Lettre à Mathieu B-C

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L'espoir envers et contre tout





Votre chronique de mercredi dernier, «La tentation de la mort», m’a attristée. Vous citez un essayiste qui en 1972 exprimait cette impuissance des Québécois à sortir de leur esprit de survivance.


Certes, notre situation de minoritaire en Amérique du Nord est démographiquement irréversible. Et je suis la première à dénoncer l’indifférence des générations suivantes devant la détérioration de la qualité du français parlé et écrit, une preuve de l’échec du système scolaire.


Mais la loi 101 n’est pas moribonde, elle est d’abord malmenée par les Québécois qui l’insultent dès qu’ils ouvrent la bouche. Par ses intellectuels, ses artistes, ses journalistes obnubilés par la mondialisation culturelle, c’est-à-dire la mise en échec du sentiment d’appartenance collective.


Vous êtes trop jeune et trop intelligent pour pratiquer un aveuglement mortifère. N’oubliez pas la phrase attribuée à Talleyrand, «Tout ce qui est excessif est insignifiant». Et celle de l’écrivain Edouardo Manet, «L’excès engendre un sentiment d’ennui».


Modération


Votre impatience, cher Mathieu, et votre ennui ne sont pas québécois. Nos ancêtres se sont terrés et ont fait face à l’adversité, en l’occurrence le conquérant anglais. Cette période fut une leçon de vie pour tous. La lucidité et – que cela vous plaise ou non – la modération nous ont permis de nous émanciper. De vaincre la mort culturelle grâce à la créativité qui nous singularise.


Contrairement à ce que vous écrivez, dans la douleur, je suppose, les Québécois ne sont pas fatigués d’exister. Car cela supposerait que l’indépendance du Québec est l’unique voie pour perdurer collectivement.


Tous ceux qui, avant vous, ont rêvé d’un pays n’ont pas cicatrisé leur blessure doublement à vif des deux échecs référendaires. Avec l’âge, cher Mathieu, nous apprenons à nous incliner devant la volonté populaire. Nous ne sommes plus une société à pensée unique selon laquelle hors de l’Église il n’y a pas de salut. C’est de cette tentation qu’il faut faire le deuil.


Confiance


Que les Québécois souhaitent apprendre l’anglais, c’est légitime. Mais que cela se fasse dans le système français déficient à ce jour. Il est là le problème. Cela ne fera pas disparaître la loi 101. Il y a danger que le français disparaisse si ses assises ne sont pas assurées, c’est vrai. Mais malgré toutes mes inquiétudes, tous mes constats d’échec, je sais que nous ne sommes pas à l’article de la mort.


Croyez en mon expérience, cher Mathieu, c’est ennuyeux de répéter toujours la même chose, de se rendre compte des reculs collectifs en matière linguistique. Que ferez-vous dans trente ans si cet ennui que vous exprimez par vos propos excessifs et caricaturaux vous hante toujours ?


L’espoir ne survit pas longtemps au ressentiment. Vous n’avez ni l’âge ni le talent pour ce type d’état d’esprit qui risque de vous enfoncer dans le cynisme.


Le nationalisme québécois se nourrit à la fierté, à l’ouverture aux autres, au dépassement et à la joie de vivre. Les coups de cafard comme votre chronique récente ne ressemblent pas au précieux bagarreur d’idées que vous êtes.




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