Les Québécois choisiront leur premier ministre, disent Boisclair et Charest.

Après hésitation, Dumont adopte leur position.

Québec 2007 - le facteur «Canada»

Antoine Robitaille, Kathleen Lévesque, Robert Dutrisac - Dans un rare moment d'entente, les chefs libéral et péquiste, Jean Charest et André Boisclair, ont fait savoir au premier ministre Stephen Harper hier que ce sont les Québécois qui choisiront leur premier ministre, lundi, et non Ottawa. Le chef adéquiste Mario Dumont s'est pour sa part montré hésitant, interprétant en matinée les déclarations de mardi de M. Harper comme un signe du «fédéralisme d'ouverture» pour se raviser en après-midi en adoptant la position de MM. Charest et Boisclair.
Ces dénonciations ont eu un effet à Ottawa, où le lieutenant conservateur québécois, Lawrence Cannon, a, pendant la période de questions, cherché à nuancer les propos de M. Harper, absent de la Chambre hier. «Je tiens à rassurer mon collègue que, de ce côté-ci de la Chambre, il est bien évident que nous allons respecter le choix des Québécois, lundi soir prochain», a déclaré le ministre des Transports lors de la période de questions. Peu de temps auparavant, M. Cannon avait affirmé que le gouvernement fédéral allait continuer à réformer le fédéralisme «de façon à ce que le Québec, encore une fois, puisse être renforcé à l'intérieur d'un Canada fort et uni». Mardi, Stephen Harper avait affirmé qu'il ne négocierait des limites au pouvoir de dépenser d'Ottawa qu'avec un gouvernement québécois fédéraliste.
Les souverainistes ont interprété ce changement de ton comme un recul de la part d'Ottawa. Hier soir à Rouyn-Noranda, André Boisclair a parlé de «victoire sur Harper». «Avez-vous vu? Harper recule!», a déclaré M. Boisclair avec un sourire satisfait, un peu avant 17h, aux journalistes qui l'accompagnaient à bord de l'avion de la compagnie Nolinor qui venait de décoller en direction de Rouyn-Noranda. Plus tôt, le chef bloquiste Gilles Duceppe avait dit que les conservateurs n'avaient pas le choix de reculer après avoir été dénoncés par tous les chefs politiques québécois.
Charest émotif
En effet, Jean Charest a réagi en deux temps hier avec un crescendo passionné pour défendre «bec et ongles» l'autonomie du Québec. Il a d'abord levé le ton sans toutefois condamner le premier ministre Harper. «Ce n'est pas à quelqu'un de l'extérieur du Québec, même si c'est le premier ministre du Canada, de décider avec qui il négocie», a déclaré hier M. Charest, qui faisait campagne dans la circonscription de Mégantic-Compton.
M. Charest a soutenu que seuls les Québécois décideront lundi qui formera le prochain gouvernement. «Je ne conçois pas que ce soit au gouvernement fédéral de déterminer l'agenda du Québec. C'est nous qui déciderons qui aura le mandat pour aller faire des négociations pour encadrer le pouvoir fédéral de dépenser», a-t-il dit, faisant remarquer au passage que M. Boisclair ne s'oppose pas aux interventions de Gilles Duceppe, qui dirige pourtant un parti fédéral.
Mais là où Jean Charest s'est enflammé, c'est à propos des critiques sur l'utilisation qu'il propose de faire des 700 millions de dollars issus de la péréquation. «On est un peuple qui travaille d'égal à égal. Le système fédéral de gouvernement n'est pas un système où tu es imputable à l'autre palier de gouvernement. Ça, c'est compris chez nous. Et le peuple québécois le comprend très bien. J'ai là-dessus des convictions très profondes qui ne changeront pas du jour au lendemain», a affirmé le premier ministre, qui en avait rougi d'intensité.
Si, la veille, il avait défendu la liberté du Québec de faire ce qu'il veut des fonds fédéraux reçus dans le cadre de la correction du déséquilibre fiscal, Jean Charest s'est montré nettement plus mordant hier. Le fait que le Canada anglais ait le sentiment que c'est Ottawa qui pourrait financer les baisses d'impôt promises par le Parti libéral du Québec ne l'émeut guère. Le Québec n'a aucun compte à rendre, point, a lancé un Jean Charest qui semblait prêt pour la bagarre.
«Je me suis battu pour avoir l'argent qui nous revient. Là, l'argent nous revient et je suis maître dans mes domaines de compétence. Je suis premier ministre du Québec. C'est moi qui décide ce qu'on fait dans nos domaines de compétence. C'est pas Ottawa, c'est pas d'autres provinces. Et je n'ai pas de compte à leur rendre non plus. Et ça va être comme ça après le 26 mars», a-t-il tonné.
Quand un journaliste lui a demandé si, par son choix, il ne risquait pas de compromettre les prochaines négociations avec le gouvernement fédéral, M. Charest a littéralement explosé: «Moi, je défends les intérêts du Québec. Ils ne me diront pas ce que eux veulent entendre. Ils vont devoir composer avec un gouvernement québécois qui va défendre bec et ongles les intérêts du Québec. [...] Quand ils nous ont coupé [des paiements de transfert], il y a combien de gens au Canada anglais qui se sont levés pour dire: "Ah non! Ne coupez pas le Québec! Non, non, ne faites pas ça!" Est-ce qu'il y a eu beaucoup de gens qui se sont scandalisés, qui étaient émus du fait que le Québec se faisait couper dans ses transferts de péréquation?»
M. Charest a finalement ajouté qu'il n'avait «aucune excuse à formuler à personne» puisqu'il est le premier ministre du Québec et que, à ce titre, il défend les intérêts du Québec.
Dumont
De son côté, Mario Dumont a qualifié «d'ingérence» les propos de M. Harper, qu'il a invité à ne plus intervenir dans la campagne électorale québécoise. «Cette intervention de M. Harper n'est pas appropriée. Lundi, on va décider entre Québécois de ce qu'on veut pour le Québec, et on n'a pas besoin du premier ministre du Canada pour interférer là-dedans», a-t-il dit.
«Quand on a une élection entre Québécois, on veut laisser le premier ministre du Canada en dehors de ça, a ajouté le chef adéquiste. En définitive, au lendemain des élections, le premier ministre du Canada va devoir travailler avec le Parlement que les Québécois auront décidé [sic].» M. Dumont a toutefois souligné qu'il comprenait bien ce que M. Harper a voulu dire. «Il veut dire qu'André Boisclair n'a pas tellement d'utilité dans un contexte de fédéralisme d'ouverture.»
Le mérite aux souverainistes
Plus tôt, à Roberval, M. Boisclair avait pourfendu la volte-face de Mario Dumont. Aussi, le chef péquiste n'a pas caché sa satisfaction de voir son adversaire libéral être contraint de rappeler à Ottawa que la décision de lundi se prendra entre Québécois. «J'ai un nouvel allié», s'est amusé M. Boisclair en parlant de Jean Charest, ajoutant ceci: «Il est pas pire, parfois.» Il s'est par la suite attribué le mérite de ces volte-face. «Une chance qu'on est là, les souverainistes, parce que M. Charest serait resté bien silencieux.»
Toutefois, en point de presse à Jonquière, plus tôt en journée, M. Boisclair avait lui-même tenté de relativiser les déclarations de M. Harper en les mettant sur le compte de «l'inflation verbale» propre au contexte des campagnes électorales. Il a soutenu que M. Harper tentait au fond de venir en aide à Jean Charest, «qui est mal pris». Mais selon M. Boisclair, il est évident que tout gouvernement fédéral traiterait avec un gouvernement souverainiste à Québec. Selon lui, «le gros bon sens finirait par prévaloir» advenant l'élection du PQ.
Comme Jean Chrétien
En matinée hier, de passage dans la circonscription de Chicoutimi, M. Boisclair a souligné que par le passé, de nombreux gouvernements souverainistes ont négocié et se sont entendus avec Ottawa, par exemple du temps de Bernard Landry, a-t-il argué, qui a conclu une des «meilleures ententes» dans le domaine de la santé. Or, à l'époque, Jean Chrétien était premier ministre. M. Boisclair a affirmé que «Harper, par son chantage, [a] fait ce que Jean Chrétien n'a jamais osé faire... Harper, c'est pire que Jean Chrétien, avec des déclarations comme celle-là», a-t-il martelé à une quarantaine de militants.
Le Devoir
Avec la collaboration d'Hélène Buzzetti
Avec la Presse canadienne


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