Les députés libéraux qui se préparaient à aller souper en ont été quittes pour une belle frousse mercredi. Depuis plusieurs jours, le budget que Monique Jérôme-Forget s'apprêtait à présenter monopolisait toute l'attention. Plus personne ne se préoccupait du débat sur le discours inaugural. Et pourtant...
À 16h55, le vice-président de l'Assemblée nationale a annoncé qu'une motion de censure présentée par «le deuxième groupe d'opposition», c'est-à-dire le PQ, serait mise aux voix. Cette motion blâmait à l'avance le gouvernement Charest pour les baisses d'impôt qui allaient être annoncées le lendemain.
Branle-bas de combat. Seulement cinq députés étaient présents au Salon bleu. Même les vétérans, qui n'avaient jamais vécu l'expérience d'un gouvernement minoritaire, s'interrogeaient sur la portée d'une telle motion. Pouvait-elle provoquer la chute du gouvernement?
Le vote a finalement eu lieu à 17h12. Contre la motion: 42 libéraux. Pour: 29 péquistes et... un adéquiste. Oui, un seul député adéquiste, le leader parlementaire, Sébastien Proulx. Où étaient passés les 40 autres? Mystère.
Un peu plus de 24 heures plus tard, on avait l'impression d'avoir assisté à une répétition du drame qui pourrait se jouer le 1er juin prochain, quand l'Assemblée nationale sera appelée à voter sur le vrai budget.
Il n'y a pas eu de grande surprise hier quand Gilles Taillon a annoncé que l'ADQ voterait contre le budget, peu importe les conséquences. Il n'a cependant pas dit combien de députés seraient présents.
Jusqu'à présent, tout le monde semblait tenir pour acquis que le PQ appuierait le budget ou, au pire, s'abstiendrait de voter. Hier soir, coup de théâtre. Finalement, il votera contre. À moins que les députés adéquistes ne laissent encore une fois M. Proulx tout seul, le Québec risque d'être précipité dans une nouvelle campagne électorale dans moins de dix jours.
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Dans sa facture aussi bien que dans ses principes, le budget porte indéniablement la signature de Mme Jérôme-Forget. Dans son entourage, on ne cachait cependant pas avoir également cherché à piéger l'ADQ. D'une bonne humeur extrême, la ministre des Finances répétait à qui voulait l'entendre combien elle était fière d'elle-même.
Sauf en ce qui concerne les baisses d'impôt, presque toutes les mesures annoncées se voulaient inspirées de la plate-forme adéquiste, qu'il s'agisse des règles comptables, de la modernisation de l'État ou du domaine de la santé.
Mme Jérôme-Forget a même poussé l'amabilité jusqu'à faire volte-face en ce qui a trait à la révision des règles comptables. Jusqu'à présent, elle trouvait que l'intégration des hôpitaux et des commissions scolaires dans le périmètre comptable du gouvernement risquait de déresponsabiliser leurs administrateurs.
La politique crée parfois des situations ironiques. Gilles Taillon, ancien président du Conseil du patronat, s'est présenté devant la presse flanqué de l'ancienne vice-présidente du CPQ, Diane Bellemare, elle aussi recyclée à l'ADQ, pour démolir un budget que son successeur au CPQ, Michel Kelly-Gagnon, venait tout juste de qualifier d'excellent. Ce qui démontre qu'on peut changer d'opinion non seulement comme on change de chemise mais aussi comme on change de chapeau.
Même la nomination de Claude Castonguay, que Mario Dumont a toujours porté aux nues, à la présidence d'un nouveau comité d'étude du financement des services de santé n'a pas réussi à enthousiasmer M. Taillon, décidément d'humeur maussade.
Pourtant, à la fin du discours de Mme Jérôme-Forget, bien des députés adéquistes ont dû se mordre les doigts pour ne pas applaudir. Pour eux, voter contre ce budget serait vraiment contre nature.
Remarquez, Mario Dumont saurait certainement leur expliquer que la contradiction est un concept très relatif en politique. Le problème, c'est que le chef de l'ADQ doit être le premier à savoir que son parti n'est pas encore prêt à gouverner, même si certains de ses députés démontrent de belles aptitudes depuis le début de la session.
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Les reproches que François Legault a adressés au budget sont nettement plus compatibles avec la philosophie social-démocrate du PQ, même revue et corrigée par Pauline Marois. Mme Jérôme-Forget n'a vraiment pas fait un gros effort pour lui donner bonne conscience.
Il est vrai que l'arrivée de Mme Marois a sorti les péquistes de leur déprime, et il est toujours possible d'emprunter pour financer une campagne électorale, mais les stratèges libéraux étaient convaincus que cela viendrait trop vite au goût de la future chef du PQ. D'ailleurs, ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux? Cela ne lui a pas trop mal réussi depuis deux semaines. Et les derniers sondages sont aussi encourageants pour le PQ qu'ils sont inquiétants pour le PLQ.
Les stratèges libéraux n'avaient pas exclu cette possibilité que le gouvernement soit renversé. Ils estimaient que le budget leur ferait un bon tremplin pour lancer une campagne électorale. Dans leur esprit, l'adversaire principal demeure l'ADQ, et Mme Jérôme-Forget a tout fait pour plaire aux électeurs adéquistes.
Il reste encore une semaine pour trouver une façon de permettre à tout le monde de sauver la face, mais Mme Jérôme-Forget a formellement exclu d'amender son budget. Même si Jean Charest lui demandait de le faire, elle a déjà démontré qu'elle était parfaitement capable de lui dire non.
Bien sûr, il est toujours possible pour le PQ ou pour l'ADQ de «marcher sur la peinture» afin de se décoincer, mais il y a des limites à voter en faveur d'un budget qu'on a dénoncé sur tous les tons. Une partie de bluff comporte toujours certains risques. On a déjà vu des guerres être déclenchées parce que personne ne voulait reculer. Alors, pourquoi pas des élections?
mdavid@ledevoir.com
Les risques du bluff
(...) il y a des limites à voter en faveur d'un budget qu'on a dénoncé sur tous les tons.
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