Les «oublis» de l'ADQ

Québec 2007 - ADQ

Mario Dumont s'est abondamment fait critiquer pour avoir tant tardé à produire son cadre financier. Ces blâmes sont fondés. À moins d'une semaine de l'échéance électorale, il est un peu tard pour chiffrer ses promesses.
Selon les données publiées par M. Dumont, les engagements de l'ADQ atteignent 1,7 milliard. C'est nettement plus modeste que les engagements péquistes (évalués à 3,5 milliards) ou libéraux (4,5 milliards). Or, les libéraux ont déjà publié leur évaluation des promesses adéquistes : selon eux, elles s'élèvent à 6,3 milliards.
La fosse abyssale qui sépare les deux évaluations a quelque chose de surréel. Comment s'y retrouver?
Pour en arriver à 1,7 milliard, M. Dumont additionne le coût de certains engagements déjà connus : le bébé-bonus de 100 $ par semaine, la réorientation de la réforme scolaire, les nouveaux crédits d'impôt à l'investissement, le transfert des redevances aux régions, l'augmentation des cliniques sans rendez-vous pour désengorger les urgences. À elles seules, ces cinq promesses sont évaluées à plus de 1,4 milliard. Le reste, près de 300 millions, servira à financer une douzaine d'engagements de moindre importance (assainissement des rivières, commission d'enquête sur les aînés, coops santé, etc.)
Où trouver l'argent? D'abord, en réduisant de 1 % la croissance des dépenses du gouvernement, ce qui rapportera 560 millions; ensuite, en puisant 500 millions dans les nouveaux transferts fédéraux annoncés dans le budget Flaherty (il y en a pour plus de 900 millions cette année); enfin, en supprimant 300 millions dans les subventions aux entreprises. M. Dumont compte ainsi ramasser près de 1,4 milliard. L'abolition des commissions scolaires et le retour en emploi de 25 000 assistés sociaux aptes au travail devraient faire le reste.
Rien n'est moins certain. Réduire les dépenses du gouvernement, même de 1 %, est beaucoup plus facile à dire qu'à faire (mais c'est loin d'être impossible); même chose pour le retour des assistés sociaux sur le marché du travail.
Mais c'est surtout en chiffrant ses engagements que l'ADQ s'avance en terrain glissant. Une lecture plus attentive du programme adéquiste laisse entrevoir de nombreux oublis dans le cadre financier. Quelques exemples :
- L'ADQ s'engage à faire traiter les patients dans des délais médicalement acceptables; si le secteur public ne peut y arriver, tout patient pourra opter pour un établissement privé, aux frais de l'État; les libéraux estiment, de façon prudente, que cela pourrait facilement coûter 100 millions à l'État (en supposant un «délai acceptable» de six mois). Rien sur le sujet dans le cadre financier de l'ADQ.
- Toujours dans le domaine de la santé, les libéraux ont prévu, dans leur propre cadre financier, la somme de 700 millions pour l'embauche de personnel supplémentaire (1500 médecins et 2000 infirmières). Or, les engagements adéquistes en matière de santé sont aussi importants que ceux des libéraux, et on peut facilement penser qu'un gouvernement adéquiste devra lui aussi consacrer des centaines de millions à ce chapitre. Nulle mention de cela dans le cadre financier.
- L'ADQ chiffre son projet de bébé-bonus, mais oublie de dire combien coûterait son projet de verser une allocation de 5000 $ à la naissance d'un troisième enfant. Il y a plus de 13 000 troisièmes naissances au Québec à chaque année. L'engagement peut donc être évalué à au moins 65 millions, mais le cadre financier n'en parle pas.
- L'ADQ s'engage à «tenir compte de la réalité des petites municipalités». En clair, cela veut dire la mise à niveau des réseaux d'aqueduc et d'égouts. Les libéraux se font un plaisir de citer à ce sujet la Coalition pour le renouvellement des infrastructures, qui évalue ces travaux à 1,2 milliard. L'ADQ n'en glisse pas un mot dans son cadre financier.
- Mario Dumont reconnaît l'existence d'un déséquilibre fiscal entre le gouvernement du Québec et les municipalités, et promet de le corriger. Or, pour y parvenir, cela prendrait 500 millions, selon les calculs de l'Union des municipalités. Mutisme dans le cadre financier de l'ADQ.
On pourrait multiplier les exemples. Clairement, la somme de 1,7 milliard est insuffisante pour financer l'ensemble des engagements de l'ADQ. De façon prudente, on pourrait plutôt parler de trois milliards.
En revanche, en avançant le chiffre de 6,3 milliards, les libéraux beurrent épais. Quelques exemples :
- L'ADQ s'engage à enseigner davantage l'histoire dans les écoles. Les libéraux concluent un peu rapidement que pour cela, il faudra ajouter une heure d'enseignement par semaine, ce qui coûtera 100 millions. Ce n'est pas évident.
- L'ADQ veut doter le Québec d'une «véritable stratégie d'efficacité énergétique». Les libéraux affirment que cela diminuera les bénéfices d'Hydro-Québec de 400 millions, et que le dividende de la Société d'État diminuera d'autant. C'est une supposition pour le moins téméraire.
- On a vu plus haut que les libéraux veulent consacrer 700 millions à l'embauche de personnel dans le secteur de la santé, et que l'ADQ devra elle aussi embaucher du personnel si elle veut respecter ses engagements. Mais les libéraux vont un peu vite en affaires en supposant automatiquement que l'ADQ devra elle aussi débloquer 700 millions à ce chapitre. Là non plus, ce n'est pas évident.
- L'ADQ veut «corriger le régime fiscal en diminuant les taxes les plus nuisibles à l'investissement, au travail et à l'épargne». Mario Dumont ne dit pas comment, mais les libéraux ne font guère mieux en fixant arbitrairement la valeur de cette promesse à 1,2 milliard.
Là aussi, on pourrait multiplier les exemples. Il n'est certainement pas exagéré de dire que l'évaluation des libéraux est grossièrement gonflée.
En 2003, Jean Charest a présenté un cadre financier rigoureux, cohérent et crédible pour réduire les impôts de un milliard par année. Or, il n'a pu remplir sa promesse parce que les transferts fédéraux ont été moins élevés que prévus, parce que la hausse du dollar canadien a déjoué les prévisions et contribué à supprimer des dizaines de milliers d'emplois dans le secteur manufacturier, parce que le gouvernement a jugé préférable d'utiliser sa marge de manoeuvre pour créer de nouveaux programmes sociaux plutôt que de baisser les impôts, parce que, parce que, parce que...
Les cadres financiers sont préparés avec les éléments dont on dispose au moment de leur rédaction. Les taux de change, les taux d'intérêt, la conjoncture économique internationale, l'état de santé de l'économie américaine sont quelques-uns des facteurs, et il y en a beaucoup d'autres, qui peuvent radicalement changer la donne dans les années suivantes. C'est pour cela que les cadres financiers, bien que fort utiles pour mieux comprendre les priorités des partis, valent ce qu'ils valent.


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