Liège en danger resserre les rangs

Chronique de José Fontaine

Le patron d'ArcelorMittal vient de décider de fermer les usines de la sidérurgie à froid de Marchin, Flémalle, Ivoz-Ramet Ougrée, Tilleur, Chertal, ces villages dans la banlieue de Liège dont les noms ne sont pas inconnus au moins en Wallonie, car tous, d'une manière ou d'une autre, ont symbolisé sa puissance industrielle.
Les raisons de cette décision brutale

Toutes ces usines demeurent rentables mais pas assez. D'origine indienne et vivant à Londres Lakshmi Mittal est le plus grand sidérurgiste mondial possédant des usines en Asie, Europe et Amérique du Nord. Sa décision est due aux difficultés que rencontre le groupe qu'il dirige. Ce groupe est très fortement endetté et même sur le qui-vive au point que la décision qu'il a prise cette semaine et qui jette sur le pavé près de 1500 travailleurs semble aussi être le comportement d'un homme aux abois. On le sait, la demande d'acier a fortement diminué dans le monde à cause de la crise. L'ennui, c'est que, en cas de reprise, l'Europe toute entière se trouvera, lors de la reprise économique qui s'annonce à moyen terme, en sous-capacité de 40 millions de tonnes, déclarait un syndicaliste de Florange (en France, dans la région de Lorraine), hier à la RTBF. Le problème d'une Europe qui se désindustrialise, c'est aussi le fait de capitaines d'industries qui ont adopté le profil de financiers. Pour eux, seule la rentabilité immédiate compte et ils agissent à des milliers de km parfois des entreprises qu'ils rachètent ou qu'ils ferment. C'est ce qu' estimait hier dans Face à l'Info, à la RTBF, un collaborateur du journal économique et financier L'Echo.
Les premières réactions dans la presse

Ce qui est typique d'un certain état d'esprit européen, c'est que la plupart des journaux wallons et bruxellois titraient vendredi matin sur l'impuissance du politique. Or, depuis longtemps, les syndicalistes liégeois et notamment José Verdin raisonnent autrement. Sous la pression syndicale, le gouvernement wallon, après un rapport d'expertise négatif de Laplace Conseil en avait commandé un autre au bureau parisien Syndex. Celui-ci concluait à la rentabilité de la sidérurgie à Liège. Les syndicats ont demandé aussi que la sidérurgie soit régionalisée (=nationalisée dans une Wallonie qui n'arrive toujours pas à désigner les choses par leur nom). Mais Mittal à l'automne dernier n'était pas revendeur de ses outils. Cependant, maintenant qu'il les ferme, il devrait s'il en reste propriétaire, comme la loi l'y contraint, dépolluer les sites abandonnés, ce qui lui coûterait selon certaines estimations, un milliard d'€ soit pas si loin que cela du dixième de sa dette qui est de 22 milliards de dollars. Il pourrait ne pas refuser une offre qui lui permettrait d'éviter de s'endetter plus lourdement encore. Mais on peut se poser aussi la question de savoir s'il a intérêt à ce que persiste à Liège une concurrence pour ses usines.
Agir avec la France
Comme l'usine sidérurgique de Florange menace aussi d'être fermée à cause de Mittal, José Verdin souhaite selon Le Soir que soit recherché un repreneur «qui aura pour souci d'ancrer à Liège une activité significative et durable» (avec réouverture d'au moins un haut fourneau parmi ceux qu'a fermés Mittal, mais qui peuvent être réactivés). Ce conseiller de la FGTB liégeoise évoque aussi le fait qu'en France, un consortium s'est montré intéressé (expliquait Le Soir), par la reprise du site. De ce point de vue Liège a des atouts. Et hier on annonçait que le Gouvernement wallon engageait un consultant pour poursuivre la recherche du meilleur repreneur, le ministre wallon de l'économie, Jean-Claude Marcourt ayant déjà pris officiellement contact avec son collège français Arnaud Montebourg. Il est vrai qu'il existe partout en Europe, expliquait hier dans Face à l'info, Michel Grétry, responsable de la rédaction liégeoise de la RTBF, des sidérurgistes indépendants dont la logique industrielle est plus classique et moins financiarisée.
Le Professeur Didier Van Caillie de l'université de Liège, interrogé par La Libre Belgique évoquait plusieurs autre hypothèses comme un repreneur venant d'un secteur connexe comme l'entreprise CMI, entreprise liégeoise qui s'est détachée il y a quelques années d'ArcelorMittal et qui s'est spécialisée dans des secteurs de pointe liés à la tradition liégeoise de l'acier.
Une résignation à mettre en cause
Il règne dans une partie de la population liégeoise une trop grande résignation par rapport à ces événements. Il existe aussi toujours une sorte de nostalgie à répétitions. On évoque toujours le passé florissant de Liège en matière sidérurgique. Pourtant à partir de la fin des années 70 jusqu'au milieu des années 1980 (il y a donc trente années ce qui n'est pas rien), la vie de la sidérurgie wallonne et liégeoise était déjà mise en danger, il est vrai, alors, dans un contexte de syndicats beaucoup plus puissants, étant donné les masses ouvrières encore employées dans l' Usine wallonne. Or Liège est sortie de cette crise la tête haute et c'est parce que sa sidérurgie était florissant que le groupe français Arcelor l'a rachetée au Gouvernement wallon qui l'avait «portée» un certain temps. Mais cette manière de voir est aussi une façon d'oublier que la sidérurgie a toujours été en difficultés comme durant la Grande guerre pour ne pas remonter aux années mille-huit-cent-trente avec les difficultés de John Cockerill dont certains historiens pensent qu'il se serait suicidé à cause de ces difficultés.
Gouvernement wallon et gouvernement fédéral

Hier, sur tout cela, sur la réponse du politique, la RTBF-télé a choisi de n'interroger que le politique le plus médiatique, le Premier ministre fédéral Elio Di Rupo. Alors que l'Etat fédéral n'est plus compétent dans cette question. Certes, Elio Di Rupo a rencontré Mittal à Davos et lui a exprimé son mécontentement. Certes, une réunion conjointe du gouvernement fédéral, du gouvernement wallon en présence des syndicats a eu lieu hier matin. Mais pourquoi laisse-t-on entendre ainsi que le Premier ministre fédéral serait en quelque mesure le dernier recours politique? Alors qu'il ne l'est pas? J'ai déjà plusieurs fois expliqué ici pourquoi. D'abord, tout Premier ministre fédéral qu'il soit, Elio Di Rupo est un Wallon. Il est toujours le Président du Parti socialiste en titre, il demeure celui qui a désigné les ministres socialistes du gouvernement wallon et il tente d'apparaître comme le sauveur tous azimuts de la Belgique unie (la Wallonie devant se relever surtout pour la sauver), en vue des prochaines élections. Premier ministre fédéral, bourgmestre de Mons, il est en somme encore quelqu'un qui pourrait être considéré comme le Président wallon en dernier recours.
Ce n'est pas sain, car il n'exerce en réalité pas ces responsablités-là (il les a déléguées à d'autres et, ici, il le leur fait sentir). Et ce n'est pas lui qui sera jugé (ou qui ne devrait pas l'être), sur l'état de la Wallonie lors des élections régionales de 2014. Ce n'est certes pas mauvais que les différents pouvoirs publics, même dans un Etat fédéral, se déclarent d'accord et actifs pour résoudre une crise. Le Président flamand a d'ailleurs manifesté lui aussi sa solidarité. Mais Le Soir publiait un schéma représentant la réunion de crise réunissant gouvernement wallon et gouvernement fédéral. Di Rupo y trônait à la Présidence avec à sa droite quatre ministre régionaux wallons (dont le principal responsable Jean-Claude Marcourt), et, à sa gauche six ministres fédéraux, dont trois Flamands, un Wallon et deux ex-liégeois (Reynders et Onkelinx), qui ont choisi de quitter Liège pour Bruxelles. En face d'eux, cinq syndicalistes chrétiens et cinq syndicalistes socialistes.
C'est très bien mais les historiens ont déjà montré que les difficultés économiques de la Wallonie ont été en grande partie provoquées par une société à portefeuille, la Société générale (aujourd'hui disparue et fondée avant même la naissance de l'Etat belge) qui se rendit peu à peu propriétaire des joyaux de l'économie wallonne et les géra à distance, depuis Bruxelles, capitale financière de l'Etat unitaire belge. Et les géra, elle aussi, dans une optique avant tout financière, insoucieuse du long terme.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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