permettra d'ici 2050 une réduction absolue des émissions de gaz à effet de serre entre 45% et 65% par rapport à 2003!
La raison d'être du projet de loi sur la qualité de l'air parrainé par la ministre Ambrose continue de faire des vagues à travers tout le pays, spécialement dans les milieux scientifiques et universitaires ainsi que chez les ONGs. Les «lobbies» de l'industrie énergétique canadienne ainsi que ceux appartenant aux exploitants de nos richesses naturelles cantonnés spécifiquement en Alberta et dans le Grand Nord canadien ne sont pas inquiets : le gouvernement Harper veille au grain et rien ne sera fait pour déranger leur quiétude! De plus, à ma connaissance, jamais un représentant officiel d'un gouvernement canadien (surtout pas au niveau ministériel) n'a osé jouer la carte de la partisanerie politique domestique sur une tribune internationale pour justifier sa décision de changer de cap ainsi que de répudier une Convention internationale sur les changements climatiques endossée par 162 pays membres des Nations Unies. Avec cette attitude irresponsable, il ne faut pas s'étonner de retrouver le Canada au 51e rang sur 56 pays parties signataires du Traité des Nations Unies de 1992 sur les changements climatiques. (données recueillies auprès de Germanwatch et rendues publiques à Naïrobi)
Présentement, selon le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), «le réchauffement de la planète s'accompagne d'un amincissement et d'un retrait de la glace de mer dans l'Arctique, de la fonte des neiges dans les Alpes et sur le Kilimandjaro, d'une intensification des orages, ouragans, typhons, de variations climatiques et d'une augmentation de l'incidence de la fièvre de dengue et du paludisme dans les pays en développement.»
Lorsque le Premier ministre Harper refuse obstinément de reconnaître l'urgence d'agir afin de contrer le réchauffement de la planète, il fait preuve d'irresponsabilité outrancière. L'arrogance avec laquelle lui et sa ministre de l'Environnement luttent contre vents et marées afin de modifier l'agenda de la Commission du développement durable des Nations Unies est indigne de nos valeurs éthiques canadiennes. La façon que le Canada et la communauté internationale de mobiliseront dans ce combat contre la montre, déterminera notre sécurité environnementale pour les générations futures.
Kofi Annan, l'actuel Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies déclarait en février dernier que «la communauté scientifique s'accorde de manière générale à considérer que sans changement d'orientation majeur dans les prochaines années, notre avenir sera plein de dangers.»
Par ailleurs au Canada, un large éventail de chercheurs provenant de la communauté scientifique et universitaire ainsi que d'ONGs se disent très inquiets des répercussions à long terme de la volte-face du gouvernement Harper sur les engagements du Canada envers le Protocole de Kyoto. Et qui plus est, certains commencent à associer notre pays à une quelconque «bande des Trois» (Australie-Canada-USA) qui rejette l'ensemble des prémisses de base dudit Protocole.
L'Organisation mondiale de la santé affirmait dans un communiqué alarmant ces derniers mois que «la pollution atmosphérique réduit la durée de vie d'environ deux ans.»
Madame la ministre, le défi est de taille. Voyez par vous-même : vous nous proposez 2050 comme échéancier réducteur alors que selon l'OMS, le constat est lapidaire. Il est grandement temps que vous et votre gouvernement agissiez avec transparence et disiez la Vérité aux Canadiens : vous êtes incapables de prendre vos responsabilités en matière environnementale et vous repousser à demain les échéanciers.
Finalement, une commission d'enquête britannique créée en juillet 2005 - Commission Stern sur les implications économiques des changements climatiques - remettait son rapport au Premier ministre Blair en octobre dernier. Dans ce volumineux rapport, nous pouvons constater que Lord Stern et ses collaborateurs n'ont pas été frileux quant à leurs conclusions. Entre autres : 1. Il est encore temps d'éviter les pires impacts des changements climatiques si nous prenons des actions fermes immédiatement; 2. les changements climatiques peuvent avoir de sérieux impacts sur notre croissance économique et notre développement; 3. Le coût de stabilisation du climat sera important mais raisonnable; 4. l'action sur les changements climatiques doit être universelle; 5. un éventail d'options s'offrent à nos élus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre regroupées autour de politiques soutenues et mûrement réfléchies; 6. les changements climatiques exigent une réponse internationale basée sur des objectifs communs à long terme ainsi qu'une entente globale sur les actions à entreprendre.
En conclusion, le gouvernement Harper nous aura démontré une fois de plus sa rigidité idéologique dans sa lecture des problèmes sociaux et environnementaux qui nous préoccupent. Je ne crois pas qu'il soit possible à court terme qu'il adopte un nouveau cadre d'analyse. Et lorsque la ministre Rona Ambrose déclare publiquement à Naïrobi que «le Protocole de Kyoto est utilisé afin de diviser les Canadiens», j'ajouterais qu'elle et son gouvernement sont entièrement responsables et qu'ils risquent l'isolement et le ridicule s'ils persistent. La ligne est tirée et il ne serait pas surprenant que les Canadiens se souviennent de cet épisode malheureux aux prochaines élections...
Daniel Normandin
L'auteur est chercheur en éthique et gouvernance.


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