(Montréal) En annonçant son intention d'obliger les élèves de 6e année à consacrer la moitié de leur année scolaire à l'apprentissage intensif de l'anglais, le gouvernement Charest a déclenché un autre débat important.
D'un côté, il y a ceux, comme le chercheur Christian Dufour, qui pensent qu'il s'agit là d'une «menace à l'identité québécoise», rien de moins. De l'autre, il y a les parents - majoritaires selon les sondages - qui pensent que leurs enfants réussiront beaucoup mieux dans la vie s'ils sont bilingues.
Sur le plan financier, il n'y a aucun doute possible: les revenus de travail des Québécois francophones bilingues sont largement supérieurs à ceux de tous les autres travailleurs, anglophones compris.
Une recherche fort éclairante sur le sujet est un mémoire de maîtrise présenté en 2005 par Dominique Lemay au département des sciences économiques de l'Université de Montréal; ce qui donne une valeur particulière au document, c'est que le directeur de maîtrise est l'économiste François Vaillancourt, spécialiste reconnu de la question.
Le mémoire est basé sur les données du recensement de 2001.
Voyons ce qu'il nous apprend.
Les travailleurs francophones bilingues trônent au sommet du classement, avec un revenu moyen de 38 851$. Ils sont suivis de près par les Anglo-Québécois bilingues, avec 38 745$. Assez loin derrière arrivent les anglos unilingues avec 34 097$. Chez les allophones qui parlent les deux langues (et souvent, dans leur cas, une troisième), le revenu moyen passe à 33 097$. Enfin, les francophones unilingues doivent se contenter d'une cinquième place, à 29 665$. Autrement dit, l'écart entre le francophone bilingue et son compatriote unilingue est de 31%, ce qui est énorme. Une fois les impôts payés, c'est presque 100$ nets de plus par semaine pour financer une plus belle maison, se payer de meilleures vacances, payer des études supérieures à ses enfants, épargner pour la retraite.
Ces chiffres, nous l'avons vu, datent de 10 ans. Tout indique que, depuis ce temps, l'écart des revenus entre bilingues et unilingues s'est encore élargi.
Ce n'est pas tout. Les travailleurs unilingues sont moins susceptibles d'avoir de l'avancement chez leur employeur. Ils ont peu de chances d'améliorer leur sort en changeant d'entreprise. Ils restent donc au bas de l'échelle toute leur vie. Ainsi, chez les jeunes travailleurs francophones âgés de 24 à 35 ans, l'écart des revenus entre bilingues et unilingues se situe à 24%, ce qui est déjà important. À mesure que l'on avance dans les tranches d'âge, la différence augmente. Dans le groupe des 55-64 ans, les revenus des bilingues dépassent de 45% les revenus des unilingues. Aujourd'hui, on peut raisonnablement penser que l'écart atteint, ou peut-être même dépasse la barre des 50%. À ce niveau, il ne faut même plus parler d'écart, mais de fossé.
Dans ces conditions, on peut bien comprendre les parents qui tiennent à ce que leurs enfants apprennent l'anglais, et l'apprennent bien.
Notons aussi qu'avec le temps, les Québécois francophones bilingues ont réussi à améliorer considérablement leur situation par rapport aux Anglo-Québécois. En 1970, les travailleurs francophones, même bilingues, avaient peu d'espoir de toucher des revenus aussi élevés qu'un «Anglais». En fait, l'unilingue anglophone gagnait en moyenne 11% de plus qu'un francophone bilingue. On l'a vu plus haut, les anglos unilingues arrivent maintenant derrière les Québécois bilingues.
L'étude montre aussi que les écarts de revenus s'accentuent avec le niveau de scolarité. Ainsi, chez ceux qui décrochent au début du secondaire, il n'y a pratiquement aucune différence de revenu entre bilingues et unilingues. En revanche, chez les diplômés des cycles supérieurs (cinq ans ou plus d'études universitaires), la différence saute aux yeux: 62 139$ en moyenne chez les Québécois bilingues, contre seulement 48 228$ chez les unilingues. La morale de l'histoire: restez aux études et apprenez l'anglais.
Certes, certains diront que ces alignements de chiffres ne présentent qu'une banale vision comptable, que la «menace à l'identité québécoise», au fond, est beaucoup plus importante que cela. Dans une économie de plus en plus mondialisée, former une nation de futurs petits salariés unilingues m'apparaît comme une menace autrement plus sérieuse.
Une nation de futurs petits salariés
Dans une économie de plus en plus mondialisée, former une nation de futurs petits salariés unilingues m'apparaît comme une menace autrement plus sérieuse.
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